Beit Shemesh: Orthodoxes juifs contre sionistes religieux
Des adultes qui invectivent, crachent et menacent; des fillettes souillées de salive et d’insultes. Voilà une désagréable association, un sale couple qui nous rappelle le martyr quotidien des petites catholiques d’Irlande du nord. Des enfants qui doivent traverser les quartiers «loyalistes» (1) pour se rendre dans leurs écoles...
Mais l’objet de cet article ne se trouve pas à Belfast mais dans la ville de Beit shemesh, à l’ouest de Jérusalem/al-Qods. Il ne s’agit donc pas de tensions entre velléitaires israéliens et voisins palestiniens puisque la zone est exclusivement peuplée de juifs. Ici ce sont bien des juifs -orthodoxes, hommes en noir à caftan et papillotes- qui tiennent le rôle du bourreau. Ces haredim (un «courant» de l’orthodoxie) sont accusés de harceler de jeunes juives extérieures à leur communauté. Ils leur reprochent (entre autres) leur «façon impudique» (2).
C’est le cas d’une écolière de huit printemps - Naama Margolis- qui a focalisé la colère et crée l’affaire. Il est vrai que la situation semble d’abord similaire: en premier lieu une école pour jeune fille nichée au coeur d’un quartier hostile. Ensuite la haine d’hommes qui semblent lui refuser la simple liberté de circuler. Encore une fois des insultes («salope», «putain») et toujours la peur chevillée au coeur de cette toute jeune personne qui n’a pourtant que quelques centaines de mètres à franchir pour se rendre en classe...
L’image est poignante, le cas entendu, sans appel: du Figaro au site de l’AFPS (Association France Palestine Solidarité) les «ultra-orthododoxes» sont conspués. Il était d’ailleurs logique que les pro-palestiniens fassent bon écho à une histoire qui confirme les divisions profondes de la société israélienne et la radicalisme de certaines de ces composantes. Ce qui est déjà plus étrange c’est que la presse israélienne elle-même les qualifient volontiers d ' «intégristes» et leur groupe de «secte». Partout on en appelle à la laïcité et aux droits des femmes. Afin de faire la nique aux rabbis moisis et aux vieux barbus façon Mathusalem, «on» organise - non pas une manifestation - mais une «flashmob». Un cortège uniquement féminin a donc arpenté la petite cité de Beit Shemesh le 9 janvier, les mains levées, à la manière d’un concert en plein air...
Alors «amour sur la terre» contre «religieux réactionnaires»? Non, pas vraiment, puisqu’un examen même superficiel de cette triste histoire nous livre quelques éléments de complexité:
En premier lieu, nous sommes en droit de nous demander qui se cache derrière ce «on» bien impersonnel? Mais qui sont donc les victimes des vindicatifs haredim? Quelle idéologie soutient ces fiers amis de l’humanité toujours prêt à faire reculer la haine, surtout quand elle s’exprime au nom de Dieu? Et bien ces «laïcs» de choc victimes d’affreux orthodoxes ne sont rien d’autre qu’un petit groupe de sionistes, des sionistes religieux qui plus est! Un mouvement venant des états-unis et dont les femmes -visiblement elles-même en mal d’émancipation- portent foulard sur la tête et jupe sombre jusqu’aux orteils... Installés il y a peu, les «nationaux-religieux» (comme on les appelle dans l’état hébreu) venus de New-York ont bien l’intention de faire souche dans la ville aux dépens des vieux orthodoxes...
Nous comprenons alors mieux pourquoi des voix s’élèvent parmi la communauté haredi pour dénoncer un montage journalistique. C’est que la mère de la petite Naama a des objectifs plutôt clairs: « c’est du gouvernement que j’attends de mettre un terme à ce fléau». Des pancartes proclament «nous ne deviendrons pas un autre Téhéran» et une autre élève a ce commentaire plein de la désarmante sincérité des enfants: «Je voudrais qu’ils aillent dans une autre ville» (4)... Certains parents vont plus loin et les invitent franchement à «rentr(er) en Pologne» (sic). Car l’idée centrale est bien là, suivant une vieille habitude du sionisme colonial: les autochtones indésirables doivent faire place aux nouveaux arrivants. Le traitement appliqué hier aux Palestiniens pendant les Naqba (catastrophes) successives, certains juifs le connaîtront peut-être demain (5)... Aussi bien laïques que religieux, ils ont en commun de refuser la logique belliciste de Tel-Aviv et sa lecture matérialiste des textes bibliques.
C’est que nos haredim sont à la fois d’excellents juifs et de très mauvais israéliens: ils refusent le service militaire et ne s’intéressent à la politique que pour le financement de leurs écoles. Quant à l’idéologie sioniste, beaucoup n’y voit rien d’autre qu’une offense faîte à Yaveh, seul habilité à disposer de cette terre sacrée... Ces «craignants Dieu» sont surtout connus (et dénoncés) au travers de leur frange minoritaire et radicale, les neturei karta, mais bien d’autres mouvements haredim refusent la société militarisée israélienne (7) sans pour autant accepter de travailler avec ses ennemis.
Sans être fabriquée, cette situation de tension a donc été provoquée. Les sionistes-religieux ne sont ici pas moins déterminés que les orthodoxes. Cherchant un bélier pour ébranler leur citadelle, les religieux sionistes jouent la carte de la laïcité (pourtant loin de leur préoccupation) sur un plan national pour punir localement une communauté soudée qui échappe au sionisme politique. Il est également possible que le récent «mouvement des tentes» (une vaste contestation sociale, centrée sur le logement, et regroupant aussi bien des non-pratiquants que des religieux) ait suscité quelques inquiétudes chez les autorités israéliennes. Il serait alors logique pour leurs soutiens de chercher à diviser protestation laïque et opposition «casher». Affaire à suivre...