France info, ce matin 8 mai, donnait le « la » pour une éventuelle danse à la grecque : la menace « totalitaire » serait imminente à Athènes. Pensez-donc, les partis gouvernementaux, la Nouvelle Démocratie et le Pasok, ont été étrillés par la colère populaire, et le durcissement de l’opinion fait surgir plusieurs mouvements radicaux, de droite et de gauche. L’insistance des commentateurs sur le succès relatif d’ « Aube dorée », un groupuscule vite qualifié de « néo-nazi », n’est sans doute pas fortuite. Le prétexte est parfait pour jouer sur les réflexes conditionnés et l’inquiétude de la « communauté internationale » (vieille connaissance) pour influer vigoureusement sur le cours des choses. Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des affaires étrangère, n’a-t-il pas prévenu, de façon assez elliptique, que si la Grèce élisait une majorité qui ne respectait pas ses engagements internationaux, elle devrait « en supporter les conséquences ». Les quatre états-majors, des Armées, de Terre, de l’Air et de la Marine, ont été changés au mois de novembre dernier. De surcroît, l’Eurogendfor, groupe de gendarmerie européenne, sous commandement bruxellois, créé secrètement pour affronter les troubles politiques et sociaux sur le vieux continent, avec autorisation d’utiliser les armes à feu, a été acheminé en Grèce. Devant l’impuissance annoncée des partis à constituer un gouvernement viable, il est question d’organiser, selon la constitution, de nouvelles élections au mois de juin. Un scénario à l’Algérienne est, pour l’heure, parfaitement possible. On se souvient qu’au début des années 90, devant l’imminence d’une victoire du FIS islamique, les élections avaient été invalidées, avec la bénédiction des « démocraties » occidentales, et que le coup d’Etat permanent des militaires du FLN avait continué, comme auparavant. Il suffirait d’un attentat opportun, si possible assez atroce pour marquer et sidérer les esprits, pour que l’Europe et ses hommes de main interviennent, et rétablissent l’ « ordre », avec les applaudissements de la presse internationale, les acclamations déclamatoires des gouvernements, et le soulagement des marchés financiers. Le pays serait ainsi ramené à la « raison », les fauteurs de troubles éliminés, et ceux qui auraient été tentés d’imiter les Hellènes, calmés dans leurs velléités de révolte. « Quand on veut donner une leçon aux singes, dit le proverbe chinois, on égorge un poulet devant eux. »
Car la Grèce, c’est l’Europe. Nulle critique de la dictature européenne des banksters locaux ne peut plus éluder les parentés qui rapprochent non seulement les situations économiques et sociales qui minent les nations de notre continent, mais aussi les forces qui s’opposent au diktat des gouvernements alignés sur l’internationale de l’argent. La période est comparable à celle de 1848, où des soulèvements, prévisibles, avaient incendié l’Europe. Le sort actuel de la Grèce est notre destin. Certains pays, comme l’Italie et l’Espagne, sont près de le réaliser.
En Grèce, en effet, accentués par la fragilité d’une société à l’économie très dépendante de secteurs fluctuants, comme le tourisme, les caractéristiques de l’ensemble de la zone européenne, présentes ou à venir, sont perceptibles. Un endettement monstrueux, provoqué par la finance internationale, a plongé une part importante de la population dans la ruine et le désespoir. Un plan dit de « rigueur » a été imposé par le FMI et l’UE, et n’offre plus guère d’avenir à une jeunesse désemparée. Une immigration exponentielle a fait exploser l’équilibre sociétal et divisé les citoyens, suscitant une atmosphère de violence endémique. De 800 000 migrants officiels, sans compter 200 000 clandestins, en 2001, pour une population de 11 millions d’habitants, on est passé, en 2011 à 3 millions d’immigrés, dont 1 million de « sans papiers ». La situation géographique de la Grèce en fait une voie de passage. La Turquie est une vraie passoire. Il était question de bâtir un mur à sa frontière. L’Union européenne aurait déboursé 250 millions d’euros pour la construction de camps de détention pour clandestins. Une classe politique cynique, pleine de morgue et de prétention, liée par des attaches multiples à l’oligarchie mondiale, se trouve complètement coupée du peuple. La destruction de la mémoire résistante phagocytée par la doxa américanisée, multiculturelle et internationaliste, de la nouvelle gauche, a provoqué un affaiblissement de l’immunité spirituelle des héritiers de Sparte. Encore qu’il faille nuancer : en Grèce, le degré d’oubli des luttes du passé, singulièrement incarnée par une résistance héroïque contre le nazisme, et le souvenir des gloires de Byzance et de l’Antiquité, est tout relatif, et semble capable de ressusciter l’énergie ancestrale.
Autant dire que la Grèce est un laboratoire. Et s’il nous arrivait la même catastrophe, il est probable que le résultat serait le même.
A quoi avons-nous assisté ?
D’abord, à l’écrasement complet des partis complices de la destruction et de la vassalisation du pays. De 2009 à 2012, le Pasok est passé de 44% à 13%, et la Nouvelle démocratie, de 32% à 19%, soit, à eux deux, de 77% en 2009, à 32% actuellement. Même avec 50 sièges de bonus, offerts par le système, l’établissement n’obtient pas la majorité. Restent les autres partis, qui rassemblent potentiellement les plus de 68% des suffrages qui s’opposent aux mesures d’austérité.
Cette opposition est loin d’être homogène, et c’est probablement là la rançon de la trahison des élites, qui ont fait en sorte de remiser au magasin des objets perdus les souvenirs des luttes populaires, et les traditions soutenues par des organisations de combat. Le peuple, séduit par la société de consommation, qui se révèle un leurre, en a été déboussolé, et ne sait plus à qui se vouer. Quelque 32 organisations se sont présentées aux élections pour entrer à la Vouli, mais seulement 7 y sont parvenues. Les 5 partis oppositionnels sont cependant trop disparates, voire ennemis, pour s’entendre et former une majorité, qui ne pourrait être que révolutionnaire. Il y a l'extrême gauche, la Syriza, qui obtient 16% des voix, et qui est proche de ce qu’est le Front de gauche en France. Cette organisation est arrivée en tête à Athènes, ce qui n’est pas sans importance. Son leader, Alexis Tsipras, a menacé d’en appeler à la rue. Rhétorique vaine ? Le Syriza est un mouvement d’artistes, d’intellectuels, et l’on ne sait pas bien ce dont elle est capable. Il y a aussi deux autres partis de gauche, les communistes du KKE (8% des suffrages) et les pro-européens de la Gauche démocratique (6%). Ces partis entretiennent des relations tendues. A « droite », deux partis occupent le terrain : les nationalistes du parti "Grec indépendant" (10% des voix), une scission de la Nouvelle Démocratie, et le parti " Aube dorée » (6,9%), qui prône une "Grèce libre, libre des requins de la finance étrangers, une Grèce indépendante et fière, délivrée de l'esclavagisme du plan de sauvetage", mouvement qualifié de « néo-nazi », étiquette que son chef, Nikolaos Michaloliakios, récuse. Quant au Laos, autre parti national, il a été laminé, payant ainsi le prix de sa trahison, et de sa participation au gouvernement.
Les forces ne sont pas encore dessinées, ni clarifiées. Si les élections doivent avoir lieu de nouveau au mois de juin, nul doute que des déplacements de lignes se manifesteront, possibilité que le pouvoir en place craint probablement, et qu’il tentera d’empêcher s’ils se produisent en sa défaveur. La situation, de son point de vue, est fort inquiétante, et grosse d’inconnu, voire de virtualité insurrectionnelle. Il faut bien sûr prévoir les pressions, les tentations : des trahisons risquent d’advenir, notamment chez les responsables du Syriza. Mais le peuple semble remonté, et les marges de manœuvre, de ce côté-là, sont périlleuses. A moins que la magouille soit épaulée par la force armée.