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Vendredi, 14 Septembre 2007 |
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Les jeunes en rang serré derrière Poutine
A l’approche des élections, le parti du président peut compter sur des organisations de jeunesse plus dynamiques que jamais. Jusqu’alors utilisées comme force de frappe, elles constituent désormais un vivier de cadres politiques.
Seliguer 2007, le camp d’été du mouvement Nachi [Les Nôtres], l’organisation de jeunesse du parti Russie unie, aura accueilli au total plus de 10 000 jeunes. Un succès sans précédent au cours des quinze dernières années. Ce grand rassemblement festif, qui marque la renaissance des traditions soviétiques du Komsomol et des Pionniers [mouvements destinés à encadrer les jeunes et les enfants à l’époque soviétique], prend toute son importance dans la perspective des élections législatives [décembre 2007] et présidentielle [mars 2008].
L’élite politique russe a manifesté un intérêt exceptionnel pour ce camp. Des gouverneurs, des ministres, les deux vice-Premiers ministres « successeurs » potentiels de Poutine [Sergueï Ivanov et Dmitri Medvedev] et le président lui-même ont rendu visite à cette jeunesse militante, discuté avec elle, échangé des idées. Outre une marque d’attention paternelle de la part des politiciens chevronnés, cela ressemblait aussi à une reconnaissance des services rendus par les politiciens en herbe. Les organisateurs avouent eux-mêmes que Seliguer a depuis longtemps cessé d’être un simple camp d’été. C’est devenu une immense fabrique de responsables, qui transforme les jeunes en militants intelligents, aptes à agir. « Faire Seliguer », c’est comme effectuer un service militaire : on y entre un gamin, on y sort un homme.
Le quotidien du camp donne une vision complète de ce à quoi le mouvement Nachi se prépare pour les mois à venir. Il s’agit tout d’abord de faire en sorte que les élections soient irréprochables. Ils devront donc essayer de mettre un maximum de bureaux de vote sous leur contrôle. Plusieurs dizaines de milliers d’observateurs répartis à travers le pays tâcheront d’assurer un déroulement sans fraude du scrutin, privant ainsi certaines bonnes âmes partisanes de pouvoir entonner l’éternel refrain du bourrage des urnes ou des pressions exercées sur les électeurs. Il faudra ensuite assurer un contrôle en douceur des rues. L’expérience des manifestations, à Moscou et ailleurs, montre qu’à la moindre velléité de « révolution orange » le mouvement est capable de mobiliser plus de 1 000 membres. De quoi paralyser toute action hostile au pouvoir.
L’organisation Jeune Russie [Rossia Molodaïa] est prête à aider Nachi dans cette tâche. Ce mouvement rassemble quelques milliers d’étudiants moscovites. Officiellement, il n’a que des préoccupations estudiantines, mais il a gagné une visibilité politique par ses actions dures et marquantes contre les opposants marginaux au pouvoir actuel. Jeune Russie compte à son actif des dizaines de raids, notamment contre le Parti national-bolchevique d’Edouard Limonov, désormais interdit, ainsi que contre les « orange » d’Oborona [La Défense] et contre l’Union populaire et démocratique de Mikhaïl Kassianov [ex-Premier ministre, aujourd’hui opposant à Poutine]. Les militants de Jeune Russie ont été les premiers à employer contre Limonov sa propre tactique « non violente » de jet d’œufs, provoquant la fureur du chef des nationaux-bolcheviques. L’audace et la créativité des membres de Jeune Russie font peur à leurs adversaires, qui s’attendent à les voir arriver chaque fois qu’ils organisent quelque chose.
Le réseau s’étend de Moscou à Vladivostok
Jeune Russie ressemble à un détachement de spetsnaz [commandos spéciaux] prêts à agir à tout moment. Ils sont capables d’aller occuper une place, de disperser un rassemblement d’opposants, bref, de s’assurer le contrôle d’une rue de la capitale comme d’une bourgade de province. Aux abords de Moscou, on trouve un autre acteur qui mobilise en masse : le mouvement Ceux d’ici [Mestnyé]. Il s’agit de plusieurs dizaines de milliers de personnes qui se qualifient pompeusement d’ « écologistes politiques ». Rares sont ceux qui savent qu’ils ont tenu, parallèlement à Seliguer, leur propre camp d’été sur l’Oka, d’où ils se sont rendus à Zavidovo [l’une des résidences officielles du président], avec les représentant des Nachi, de Jeune Russie et d’autres, pour rencontrer Vladimir Poutine. Leur credo est la lutte pour la protection de la nature dans la région de Moscou, mais leur action porte en fait sur la protection de la politique à Moscou. Ces derniers temps, leur principal ennemi est le Mouvement contre l’immigration clandestine [DPNI] d’Alexandre Potkine, et les fascistes en général. Sergueï Fateev, leur chef, a montré qu’il était possible de combattre l’attitude provocatrice des migrants et des gens originaires des régions du sur de la Russie par d’autres moyens que les bastonnades et les bagarres à coups de couteau. Il emploie des méthodes correctes, mais impitoyables, sillonnant les marchés et les coins louches de Moscou et des alentours, engageant le dialogue avec les diasporas. Le 12 juin 2006 [jour de la fête nationale russe], ils ont été 40 000 à manifester rue Tverskaïa, faisant une démonstration impressionnante de leur capacité à rassembler en quelques heures et en plein centre de la capitale des effectifs digne d’une armée. Le rôle de Ceux d’ici est donc de contenir les individus qui tentent de jouer sur les dissensions ethniques et de provoquer à Moscou un autre Kondopoga [Kondopoga est une ville de Carélie où, à la suite d’une rixe meurtrière dans un bar, une semaine d’émeutes avait éclaté début septembre 2006 contre les Tchétchènes et autres Caucasiens installés là, émeutes attisées par le DPNI qui s’était fait un nom à cette occasion]. Le réseau de mouvements favorables au pouvoir ne se limite pas à Moscou. Les villes stratégiques de la Volga sont tenues par Novyé Lioudi [Gens nouveaux] ; dans la même veine, tout à fait à l’est, on trouve Nacha Strana [Notre pays], basé au Primorié mais qui dispose de ramifications dans presque toute la région de l’Extrême-Orient russe.
Les mouvements d’opposition font pâle figure
Les combattants de saint Georges [mouvement de jeunes orthodoxes] et l’Union eurasienne de la jeunesse inspirée par Alexandre Douguine sont également des alliés idéologiques du pool pro-Kremlin, tout en restant à part. Ces groupes peu nombreux sont pittoresques mais efficaces. Conservateurs et traditionalistes, ils occupent des niches spécifiques, refusant avec force toute intervention occidentale dans les affaires intérieures de la Russie et adhérant à la « démocratie souveraine » prônée par le Kremlin.
Par rapport à tout ce monde, l’opposition fait pâle figure. Même lorsque Oborona fait le plein de ses supporters, elle est incapable de mobiliser plus de dix personnes pour manifester. L’Union populaire et démocratique de la jeunesse russe est déchirée par des conflits internes, et le Parti national-bolchevique font à vue d’œil. La coalition au nom ronflant d’Autre Russie s’est effondrée, enterrant tout espoir, même chimérique, d’une « révolution orange » en Russie. Seuls restent les provocateurs du DPNI, qui ne sont pas plus d’une centaine.
Bref l’échiquier politique de la jeunesse est solidement occupé par des mouvements patriotiques qui soutiennent sans défaillance le président Poutine. Leur loyauté est totale envers une politique qui leur semble absolument indispensable pour la Russie, et qui, en outre, leur donne une place et le sentiment d’être partie prenante de l’Histoire. Et le pouvoir a commencé à les récompenser.
Auparavant, les observateurs associaient l’attention accrue du pouvoir à la jeunesse à la peur d’un nouveau scénario « orange », et prêtaient aux mouvements favorables au pouvoir la fonction de gardes. Les derniers évènements montrent qu’ils sont aujourd’hui devenus des éléments à part entière de la politique d’Etat. Ces gardes se sont mués en révolutionnaires réformateurs, qui font pression sur les fonctionnaires pour exiger des changements radicaux de responsables. Après quinze années d’oubli, la jeunesse sort de ses lieux de relégations traditionnels (caves, bandes, etc.) et redevient non seulement une préoccupation d’Etat, mais l’acteur essentiel de cette politique.
Courrier International, n° 878, 30 août – 5 septembre 2007 |
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Niveau 2 :: La Lettre « Les Nôtres »
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Niveau 3 :: Résistance Hors Serie
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