presentation proposer convergences abonnmentsite abonnmentresistance soutien
 
actualite
blank
blank
Éditorial
Politique
Étranger
Tribune libre
theoriciens
Yockey
Thiriart
Douguine
Evola
Autres
histoire
France
Italie
Espagne
Amérique latine
Allemagne
Pays anglo-saxons
Europe de l'Est
Autres
imperialisme
Entretiens
Antiaméricanisme
Antisionisme
Varia
spiritualites
Alternatives religieuses
Tradition
Varia
liste
liste
detail
sites nc
snc
accueil
recherche
recherchez
avancee
Vendredi, 16 Juin 2006
imprimer
mail
Mouvement ethno-nationaliste au Pérou et élections générales 2006
Maryse Tétreault
Étranger
Mouvement ethno-nationaliste au Pérou et élections générales 2006
« La historia la escriben los vencedores. »
[Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire.]
Antauro Humala Tasso

Au lendemain du second tour des élections présidentielles du Pérou, le chef de l’APRA, Alan García Pérez, est donné gagnant. Le panorama électoral demeure quant à lui caractérisé par une forte polarisation entre deux projets nationaux difficilement réconciliables, démontrant clairement la principale dichotomie dans ce pays : peur versus colère. Une fracture qui s’exprime en termes ethniques et qui se manifeste socioéconomiquement en opposant un « Pérou moderne urbain effrayé face au futur » face à un « Pérou désespéré fâché et oublié de la modernité ». Concrètement, ce qu’il reste des partis traditionnels demeure largement associé à la première option représentée principalement par la candidate de droite, Lourdes Flores Nano (Unidad Nacional), et par le candidat de centre (gauche), Alan García Pérez (APRA). Le mécontentement populaire se trouve, quant à lui, incarné par le candidat nationaliste Ollanta Humala Tasso, candidat du Parti Unión por el Peru (UPP), allié au Mouvement Nationaliste Péruvien, qui a remporté le premier tour de l’élection présidentielle du 9 avril dernier.

Cet article propose une lecture des évènements qui sont subvenus au Pérou au cours de la dernière campagne électorale présidentielle en mettant l’accent sur la proposition nationaliste ethnique. Cette lecture a pour objectif de mettre en évidence la montée d’un courant nationaliste à caractère ethno-nationaliste dans la région andine, dont l’extension péruvienne serait le mouvement ethno-caceriste né dans les années 1980 et fondé majoritairement par le clan familial Humala Tasso. Ce courant ethnonationaliste a eu sa première représentation électorale lors des dernières élections présidentielles (et législatives) ; d’une part, à travers l’alliance entre le Mouvement ethnocaceriste (MEC) et le Parti Avanza Pais, présidé par Ulises Humala et secondé par Antauro Humala, d’autre part, par la bannière UPP-MNP représentée par Ollanta Humala, un rejeton de l’ethno-cacerisme qui, bien qu’il nie catégoriquement son passé radical, a été l’un des intégrants actifs de ce mouvement au cours des années 1980 et 1990. Cet article propose donc d’analyser à la fois le contexte d’émergence, les actions et les propositions relatives à l’ethnocacerisme pour ensuite analyser les deux options électorales qui en découlent plus ou moins directement. Notre objectif n’est donc pas ici de traiter en profondeur le thème des candidatures aux élections présidentielles, mais plutôt de nous concentrer sur le candidat Ollanta Humala : un personnage émergeant d’une doctrine nationaliste-ethnique et recommandant un reversement des structures, en lien avec la doctrine ethno-caceriste. En d’autres termes, si la forme de la formule change, le fond, lui, [1] demeure sensiblement le même : un appel au changement.

Brève analyse du panorama politique au Pérou

L’analyse du panorama politique péruvien s’avère difficilement compatible avec une seule polarisation idéologique en termes de gauche et de droite, en raison de la forte dé-idéologisation des préférences et la faible rétention partisane, déclassant cet axe classique au profit d’une division naturelle ethnique, pouvant s’exprimer plus concrètement en termes d’« inclusion exclusion ». La relative pertinence de la dimension gauche-droite est perceptible, entre autres, par l’important phénomène de volatilité électorale : les sondages nous permettant de vérifier une tendance des électeurs à passer aisément d’un pôle à l’autre des options disponibles, de la droite vers la gauche, niant ainsi l’existence de réelles identités partisanes (excepté pour le parti historique de l’APRA).

Ce phénomène s’explique en grande partie par les évènements qui se sont déroulés dans les années 1980 et 1990, soit une crise de représentativité et un discrédit des partis politique, une personnalisation de la politique, une présence terroriste déstabilisante, la montée d’une incroyable crise économique, la présence de hauts niveaux de corruption et finalement, un virage néo-libéral implanté au sein d’un régime autoritaire. Ces évènements ont mené directement à l’effondrement du système politique au Pérou, une période marquée par l’insolvabilité des partis politiques et l’érosion des identités partisanes établies, contribuant à une atomisation aiguë de la politique. Cette crise de représentativité s’est soldée par l’apparition d’un nouveau personnage anti-politique sur la scène électorale : l’« outsider » ; une figure qui a favorisé la candidature d’Alberto Fujimori lors des élections consécutives de 1990, 1995 et 2000 [2]. En plus d’introduire de nouveaux personnages « indépendants » et de nouvelles pratiques politiques, les évènements ont produit un large bassin d’électeurs dépourvus d’attaches partisanes, donc disponibles aux appels d’« outsiders » tels que Fujimori (et par la suite, Alejandro Toledo et Ollanta Humala). Dans cette logique, la période présidée par Fujimori fut donc caractérisée par une gouvernance personnaliste et populiste combinant néolibéralisme brutal et autoritarisme. Un modèle économique qui fut poursuivi par le gouvernement d’Alejandro Toledo depuis les élections 2000 jusqu’à maintenant.

En analysant la situation actuelle du Pérou, il semble que dans leur tentative d’impulser un tel virage néo-libéral, les derniers gouvernements ont contribué à creuser davantage les écarts socio-économiques. Là où l’État corporatiste des années 1970 avait valorisé des droits collectifs et un certain degré d’autonomie locale (en autres, pour les communautés traditionnelles), l’arrivée de l’État libéral a, quant à lui, failli à sa tâche, n’arrivant pas à sécuriser des droits qu’il avait promis. La constatation de la faillite d’un modèle - peu remis en question au sein des médias et des débats politiques - a entraîné de multiples protestations sociales, démontrant clairement l’insoluble tension existant entre démocratie et néo-libéralisme. Selon la politologue Deborah Yashar, c’est en quelque sorte l’échec du modèle et la divergence de vision autour des droits civils (individuels) promulguée par le libéralisme (versus le concept de collectivité indigène) qui ont entraîné la politisation du clivage ethnique et l’organisation de mouvements autochtones (et sociaux) dans plusieurs pays du continent au cours des années 1990 et 2000 [3]. Comme nous le verrons, le cas du Pérou semble toutefois diverger de ce cheminement, en raison de sa structure historique, mais aussi de son système politique et des réformes institutionnelles qui ont eu cours lors de la transition démocratique et durant les mandats présidés par Fujimori.

Nationalisme et clivage ethnique au Pérou

Il semble que la question ethnique, surtout exploitée dans sa version nationaliste, ait été importante lors de la campagne électorale, relançant une fois encore la problématique de l’égalité des opportunités face au phénomène d’exclusion sociale endémique dans cette société et exacerbé aux cours des dernières décennies. Malgré son existence indéniable dans la société, ce clivage ethnique (mieux « saisi » en termes d’un contraste phénotype, « blanc-espagnol-étranger » versus « non-blanc-métisséautochtone ») a été relancé par l’échec du modèle libéral, lui ajoutant un caractère « inclusif-exclusif » face aux promesses - inaccomplies - de redistribution (ou du fameux « chorreo » [4]). Comme le souligne Van Cott, les systèmes de partis hautement fragmentés, personnalistes et faiblement institutionnalisés tendent à prendre forme dans des pays latinoaméricains aux prises avec de profonds clivages ethniques.

Toutefois, malgré le développement de mouvements autochtones dans les pays voisins, il semble que la politisation du clivage ethnique soit encore très faiblement institutionnalisée au Pérou. Ce n’est que récemment que cette question a ressurgi sur la scène publique, s’associant à d’autres protestations sociales apparues à la fin du mandat présidentiel de Fujimori et durant le gouvernement de Toledo. Nous pouvons expliquer l’absence de ces mouvements ou partis ethniques à travers les actions réalisées de manière systématique par le régime fujimoriste, destinées à fragmenter le tissu social et à éliminer les mouvements sociaux, utilisant pour ce faire le prétexte de la lutte contre la subversion. La période de transition démocratique qui a suivi, a été tout le contraire : elle a offert un scénario propice à l’(re)émergence de nombreuses revendications et conflits couvés durant la période antérieure et contenus efficacement par Fujimori. Cette manoeuvre a contribué à créer un contexte de fragmentation et de désarticulation des demandes sociales, rendant le processus revendicateur largement inefficace et circonstanciel. Pour mieux comprendre la présence de revendications ethno-nationalistes au Pérou, il nous faut lier la vision nationaliste à la question autochtone et, pour cela, considérer la division ethnique comme principale ligne de scission et de conflit au Pérou. Dans cette optique, le pouvoir et les relations sociales s’organisent, non plus sur la base classique des classes sociales ou des individus-citoyens, mais sur la base de l’ethnie - d’une « ethno-classe » - qui revendique non pas une restitution territoriale comme c’est le cas dans certains pays, mais une redéfinition des institutions démocratiques afin que soient reconnus et respectés leurs droits collectifs et leur intégration à la modernité. Le lien nationalisme et ethnicité devient alors une façon de valoriser la présence ethnique dans ce pays, en lui attribuant un statut légal clair en plus de promouvoir les richesses du territoire sur lequel ces identités multiples se sont développées au fil des siècles.

L’exclusif mythe du métissage au Pérou

La présence timide de mouvements ethnonationalistes touche aussi directement la question de définition identitaire au Pérou. Sur ce sentier, nous retrouvons en amont la célèbre figure de José Gabriel Condorcanqui, aussi connu sous le pseudonyme de Tupac Amaru II, qui mena une rébellion violemment réprimée en 1780-1781, devenant ainsi un symbole et un martyr au sein de la mythologie nationaliste péruvienne. Subséquemment, nous retrouvons le courant indigéniste qui s’est développé au début du XXe siècle qui, malgré sa rupture avec l’idée positiviste de modernisation des « Indiens », n’est jamais arrivé à saisir totalement la réalité autochtone, en raison de son point de vue essentiellement intellectuel [5]. Comme le souligne l’auteure Cecilia Méndez, le discours indigéniste a contribué à simplifier la problématique ethnique en idéalisant un sujet mystique passé, niant simultanément l’existence de ce même sujet en temps présent [6]. La rupture qui s’est opérée face au traditionnel discours indigéniste s’est concrétisée par un retour à la « question autochtone » dans les années 1960, introduisant un nouveau type de réflexion autour de la formation identitaire face aux processus politiques et économiques de domination (cette réflexion se retrouve entre autres au sein du gouvernement militaire du Général Alvaro Velasco, dans les années 1960 et 1970).

Il semble que la création d’un État-nation au Pérou ait reposé sur une dénaturation de la réalité nationale tant au niveau ethnique que culturel, projetant une impression d’unité et d’homogénéité au milieu du conflit et de l’hétérogénéité. La récente reconnaissance constitutionnelle d’une pluralité ethnique et culturelle ne semble pourtant pas suffire à déloger la perception du Pérou comme pays « métissé » dans l’imaginaire collectif péruvien. En effet, la résistance qui persiste dans la pensée populaire à l’égard d’une incompatibilité entre multiculturalisme et État-nation a perpétué le mythe d’une culture autochtone réconciliée et qui demeure la pierre angulaire de l’actuel régime démocratique. Le refus inconscient d’imaginer un Pérou stable qui puisse reconnaître les différences a solidifié, au fil des décennies, le mythe d’un métissage qui expose clairement une contradiction latente dans cette société : cette figure n’unit pas, elle exclut. Comme nous l’avons souligné précédemment, les années 1990 et 2000 nous ont donné l’occasion de voir apparaître plusieurs mouvements autochtones au niveau continental, semant de nouveaux débats autour d’une redéfinition de la démocratie. Malgré cette poussée dans des pays voisins tels que l’Équateur et la Bolivie, il semble que ce scénario ne s’est pas déroulé de la même façon au Pérou, celui-ci ayant été incapable jusqu’à maintenant de constituer un parti politique ethnique électoralement viable. Bien que dans plusieurs pays latino-américains, le clivage ethnique semble générer des partis politiques et organiser la sphère électorale, le cas du Pérou démontre clairement que la présence d’une population ethnique proportionnellement signifiante ne se résume pas automatiquement par la présence de partis politiques à caractère ethnique. Dans ce cas, suivant la proposition de Van Cott, nous pourrions penser que certains de ces partis sont le résultat de décisions stratégiques ou, à l’opposé, que leur absence serait le produit de barrières formelles ou informelles empêchant leur formation [7]. Ces deux réponses peuvent expliquer la lente (re)constitution d’un mouvement ethnique au Pérou et son poids quasi inexistant au sein de la politique péruvienne comparativement aux autres pays de la région andine. Cela se justifierait au Pérou par les barrières institutionnelles contraignantes, l’emphase sur des politiques clientélistes aveuglantes (dans un contexte de pauvreté) et la persécution des mouvements sociaux qui ont empêché leur développement durant la période autoritaire fujimoriste.

Fondation du Mouvement ethno-caceriste péruvien (MEC)

Le Pérou a toutefois connu le développement d’un mouvement protestataire de nature etnnonationaliste, qui, malgré sa récente percée et son poids modeste, est plus radical que certains mouvements autochtones ayant émergé sur le continent au cours des dernières années. L’histoire de la fondation du groupe ethnonationaliste baptisé « ethno-caceriste » sème encore plusieurs débats. Certaines versions attribuent la naissance de ce groupuscule clandestin à Ollanta Humala, alors étudiant à l’École d’Intelligence Militaire du Pérou, en 1988 [8]. D’autres associent la création du Grupo Cacerista à Antauro Humala suite à son expulsion des Forces Armées, en mars 1989, en raison de son attitude jugée excentrique [9]. Quoi qu’il en soit, ce groupe a consisté, tout d’abord, en une entité ultra-nationaliste formée par une poignée de militaires dénonçant la corruption à l’intérieur des Forces Armées et l’illégitimité du gouvernement dirigé par Alberto Fujimori. Cette loge intra-militaire s’avérait à l’époque une sorte de groupe d’étude sur la réalité péruvienne, dispensant parmi ses membres des cours sur l’histoire militaire et s’organisant sur la base d’une doctrine de sécurité nationale, aspirant à une transformation révolutionnaire et plaçant Manco Capac avant Marx [10]. En mars 1990, plusieurs membres de ce groupe sont identifiés par le service d’intelligence, puis arrêtés et interrogés pendant quelques mois avant d’être relâchés. La résistance du groupe se prolonge durant toute la décennie 1990, concrétisant son organisation tactique et idéologique qui découle sur la première rébellion ethno-caceriste en octobre 2000.

Source d’inspiration et idéologie ethnocaceriste

Le mouvement ethno-caceriste, né de cette résistance face à la corruption, a été fondé sur le culte à certains personnages et moments historiques dans l’histoire péruvienne, dont l’épopée du Général d’ascendance autochtone Andrés Avelino Cáceres, héros de la Guerre du Pacifique (1879-1883) et ex-Président péruvien (1886-1890), d’où la dénomination « cacerista ». Dans l’interprétation ethno-caceriste, le caudillo Cáceres revêt les traits paternels du « tayta libérateur » (père, en langue quechua) avant ceux du général. Il est celui qui a élaboré la résistance contre l’armée chilienne, en capitalisant sur la participation paysanne sous forme de guérillas, selon une tactique belliciste-indigéniste. La création de ces Montoneras dans les Andes centrales a eu pour effet de créer une conscience collective chez les secteurs paysans (et autochtones) et de créer une identité de protestation intégrative [11]. L’héritage du militaire réformiste Juan Velasco Alvarado, ex-président péruvien (1968-1975) ayant accédé au pouvoir par l’intermédiaire d’un coup d’État [12], est aussi perçu comme un modèle nationaliste pour les adhérents du MEC, qui voient dans son radicalisme une valorisation des fibres sensibles de l’ethnie ancestrale et une tentative de rupture avec le complexe d’infériorité qui existe dans ce pays à majorité autochtone et métissée.

Inspiré du courant nationaliste militaire latinoaméricain, ce mouvement propose un modèle révolutionnaire populaire qui émergerait « du bas », se développant autour de paradigmes martiaux et culturels - faire converger le militaire et l’inca - et faisant la promotion des valeurs traditionnelles et du patrimoine national [13]. L’ethno-cacerisme péruvien se dédie à la lutte pour la concrétisation d’un projet national de type déterministe à travers lequel l’appartenance ethnique - et son poids démographique - demeure le facteur fondamental d’une réorganisation du positionnement social et du pouvoir politique et économique dans la région andine [14]. Militariste et anti-occidental, le type de nationalisme encouragé par le MEC se base sur un message exclusif teinté de chauvinisme recourant à la militarisation populaire, au style des armées citoyennes de la Révolution française, dont le message principal appelle à (re) nationaliser la patrie, en extirpant du système, par la voie constitutionnelle ou non-conventionnelle, les « traîtres à la Nation », les « faux-péruviens », les monopoles économiques étrangers et les politiciens corrompus. Ce nationalisme d’intolérance personnalise, aussi bien dans sa forme doctrinale et sa praxis, la colère et la rage accumulées face à plusieurs décennies d’exclusion, de racisme constitutionnel et de marginalisation sociale expérimentés sur une base quotidienne par une majorité de Péruvien.

Saga familiale

Les bases programmatiques de ce nouveau nationalisme-ethnique se fondent sur les enseignements de Don Isaac Humala ; elles servent de toile de fond au mouvement ethnocaceriste créé par ses fils, Antauro et Ollanta Humala Tasso dans les années 1990. Vouant un culte aux ancêtres incas et aux civilisations précolombiennes, les enseignements du patriarche Humala ont certes influencé le parcours de sa progéniture, les formant au sein d’une philosophie de lutte constante contre l’envahisseur et d’une valorisation de leurs racines culturelles, ce qui découlé sur la participation active des sept frères et soeurs dans le projet nationaliste de leur père, en autres, au sein de son Institut d’Études Ethno-géopolitiques créé en 1997.

La philosophie nationaliste résolument ethnique du discours des Humala, suggérant des tendances racistes et xénophobes, propose une relecture indo-américaine du marxisme en appuyant sur d’anciennes rancoeurs historiques. Ce discours recommande une restructuration des relations de pouvoir en vigueur : un renversement de l’ordre actuel pour placer les individus d’ascendance autochtone au sommet de la pyramide sociale. La reconnaissance d’un nationalisme basé sur le concept d’ethnie constitue une réponse à l’infériorisation raciale, historique et institutionnalisée, associée à la condition naturelle et biologique d’une grande majorité de Péruviens. Tandis que les antagonismes de classes s’avèrent imprécis, le facteur ethnique, quant à lui, se prête à une rapide identification rassemblant et attisant la haine populaire [15]. L’exclusion et la dépréciation ethnique endémique dans la société péruvienne demeurent le leitmotiv d’un courant (re) lancé par Isaac Humala dans les années 1970, postulant que la « race cuivrée » doit s’approprier du pouvoir afin d’offrir une voix aux plus marginalisés : « L’espèce humaine possède quatre races, desquelles une est pratiquement mise à part, la blanche qui domine le monde ; la jaune qui possède deux puissances, la Chine et le Japon ; et la noire qui, bien qu’elle s’avère infériorisée par les deux précédentes, domine tout de même son continent. Au contraire, la cuivrée ne gouverne nulle part. Nous pensons que nous devons faire en sorte qu’elle gouverne, bien que cela semble impossible, nous sommes utopiques en ce sens, nous avons cette espérance, voilà ce qui nous différencie [16]. »

Rhétorique millénariste et praxis militariste

Le militarisme de l’entreprise « humaliste » est perceptible dans son style et son contenu. La croyance en un renversement de l’ordre social et en la récupération d’un pouvoir perdu à travers l’aventure fondamentaliste ethno-caceriste est teintée à la fois d’un discours socialiste (« socialisme cholo ») plus ethnique que « classiste » et millénariste-utopique qui prône l’avènement d’une conclusion radicale (violente ou non) à l’imposition de la pensée de l’oppresseur et à la dénaturation de l’héritage culturel. La matrice discursive caceriste exacerbe la revendication d’un nationalisme intransigeant, qui prétend inculquer des valeurs de discipline, de compromis et de fidélité dont la finalité est d’imposer un ordre nouveau au Pérou. La rhétorique ethnique et l’usage de métaphores religieuses sont deux des principaux outils privilégiés au sein du discours national-caceriste, ce qui permet de romantiser l’engagement moral des combattants et la lutte constante des réservistes-millitants [17] caractérisée par la vocation et le sacrifice. Le haut degré de patriotisme présent au sein de la lutte ethnocaceriste repose avant tout sur le devoir historique, sur la fidélité « à la bannière que représente la Nation sainte et éternelle », exhortant à comprendre la société non plus en termes de gauche et de droite, mais en fonction d’une nouvelle dichotomie : légitimité versus légalité, entre Nation et État ; entre nationalisme et globalisme [18].

Projet d’État et propositions ethno-caceristes

Au-delà d’une guerre à la corruption, à la trahison et aux avancées du capitalisme, le projet idéologique ethno-caceriste propose l’instauration d’une Seconde République caractérisée par un modèle d’autarcie économique, une discipline autoritaire en matière judiciaire et une restauration des valeurs ancestrales, dont la reconstitution de l’empire du Tawantinsuyo et la primauté du droit inca [19] et du jus sanguinis (droit de sang). Cette nouvelle république proposée par le MEC abolirait la constitution de 1993 élaborée sous les auspices d’Alberto Fujimori et approuvée de manière controversée par référendum populaire (une constitution qui inclut une clause réduisant le rôle de l’État, d’où la parcellarisation du patrimoine national au profit d’entreprises étrangères). De plus, le plan ethno-nationaliste prévoit : la conduite de procès pour trahison à la Patrie et pour complicité de corruption [20] ; le retour à la Constitution velasquiste de 1979, le rejet du Traité de libre-échange signé avec les États-Unis, un salaire minimum pour les congressistes, la réactivation du secteur agraire natif et une autosuffisance alimentaire, la dépénalisation de la culture de la feuille de coca, la collectivisation ou étatisation des chaînes de télévision et des banques privées, le rejet des plans proposés par le FMI et la non reconnaissance de la dette externe contractée illégitimement, la re-nationalisation des entreprises privatisées, la convocation d’une assemblée constituante intégrée par des individus et non par des partis politiques, la récupération des territoires perdus au profit du Chili et de l’Équateur [21]. Ces propositions plus philosophiques que programmatiques s’insèrent dans l’enseignement ethno-caceriste dispensé au sein d’un réseau d’Écoles de formation idéologique présent dans la capitale et en provinces et dans la presse ethno-nationaliste [22]. De plus, l’essence de ces propositions a été reprise, de façon plus ou moins modérée, par le parti politique mené par Ulises Humala, Avanza Pais et par le Parti Nationaliste Péruvien, qui s’est joint au parti UPP et Ollanta Humala pour les élections 2006.

Actions du Mouvement ethno-caceriste

Le mouvement ethno-caceriste a fait son entrée sur la scène nationale lors des événements du 20 octobre 2000. Dans la ville méridionale de Tacna, à la frontière peruano-chilienne, les frères Ollanta et Antauro Humala avaient organisé une mini-rébellion contre le régime alors déliquescent de l’ex-président Alberto Fujimori. Ce geste a consisté en l’occupation de l’une des propriétés de la mine Southern Perú Copper Corporation. Le mouvement ethno-caceriste tentait à ce moment à canaliser les mouvements de contestation qui n’arrivaient pas à trouver une voie représentative ni à la gauche, ni à la droite du spectre idéologique, ni dans aucune organisation de la société civile. Cet acte devait être une récupération des demandes mal ou peu canalisées durant le gouvernement de Fujimori ; un manifeste dénonçant les effets pervers du néolibéralisme et le déficit de représentation ethnique au sein des autorités. Officiellement, le communiqué adressé à la Nation et rédigé par Ollanta Humala stipulait alors que l’illégitimité de Fujimori à la présidence de la République était la cause de la convulsion politique et sociale vécue par le pays à ce moment, en raison du processus électoral frauduleux qui s’est déroulé lors de la (ré)élection du mandataire en juillet 2000. L’accusation englobait aussi le cartel formé par Vladimiro Montesinos (chef du Service d’Intelligence Nationale) et de ses généraux corrompus, enrichis par le trafic de drogue et la contrebande d’armes. Le soulèvement militaire du 20 octobre s’est caractérisé par la prise de la ville de Toquepala, à laquelle ont participé plusieurs divisions réservistes, comprenant des effectifs significatifs [23]. Peu de temps après, et en raison de pressions nationales et internationales pesant sur lui, Fujimori a choisi de fuir le pays, offrant sa démission par télécopieur. Le gouvernement de transition présidé par Valentin Paniagua a gracié les deux protagonistes du soulèvement suite à la pression populaire.

Le deuxième événement qui a retenu l’attention médiatique au sujet du MEC se réfère au soulèvement d’Andahuaylina qui s’est déroulé en janvier 2005 dans les Andes, au Sud du Pérou. L’insurrection militaire menée par le major Antauro Humala a consisté en la saisie d’un commissariat de police. Cet acte, largement appuyé par la population locale [24], revendiquait la démission du président Alejandro Toledo, de son modèle de gouvernance néo-libéral et des actes de corruption perpétrés au sein de son gouvernement [25] [26]. S’il est vrai que Toledo a joui d’une conjoncture économique favorable, sa politique de redistribution a été quasi nulle, aggravant le fossé déjà existant entre riches et pauvres. Après trois jours, la prise d’otage s’est soldée par la mort de quatre policiers, de deux réservistes et de trois civils, suivie de l’arrestation de 297 membres du MEC, dont d’Antauro Humala [27].

Options électorales liées au nationalisme ethnique

En raison de divergences d’ordre idéologique, les deux frères Humala ont décidé de présenter leur projet nationaliste chacun de leur côté. Ollanta Humala a choisi de s’allier au parti politique Unión por el Peru (et au Parti Nationaliste Péruvien, créé par son père, en 2000) tandis qu’Antauro Humala (et le MEC) a décidé d’appuyer son frère Ulises, candidat présidentiel pour le parti Avanza Pais - Partido de Integración Social [28], en proposant sa candidature comme congressiste depuis le pénitencier de Pierdras Gordas, où il se trouve en attente d’un procès suite aux évènements à Andahuaylas.

La candidature d’Ollanta Humala ne se fonde pas sur une doctrine ou un parti idéologique défini [29]. Elle repose plutôt sur des sentiments accumulés et un désir de changement radical, comparativement à la forme et aux propositions de ses confrères politiques. Compte tenu du faible parcours politique d’Ollanta Humala, sa candidature représenterait, pour plusieurs secteurs de la population, un retour au populisme et à l’autoritarisme. Dans l’histoire politique du Pérou, la grande difficulté à concilier une masse démographique aussi diversifiée en termes culturels et ethniques a découlé, à plusieurs reprises, sur l’arrivée improvisée au pouvoir de caudillos militaires ou, plus récemment, de politiciens « outsider » prêts à capitaliser sur la déception et le scepticisme généralisés face à la politique. Le rejet des partis a d’ailleurs été nourri systématiquement depuis l’État fujimoriste pendant la décennie que l’ethnologue péruvien Carlos Iván Degregori surnomme « la décennie de l’anti-politique » [30]. Toutefois, la négation des contrastes ethniques (et géographiques) et des tensions sociales comme l’ont fait plusieurs gouvernements dans le passé n’a fait que réanimer, encore plus violemment, les désirs émancipateurs. La présence d’Ollanta Humala au deuxième tour est un signe évident d’une demande de changement radical au sein de la société. Dans l’une de ses analyses, Degregori donne d’ailleurs le crédit à Ollanta Humala pour avoir ramené ces questions d’iniquité et de non reconnaissance comme points centraux du - maigre - débat politique. S’il est vrai qu’il a imposé ces thèmes utilisant des modalités rustres et une attitude polarisante, selon l’auteur, existerait-il d’autres façons d’attirer l’attention sur ces aspects centraux, dans un pays comme le Pérou [31] ?

La demande fondamentale d’Ollanta Humala, bien qu’elle soit présentée comme démocratique, est fondée sur l’insatisfaction et la rage, ce qui a motivé des sentiments peu conciliateurs et même des actions violentes au sein de la population partisane qui dissocie difficilement le labeur ethno-caceriste du parti présidé par Humala [32]. Tandis que certains analystes tentent d’expliquer superficiellement ce « vote de frustration » des dernières élections, par un aveuglement populaire et émotif caractéristique des masses défavorisées, d’autres associent l’allégeance de ce 30 % à une crise plus profonde du système politique, résultat de la crise de représentation et de « représentabilité » [33] qui a émergé au cours des dernières années. En d’autres mots, la carence historique d’une vision générale du pays.

Ce qui différencie fondamentalement les deux trajectoires des frères Humala en contexte électoral relève essentiellement de versions plus ou moins modérées d’un même discours nationaliste, dans le cas d’Ollanta Humala, plus nationaliste qu’ethnique, proposant avant tout l’équité et l’égalité. En nuançant certains aspects de fond et hypothéquant - publiquement, du moins - l’essence violente ethno-caceriste, Ollanta a opté pour une distanciation face au camp familial afin d’offrir une option électorale plus mesurée, programmatique et conciliatrice que le nationalisme exacerbé attribuable à l’ethno-cacerisme [34]. Le projet national d’Ollanta Humala repose fondamentalement sur le respect du multiculturalisme et de la souveraineté nationale et l’austérité, entre autres, par l’incursion de l’État dans l’économie, la nationalisation de ressources stratégiques [35], la renégociation de contrats signés avec des firmes privées et étrangères, la révision du Traité de libre-échange avec les États-Unis (signé en avril 2006), le renoncement au salaire de président [36], un fort investissement dans le secteur agricole, une campagne de promotion des produits nationaux, une augmentation du budget en éducation, une baisse des prix des combustibles et le retour à la Constitution de 1979. Cette proposition est d’ailleurs l’un des points principaux de son programme électoral et elle semble être partagée par son rival au deuxième tour, Alan García. L’éditorialiste Federico Salazar faisait allusion au fait que les deux candidats proposaient des choses très semblables, se différenciant seulement en degré et non en principe, entre autres, dans la formulation, la définition et la présentation des propositions. L’analyste touche ici un point intéressant ; une idée qu’il développe de nouveau le 30 mai 2006 : « Dimanche prochain, le Pérou devra choisir entre deux types de dirigisme économique. Il va opter pour deux partis d’origine fasciste [37] ». La projection d’un nationalisme intégrateur proposé par Ollanta Humala suscite nonobstant un climat de crainte au sein de plusieurs secteurs de la société, plus spécifiquement chez les groupes socio-économiques plus favorisés et les investisseurs. En effet, l’apparence conciliatrice est aisément contredite par le passé militaire du candidat à la présidence, par ses antécédents irrésolus au sujet de dénonciations pour de possibles violations des droits de l’homme [38] et sa présumée relation avec le fujimorisme, son appartenance familiale et son cheminement idéologique lié à une doctrine subversive et raciste. La guerre sale qui s’est produite dans les médias a contribué à extrapoler un climat d’incertitude et de peur ; celui-ci étant dû à l’imputation de déclarations venant du clan familial du leader nationaliste et aux actions commises par ses partisans. Ces commentaires font effet notamment d’une amnistie pour les leaders d’organisations terroristes Abimael Guzman et Victor Polay [39], de l’exécution des homosexuels et de l’étatisation (et la censure) des principaux médias de communication [40].

De son côté, Ulises Humala, associé au Mouvement ethno-caceriste, propose un programme rénovateur et révolutionnaire. Selon le manifeste idéologique d’Avanza Pais disponible en ligne, son auteur suggère toutefois une voie essentiellement non-violente, en lien avec le socialisme, le libéralisme et la démocratie, afin de re-nationaliser le pays, proposant un nationalisme ouvert, tolérant et démocratique [41], ce qui semble toutefois détonner par rapport à la position plus radicale du clan Humala.

Un ballottage mouvementé

Suite à un premier tour difficile où les médias ont mis davantage l’accent sur les attaques personnelles entre candidats, soulignant à outrance le côté obscur du leader nationaliste, masquant le passé désastreux du candidat de l’APRA (aussi accusé de violation des droits humains et d’enrichissement illicite), une demande généralisée s’est fait entendre revendiquant une campagne plus « propre » pour un second tour qui a tardé à débuter. L’anxiété du « vote par vote » après plus d’un mois d’attente a engendré une mise en scène étrange : l’accalmie totale, une angoisse silencieuse avant le début officiel d’une seconde campagne électorale entre Ollanta Humala et Alan García.

Dans un premier temps, nous avons pu apprécier une modération du discours radical « humaliste » (bien qu’il ait adopté une poigne plus ferme au cours des derniers jours), qui ne s’est pas toutefois traduit par un réalignement significatif en termes politiques ; le candidat ne déclinant pas la possibilité de concertation, si celle-ci ne viole pas l’essence première de son programme. Malgré sa solide base d’appui dans le Sud andin, le nouveau discours « pacificateur » du leader nationaliste est largement critiqué dans la sphère politique et médiatique. Parallèlement, la tension autour du deuxième tour a été largement alimentée par une série d’évènements, dont l’intromission des présidents vénézuélien, Hugo Chavez, et bolivien, Evo Morales, dans le processus électoral péruvien (ceux-ci appuyant ouvertement le candidat Humala) [42], par les déclarations polémiques au sujet d’une possible fraude électorale, la prise de position du Président Alejandro Toledo dans le processus électoral (appuyant subtilement García) et polarisant les options par l’introduction d’une dichotomie « démocratie versus autoritarisme », la libération conditionnelle d’Alberto Fujimori et ses commentaires depuis le Chili, la bande audio rendue publique où Montesinos témoigne de la participation d’Ollanta Humala dans la réélection de Fujimori, les incidents violents survenus à Cusco, etc. [43]. En somme, un contexte digne d’une véritable novela latino-américaine !

De plus, le « débat autour du débat » a finalement cédé le pas au débat présidentiel qui eut lieu le 21 mai dernier. Bien que le format de la rencontre n’ait pas permis aux deux candidats de débattre pleinement des cinq enjeux fixés préalablement, il semble qu’Humala ait démontré un certain avantage sur son adversaire et ce, à la grande surprise de tous. Il semble que les habiletés oratoires d’Alan García aient souffert un revers face au caractère agressif et provocateur du chef nationaliste, invalidant le mythe selon lequel García sortirait facilement vainqueur de cette rencontre. Jusqu’au tout dernier moment, les sondages pré-électoraux le donnaient pour vainqueur avec une confortable avance entre 15 et 20 points ; le dernier sondage de la firme Apoyo diffusé lors du programme Cuarto Poder (du 28 mai dernier) indiquait toutefois une remontée d’Humala. La logique électorale semble toutefois tournée et, autour du « moindre mal », passant sous silence l’administration désastreuse de l’ex-président. Avec l’amère défaite des gauches et sa quasi disparition au niveau législatif, la présence significative du Fujimorisme au Congrès (la candidate la plus votée ayant été la fille d’Alberto Fujimori), la cote de popularité descendante du mandataire Toledo et la présence de manifestations radicales et violentes, il y a lieu de réfléchir - une fois encore - sur l’articulation des demandes citoyennes qui, d’une main revendiquent un état démocratique et de l’autre, optent massivement pour des solutions à court terme.

Conclusion

Finalement, les plus pires scénarios de violence auront été écartés. Le jour des élections du 4 juin dernier s’est déroulé sans aucun accrochage majeur, mis à part la divulgation de délits électoraux mineurs survenus au Nord du Pérou. Quatre-vingt-dix mille effectifs policiers étaient en poste dans tous les coins du pays afin de faire respecter les premiers résultats du scrutin, soit une victoire virtuelle du candidat Alan García qui, après le dépouillement de 91 % des votes, arborait une avance de 7 points face à son rival, Ollanta Humala (53,5, % face à 46,5%), selon les sources de l’entité officielle ONPE. La fameuse théorie du « moindre mal » (ou de « vote utile » selon les termes de García) aura donc porté fruit, offrant l’opportunité à Alan García de reprendre la bannière présidentielle après seize années d’absence. Cette victoire serait d’ailleurs une première dans l’histoire latino-américaine : la première fois qu’un ex gouvernant ayant mené son pays à une crise hyper inflationniste retourne à la présidence. De son côté, la défaite amère acceptée par Ollanta Humala n’aura pas été inutile. En plus de représenter la première majorité législative, d’avoir gagné 14 des 24 départements péruviens, sa victoire se résume à avoir pu organiser l’agenda politique autour de cette distance incroyable existant entre les Péruviens, d’avoir réveillé les consciences au sujet des conditions de vie aussi disparates au sein du Pérou.

En somme, dans ses efforts de reconstruction démocratique, le Pérou demeure toutefois aux prises avec une fragmentation partisane importante, des taux de méfiance envers la politique extrêmement élevés et des mécanismes de représentations faibles, il n’est pas surprenant que les élections de 2006 aient offert, une fois encore, un tel « spectacle » : plus de vingt partis politiques en liste, une fragmentation législative importante, une logique polarisante, des propositions irresponsables fortement populistes, une campagne ciblée sur les attaques multiples, l’intromission de personnages externes déstabilisant la campagne, le travail questionnable des médias de communication, etc. Et maintenant, notre réflexion doit revenir au prochain gouvernement, sur ses priorités et sur son style de conduite politique : Alan García aura-t-il véritablement changé ? À cette question, l’opposition qui le talonnera se chargera de rappeler incessamment à Alan García que sa victoire s’est appuyée non pas sur un consensus national, mais bien sur des « votes empruntés ».

notes

[1] Maxwell A. Cameron, Democracy and Authoritarianism in Peru : Political Coalitions and Social Change, New York, St. Martin’s Press, 1994.

[2] Voir : Steven Levitsky et Maxwell A. Cameron, « Democracy without parties ? Political parties and regime change in Fujimori’s Peru », Latin American Politics and Society, Vol 45, No 3, Automne 2003. pp. 1-33.

[3] Deborah J. Yashar, « Democracy, Indigenous Movements, and the Postliberal Challenge in Latin America », World Politics, Vol. 52, No 1, Octobre 1999, pp. 76-104

[4] Cette expression largement employée dans la sphère publique utilise la métaphore d’un robinet ouvert où l’eau retomberait éventuellement sur ceux « d’en bas », en référence à la manne produite par le modèle néo-libéral.

[5] Oscar Espinosa de Rivero, « Desafíos a la Ciudadanía Multicultural en el Perú », Dans N. Vigil et R. Zariquiey (dirs.) Ciudadanías inconclusas : El Ejercicio de los derechos en sociedades asimétricas, Lima, Pontificia Universidad Católica del Perú, 2003, pp. 77-89.

[6] Voir : Cecilia Méndez, « Republica sin indios : la comunidad imaginada del Perú », Dans H. Urbano (éd.), Tradición y Modernidad en los Andes, Cusco, CERA Bartolomé de las Casas, 1992, pp. 15-41 ; Cecilia Méndez, Incas si, indios no. Apuntes para el estudio del nacionalismo criollo en el Perú, Lima, Instituto de Estudios Peruanos, 1993, Documents de travail No 56.

[7] Donna Lee Van Cott, « Institutional change and ethnic parties in South America », Latin American Politics and Society, Vol. 45, No 2, Été 2003, pp. 1-39.

[8] Jorge Serrano Torres, « Los hermanos Humala y el etnocacerismo en el Perú », Voltairenet.org, 21 février 2005. En ligne : voltairenet.org

[9] Antauro Humala Tasso, Ejercito peruano : Milenarismo, nacionalismo y etnocacerismo, Instituto de Estudios Etnogeopoliticos, Lima, 2001, 400 p.

[10] Voir : Javier Protzel, « Demandas de reconocimiento y ofertas autoritarias : la etnicidad en la política », Revista Contratexto, No 3, 2005. En ligne : ulima.edu.pe

[11] Carlos Contreras et Marcos Cueto, Historia del Perú contemporáneo : Desde las luchas por la independencia hasta el presente, Instituto de Estudios Peruanos, Lima, 2004, 420 p.

[12] Le gouvernement du Général Velasco Alvaro proposa plusieurs changements radicaux, dont l’expropriation et la nationalisation d’entreprises privées et étrangères, un autoritarisme en matière commercial, une réforme agraire, une philosophie communautariste et coopérative, etc. Parallèlement, il y eut contrôle social, levée de la liberté d’expression, censure des médias de communication, corruption au sein des institutions, bureaucratie immense, et lenteur administrative, etc. Voir : Conteras et Cueto, op. cit.

[13] Humala Tasso, 2001, loc. cit., p. 373 ; Antauro Humala Tasso, « El contra-ataque del etnocacerismo », Dans Andahuaylazo etnocacerista, durante et despues : La voz del Etnocacerista, Lima, Editions Antaurpi, 2005, p. 17.

[14] Le MEC entretient des liens étroits avec les mouvements autochtones boliviens (Movimiento Indio Pachacuti - MIP de Felipe Quispe ‘Mallku’, Movimiento al Socialismo - MAS d’Evo Morales) et équatorien (Confédération nationale indigène de l’Équateur - CONAIE), témoignant d’un axe ethnico-nationaliste dans la région andine.

[15] Romero Grompone, La escisión inevitable : Partidos y movimientos en el Perú actual, Lima, Instituto de Estudios Peruanos, 2005, 212 p

[16] Traduction libre. Voir. : Ignacio De Ferrari, « El Nacionalismo y los Humala », Perupolitico.com, 10 décembre 2005. En ligne : perupolitico.com

[17] Selon Eduardo C. Valdivia, le réserviste a le profil suivant : jeune, masculin, niveau de scolarisation limité, sans emploi, provenant de zones semi-rurales ou semi-urbaines. Du point de vue ethno-caceriste, le réserviste se représente par un jeune péruvien victime du gouvernement, mal ou sous-alimenté, trahi par ses gouvernants et insulté sur sa terre par les étrangers [...]

[18] Antauro Humala Tasso, « A quien se subordinan las FF.AA. », Dans Andahuaylazo etnocacerista, durante et después : La voz del Etnocacerista, Lima, Editions Antaurpi, 2005, pp. 38-39.

[19] Les préceptes de l’Empire inca peuvent être résumés en les trois règles suivantes : « ne pas être faible, ne pas voler ne pas mentir ». Voir : Serrano Torres op. cit.

[20] La doctrine ethno-caceriste se base sur un code d’honneur strict, une discipline militaire indiscutable, où abondent les punitions. L’élimination par voie judiciaire (procès, incarcérations) ou par voie violente (pelotons d’exécution, peine de mort) des ennemis est d’ailleurs l’un des aspects du projet ethno-caceriste.

[21] S.a., « Propuestas etnocaceristas », Antauro, No 61, 10-25 mars 2006, p. 1

[22] Un bimensuel lancé par Antauro Humala dénommé « Ollanta » (et par la suite, rebaptisé « Antauro ») est vendu à un « nuevo sol » (0,3 dollar) et son tirage varie entre 60 000 à 140 000 exemplaires à l’échelle nationale. Voir : Serrano Torres, op. cit.

[23] Une investigation de la Police Nationale du Pérou tente présentement de démontrer que le soulèvement de Toquepala aurait été un écran de fumée qui permit à Montesinos de s’enfuir du pays. Ces accusations tentent aussi de démontrer une possible relation entre Humala et le duo Fujimori-Montesinos. Voir : PERU 21], Pérou, 6 avril 2006.

[24] Selon un sondage de l’Université de Lima, suite au soulèvement de janvier 2005, le taux de sympathie au message "ethno-cacériste" se chiffrait à 34 % Source : ulima.edu.pe

[25] Voir : David Bloom, « Peru : Military Revolt in Andes ; Pipeline Protest in Amazone”, Weekly News Update on the Americas, 9 janvier 2005. En ligne : ww4report.com

[26] En plus de son image négative reliée à sa consommation d’alcool, son esprit fêtard et ses retards répétés, le gouvernement Toledo est accusé : d’avoir accéder au pouvoir via la falsification de signatures qui lui permit d’enregistrer son parti Peru Posible aux élections de 2000, de pratiquer le trafic d’influence (népotisme) et de personnaliser sa gestion autour de sa personne.

[27] Chrystelle Barbier, « Ollanta Humala, ancien militaire, tenant d’un nationalisme ethnique, crée la surprise dans les sondages », Le Monde, 13 janvier 2006. 28 Le parti a obtenu 0,2 % des votes. Source : ONPE, En ligne : elecciones2006.onpe.gob.pe

[28] 28

[29] Le Parti Union por el Peru fut créé en 1994 par l’ex- Secrétaire des Nations unies, Javier Pérez de Cuellar, pour les élections de 1995 contre Alberto Fujimori, où il fut défait.

[30] Carlos Iván Degregori, La década de la antipolítica. Auge y huida de Alberto Fujimori y Vladimiro Montesinos, Instituto de Estudios Peruanos, Lima, 2001.

[31] Carlos Iván Degregori, « Reconocimiento », PERU 21, Pérou, 3 juin 2006, p. 4.

[32] Cela a dégénéré en de multiples attaques physiques et verbales lors de la campagne électorale, dont le dernier évènement en date est la confrontation entre « Apristes » et « Humalistes » dans la ville de Cusco qui s’est soldé par trois blessés par balle du côté du camp « humaliste ».

[33] Le concept de « représentabilité » est emprunté à l’auteur Martin Tanaka. Voir : Martin Tanaka, « La propuesta de la CVR sobre reformas institucionales : ¿Cómo enfrentar el problema de la exclusión social ? », Cuestión de estado, Instituto de Dialogo y Propuestas - IDS, No 33-34, Lima, mars 2004.

[34] Afin d’adoucir son image, il a même fait appel à Gonzalo García Nuñez comme compagnon de formule présidentielle, ex-directeur de la Banque centrale de la réserve (BCR).

[35] Le candidat a été ambigu sur ce point, stipulant que son type de nationalisation ne sera pas le fruit d’expropriation ni d’étatisation, mais d’une présence régulatrice de l’État dans l’économie, en autres, par l’acquisition d’actions d’entreprises privées et la participation minoritaire dans certaines d’entre elles.

[36] Le salaire du président a été fixé par Alejandro Toledo au début de son mandat : il s’agit d’une somme de 18 milles $US par mois. (et en moyenne, 10 milles $US pour un congressiste).

[37] Federico Salazar, « Primero hay que pagar las cuentas pasadas », PERU 21, Pérou, 9 mai 2006, p. 4 ; « El Pleito de los Siameses », PERU 21, Pérou, 30 mai 2006, p. 4.

[38] Ollanta Humala est accusé d’avoir commis plusieurs actes d’enlèvement, d’assassinat et de torture sous le pseudonyme de « Capitan Carlos » lorsqu’il était en charge d’une base contre-subversive dans la région de Madre Mia, dans la jungle centrale, en 2002. Jusqu’à présent, Humala a clamé son innocence, mais son cas est toujours à l’étude par les autorités judiciaires. Voir : Correo, Pérou, 6 février 2006 ; La República, Pérou, 6 février 2006.

[39] [NDLR] Respectivement leaders emprisonnés des guérillas Sentier lumineux et Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru.

[40] Voir : PERU 21, Pérou, 22 mars 2006 ; PERU 21, Pérou, 28 mars 2006 ; PERU 21, Pérou, 19 mars 2006

[41] Voir : Parti Avanza País, « Ideología : Fundamentos doctrinarios », 2006, En ligne : partidoavanzapais.org

[42] Voir : PERU 21, Pérou, 25 avril 2006 au 4 mai 2006.

[43] En récupérant ce commentaire, Humala a lancé une « bombe » le 27 mai dernier, en dénonçant une supposée alliance entre Alan García et Vladimiro Montesinos et un pacte d’impunité avec Alberto Fujimori. Voir : PERU 21, Pérou, 28 mai 2006.

source

La Chronique des Amériques, juin 2006, n°22. Observatoire des Amériques. Université du Québec à Montréal (UQAM) :: lien
0
sujet activé par la rédaction :: 0 réponse[s]
depeches
abonnes
v06 nouvelle série | n41
Résistance : n.41 :: Recul électoral du Front national. À qui la faute ?
avril-mai 2007
Niveau 1 :: Jeune dissidence
Niveau 2 :: La Lettre « Les Nôtres »
Niveau 3 :: Résistance Hors Serie
 
 
© 2002–07 :: v2.0
dernieres actualité
Un communautarisme indécent : une négation de la démocratie et de la République :: 7/06/07
Dimanche, votez Djamel Bouras, si vous le pouvez… :: 7/06/07
L’Arlésienne nationale patriotique :: 6/06/07
Prisonniers palestiniens et arabes détenus dans les prisons israéliennes. Face à la barbarie sioniste : ils résistent :: 5/06/07
Les cents jours :: 5/06/07