Pourquoi les uns et pas les autres ? Hugo Chavez crucifié…
Près d’un demi-siècle de Guerre froide aura habitué hommes, penseurs et commentateurs politiques à une sorte de pensée binaire et manichéenne : il y a "nous" et il y a "eux". Les "gentils" et les "méchants". Le "bien" et le "mal". Le communisme a chuté ; mais cette pensée-là demeure bien vivace.
Le président George W. Bush, comme souvent les idiots, est parfois plus franc que d'autres. Ainsi, lorsqu'il entend persuader Jacques Chirac d'entraîner la France dans la seconde Guerre du Golfe, il a ce mot : « Je dois le convaincre que l'Amérique est une nation "authentiquement bonne"… » Tout est dit. Non content d'être franc, nul doute qu'il soit, de plus, sincère. Et c'est fort logiquement que, si l'on tient cette nation pour "authentiquement bonne", ses ennemis, ses adversaires, ses concurrents, et même ceux qui refusent de se ranger aveuglément derrière la bannière étoilée ne sauraient être "qu'authentiquement mauvais". Pour tenter de convaincre l'opinion mondiale du bien-fondé de cette imposture intellectuelle et morale, les moyens de désinformation ne manquent pas. A ce sujet, dans un ouvrage posthume La Désinformation vue de l'Est, le défunt Vladimir Volkoff note que cette "désinformation" est un concept issu des USA, simple adaptation des méthodes publicitaires à des fins politiques, concept ensuite repris au vol par l'URSS, mais indubitablement américain à l'origine. Le problème, aujourd'hui, est que la désinformation du KGB ne vient plus contrebalancer celle de la CIA.
Le président Hugo Chavez, un exemple qui en dit long. Si l'on s'en tient aux seuls faits, voici un homme qui a été par trois fois élu par son peuple — 63 % en décembre 2006, soit un résultat qui a de quoi laisser un W. Bush rêveur, surtout lorsque obtenu sans la moindre fraude — soit un homme dont la légitimité ne suscite pas le moindre doute. Hugo Chavez n'est ni de gauche ni de droite : il est à la fois de gauche et de droite. Il n'est ni libéral ni socialiste : il est à la fois libéral et socialiste. En revanche, il clame haut et fort que le Venezuela doit demeurer propriété des Vénézuéliens, position qui, somme toute, ne présente rien d'incongru. A ce titre, il n'est pas anti-Américain, mais juste pro-Vénézuelien. Mais cela paraît insupportable à son puissant voisin du Nord, lequel estime, doctrine Monroe oblige — laquelle a érigé en dogme que les Amériques Centrale et du Sud étaient sa chasse gardée — estime que si l'on n'est pas avec lui, c'est qu'on est contre lui. Du coup, voilà près de dix ans que les médias américains nous assènent que l'homme est un danger en puissance, une sorte de nouvel Hitler équatorial, présumé antisémite, forcément antisémite — les télévisions yankees iront jusqu'à caviarder certains de ses propos, en inventer d'autres de toutes pièces, afin d'accréditer la thèse — tout en l'accusant d'être marxiste, à cause de la vieille amitié le liant au Lider Maximo, Fidel Castro. Tiens donc…Juan-Manuel Fraga, dirigeant historique de la vieille droite espagnole, franquiste et catholique, était lui aussi intime avec le maître de La Havane et on n'en a pas fait une telle histoire. Pour le reste, le président Chavez, le temps de ses trois mandats, a décidé de nationaliser les industries stratégiques vénézueliennes afin de les soustraire à ce qu'il nomme de manière pour la moins pertinente, « les oligarques transnationaux ». On lui reproche encore sa proximité d'avec son homologue iranien, Mahmoud Ahmadinejad. Et alors ? Ils ont encore de la marge afin d'être aussi proches que ne le furent les familles Bush et Ben Laden. Quant au président Ahmadinejad, que veut-il, si ce n'est qu'un Iran iranien et souverain, feuille de route qui, plus que toute autre, devrait convenir à tout patriote un tant soit peu conséquent.
Si le but de la manœuvre consistait à "écraser l'infâme", reconnaissons à la Maison Blanche ce mérite ayant au moins consisté à n'avoir pas lésiné sur les moyens. Tous les médias vénézueliens "libres", c'est-à-dire sous influence de Washington, militent ouvertement contre Hugo Chavez. Le 11 avril 2002, un coup d'Etat est téléguidé contre lui par les USA. Aux avant-postes de la subversion, la chaîne de télévision privée RCTV — privée de tout, si ce n'est des subsides américains — qui a finalement été privée de droit d'antenne, le 27 mai dernier. Du coup, une nouvelle campagne de dénigrement à échelle internationale a été lancée. Mais, que se serait-il passé si des capitaux vénézuéliens avaient permis à Caracas de prendre le contrôle de ABC, chaîne de télévision US, afin d'appeler à la destitution immédiate de George Bush ? Ce dernier, sous les applaudissements de la communauté des nations, aurait, lui aussi, fait fermer ce nid de trublions. Liberté des médias, certes. Mais aux USA ou en France, sont-ils si libres que ça ? Posez donc la question à l'ancien président Jimmy Carter, dont le livre, La Paix, pas l'apartheid, a été censuré des deux côtés de l'Atlantique, et jugé par trop critique vis-à-vis d'Israël. Ou posez-là encore ici, à un Dieudonné… Et puis, on dira encore qu'au Venezuela, la croissance économique n'est que de 0,3 % lorsque Hugo Chavez accède au pouvoir en 1999, qu'elle est, en 2007, de 10,3 % et que la hausse du prix du pétrole ne saurait, à elle seule, tout expliquer. On dira aussi que même ses adversaires locaux admettent que la pauvreté, l'analphabétisme et la corruption, maux endémiques de la région, ont reculé d'importance. On dira toujours qu'il a redonné fierté à son peuple et aux peuples voisins en refusant la dictature du FMI, la tyrannie d'un libre-échangisme par les USA imposé. On dira, pour finir, que le bilan des presque deux mandats de George W. Bush sont nettement moins reluisants. A l'intérieur, c'est la catastrophe : krach boursier qui menace, endettement record du pays, infrastructures routières en déroute et, pis, gestion plus qu'hasardeuse de l'ouragan Katrina, en Louisiane : pour aider, Cuba proposa ses médecins et le Venezuela du pétrole gratuit. A l'extérieur, le cauchemar. Proche et Moyen-Orient au bord de l'embrasement : Liban dévasté, Irak atomisé, Israël plus en insécurité que jamais. Au fait, à propos de cette croisade menée par le "bien" contre le "mal" s'étant étendue jusqu'à l'Afghanistan — on se demande bien pourquoi, les troupes d'élite de Kaboul s'apprêtaient-elles à sauter sur Brooklyn ? — Le Figaro du 4 août dernier nous apprend que depuis le début de l'année, les victimes civiles afghanes des bombardements aveugles de l'OTAN se comptent par milliers. En rien qu’une journée, par exemple, une "erreur" de cette aviation occidentale sous contrôle américain a fait près de trois cents morts dans la province de Helmand. Soit plus de victimes que les Talibans n'en causeront jamais. Il est vrai que ces derniers ont détienu une poignée d'otages sud-coréens, dont deux ont été tués. Des missionnaires protestants venus expliquer aux autochtones qu'après avoir survécu aux invasions anglaises et soviétiques, il leur fallait désormais se soumettre à l'occupation américaine et plier le genou devant leur dieu télévangéliste qui, à heure de grande écoute, leur demandera sûrement un virement bancaire pour une secte vaguement mooniste ainsi qu'une petite prière pour obtenir un vélo neuf. Ces choses dites, les USA, que ce soit dans leurs prisons de Guantanamo ou d'ailleurs, détiennent eux aussi des milliers d'orages, kidnappés et jamais jugés, au mépris des plus élémentaires règles du droit international. Hugo Chavez, lui, ne détient pas le moindre otage et ne menace personne. Son seul crime ? Estimer, lui, le demi-Indien, déjà colonisé jadis par l'Espagne, que son pays n'a pas vocation à être le paillasson des Gringos. Voilà donc pourquoi certains voudraient le renverser en attendant de l'assassiner. Nous sommes tous des bolivariens. De "gentils" bolivariens.