Si les symboles sont aussi importants que les faits, et si les faits n’existent que par l’écho qu’ils suscitent dans l’imaginaire, ce qui s’est passé ce dimanche 29 novembre en Suisse doit être saisi selon tout le poids des mouvements sociétaux qui génèrent les tournants historiques. Il se peut que les 57% de voix favorables à l’interdiction des minarets, à l’occasion de la votation provoquée par un parti populiste, referendum qui a bénéficié d’une large participation, soit le signe d’un apparent changement d’ampleur, d’un abandon massif de certaines inhibitions qui semblaient profondément arrimées à une société politiquement correcte, même dans l’ambivalente Helvétie, qui s’est toujours bien trouvée d’accompagner le cynisme le plus complaisant avec la vertu calviniste.
Il serait cependant injuste de désigner à l’opprobre internationale une nation qui n’est ni plus ni moins qu’une déclinaison de la communauté internationale, celle particulièrement de l’Occident développé, qui conjugue un laxisme délibéré en matière de politique migratoire, et une hystérie anti-islamique légitimant la géopolitique atlantiste menée par l’OTAN.
Bien sûr, l’interdiction de nouveaux minarets ne signifie pas que la religion musulmane soit soudain exclue de Suisse. Mais les cris d’horreur, les manifestations de honte dispensées par les bonnes âmes à longueur d’ondes et de fréquences, les menaces de rétorsion, du tribunal européen des droits de l’homme, montrent que les propagandistes de la vigilance institutionnalisée ont bien saisi le péril. Ces accents mélodramatiques ne nous sont pas inconnus. Nous les avons entendus quand la Serbie défendait son identité, quand l’Autriche osait défier l’Europe, et, chez nous, quand Jean-Marie Le Pen disait tout haut ce que tout le monde pensait tout bas.
Car le premier constat de cette expérience de démocratie directe, c’est que, encore une fois, le peuple s’est exprimé contre l’Etablissement, contre la vulgate imposée par les partis intégrés, les Eglises fondues dans la modernité anti-religieuse, contre les journalistes, les people, le gouvernement et tout l’appareil du régime. Souvenons-nous, chez nous, du résultat d’un certain referendum, trahi scandaleusement par un parlement qui, pourtant, était censé nous représenter…
A ce titre, il y a tout lieu de se réjouir que la Suisse d’en haut ait reçu quelque crachat de celle d’en bas.
Cependant, il serait stupide de se satisfaire d’une réaction qui paraît trop simple pour qu’on n’ait pas envie de douter de sa pertinence. Non qu’on ne comprenne le geste : une politique aberrante, cynique, criminelle, emphatiquement justifiée par des ronds de manches humanitaires, où l’intérêt de l’oligarchie se marie avec la stupidité des internationalistes de tous poils, a placé les classes populaires dans une situation souvent insoutenable, en créant, singulièrement en France, des zones de non-droit, des ghettos d’où les populations de souche sont exclues, ou bien dont elles sont les victimes. Le déni de souffrance chez ces Européens a provoqué chez eux une rancœur tout à fait explicable.
Sur un autre plan, la peur que provoque une religion que l’on présente volontiers sous les apparences les plus rébarbatives, avec les polémiques sur les Imams, le voile, la burka, les atteintes à la laïcité, le terrorisme etc., a donné à cette révolte un point d’ancrage, qui permet maintenant l’abandon de tout scrupule « moral » (ou moralisateur).
La vérité est que le libéralisme atlantiste joue sur deux plans : un déracinement, une acculturation, une perte radicale d’identité chez les Européens de souche, ce qui ouvre grand les portes à une société anonyme livrée au culte de l’argent, et la mise en scène d’un esprit de croisade, avec ses deux volets, soit chrétien, soit « républicain », qui permet de donner à l’agression américaine un motif rhétorique qui lui offre tous les droits.
Le refuge dans un bastion qui prétend défendre l’identité occidentale risque d’apparaître comme un faux-semblant et une escroquerie supplémentaire. Je ne pense pas que le christianisme, en soi, puisse confisquer ainsi l’être de l’Europe, ni la laïcité, qui est une création moderne, et d’ailleurs un fruit douteux du christianisme. En tout cas, certains musulmans sincères valent bien les sectateurs de l’économie de marché, de la consommation effrénée et d’un matérialisme débilitant. Vouloir placer le débat européen sur le ressentiment n’est ni glorieux, ni d’ailleurs efficace pour ceux qui visent la constitution d’une grande communauté de Brest à Vladivostok. L’Europe sera fidèle à ses racines ou ne sera pas. Ces racines, c’est la tolérance, celle qui naît d’une conception large, multiple et approfondie du sacré. La pluralité des cultes, qui rendent grâce à dieu, ou aux Dieux, qu’importe ! vaut mieux que l’inculture fière d’elle-même qui flatte l’amour-propre prétentieux des modernes. Je me sens plus proche d’un musulman pieux que d’un chien de garde d’un rationalisme finalement beaucoup plus dangereux, ou que des Evangélistes fanatiques venus de l’autre côté de l’Atlantique.