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Manifeste pour une Europe des peuples : les conditions pour une Europe solide
Un livre met à plat les résultats de l’Europe, telle qu’elle a été fricotée, dans le dos des peuples, depuis un demi-siècle ; et donne des pistes pour sa reprise en main par les Européens. Le Manifeste pour une Europe des Peuples, réflexions et propositions pour une refondation du projet européen, sous la direction de Jean-Michel Vernochet (aux éditions du Rouvre) est un outil bien conçu pour franchir cette première étape. Les 17 auteurs qui se retrouvent dans ces pages ne sont pas d’accord sur tout, en particulier sur l’euro. Les chapitres sur la politique de défense et de la place du nucléaire sont les plus équivoques (Pierre-Marie Gallois, Henri Paris) On y sent une hésitation sur l’évaluation de l’autonomie européenne réelle. Mais tous sont d’accord : la libre circulation des biens et des personnes n’est pas un idéal justifiant les autres effets néfastes de la soi-disant construction européenne. « L’Union » a été voulue par les USA comme outil pour nous vassaliser, et contre les anciennes nations : c’est l’équivalent de l’ALENA, regroupant USA, Canada et Mexique, que les USA veulent consolider maintenant : un espace de libre échange, extensible à volonté, et des institutions sans aucune limite de compétence. Le Traité constitutionnel est un fourbi incohérent qui permettait toutes les dérives, contre la volonté populaire, bien au-delà des questions de protection sociale. Au départ, c’est l’idée paneuropéenne de Richard de Coudenhove Kalergi, dès 1922, qui visa à insérer l’Europe dans la mondialisation (Pierre Hillard). L’ennemi est donc l’idée d’empire atlantique, intériorisé, assumé par les gestionnaires politiques de chaque pays ; et son visage se précise si on met l’accent sur son appendice israélien, fondé sur l’apartheid et l’arnaque : c’est l’empire USraélien, unifié par la marchandisation, le mensonge systématique, l’ambition totalitaire et le détournement de toute valeur à son profit. La critique juridique de l’actuelle Union (par Anne-Marie Le Pourhiet) est un socle : il s’agit de piétiner le droit de chaque nation et les libertés individuelles, en ce moment sous prétexte de combattre le terrorisme, à terme pour empêcher toute opinion populaire de s’exprimer, pour abolir la démocratie.
Les chapitres les plus lumineux sont consacrés à l’agriculture et à l’esprit-culture, les deux bouts d’une chaîne de rationalité se dégageant du bon sens et du passé au long cours. Le monde paysan est en voie de disparition, et l’Europe est dépendante, ne saurait nourrir sa population ((François Lucas, Pascal Laigneau). Tout cela est masqué par les excédents dans certains domaines, les jachères qui donnent à penser qu’on respecte sagement le repos nécessaire à la terre, les subventions qui font taire. Mais un pays dont on a chassé les paysans, les gens modestement attachés à leur terre et à leur fonction nourricière sacrée, est un pays dessouché, un pays vidé de sa sève, apte à la colonisation. Or c’est un constat qui fait l’unanimité : les urbains ont eux aussi, la nostalgie des solides paysans de jadis, des étables et des poulaillers, remplacés par les camps de concentration pour animaux. Avoir permis la destruction de la paysannerie est un crime contre l’esprit, et donc un crime contre l’humanité, comportant le déracinement des populations, la disparition d’une immense personne collective, et la négation du crime, masqué par la propagande officielle.
Les chapitres consacrés à la « révolution culturelle » nécessaire, contre « l’idiotie obligatoire » feront tout autant l’unanimité. Ils expriment un point de vue chrétien de gauche, soucieux de fraternité (Philippe Arondel, Jean-Michel Vernochet). Ainsi donc, par l’hommage aux ancêtres paysans devenus fantômes en souffrance, et à la tradition religieuse d’un espace géographique incontestable, ce livre fonde l’Europe dans la longue durée, reprend l’histoire en main [1].
Les autres chapitres sont les applications naturelles de la méthode consistant à prendre les problèmes à la racine, méthode qui pourrait devenir la bannière des Européens, car sur ce terrain, ils ne sont pas concurrents, alors qu’ils le sont en tant que rouages économiques, et que politiquement, les cicatrices sont éminemment douloureuses (Olivier Gohin, Pierre Leconte, Edouard Husson). Les auteurs veulent une confédération, le développement auto-centré (François Morvan) et l’application du principe de la préférence européenne (Maurice Allais), à la place du fédéralisme dissolvant qu’on nous propose en fait, et qui n’a pas de raison d’être, parce qu’il n’y a pas au départ d’Europe des peuples (Nicolas Dupont-Aignan).
17 des 25 Etats de l’Union actuelle sont membres de l’OTAN, ce qui entre en contradiction avec la déclaration de principe des 6 pays fondateurs de l’AEC, la LOL (Grande Bretagne, France, Allemagne, Espagne, Italie, Suède, grand exportateur d’armes), proclamée en 1998; l’étape prévue pour finir de balkaniser l’Europe des nations, l’Europe vivante, est l’intégration de la Turquie, processus en marche malgré toutes les protestations et dénégations officielles.
Mais si l’on ressuscite les nations (Jacques Myard), quelle garantie pour que celles-ci se battent « comme un seul homme » pour l’Europe ? Les migrations n’ont-elles pas installé au cœur de chacune l’ortie aux longues racines à fleur de terre, qui est l’ethnisation, avec son urticaire, la haine raciale ? L’immigration massive a déjà été utilisée par les USA pour briser la Yougoslavie, processus qui pourrait s’étendre à l’Europe entière, et les instances actuelles de l’Europe la défendent, sous prétexte de fournir de la main d’œuvre à l’industrie ; en fait, l’industrie délocalise et produit du chômage ; il s’agit donc avant tout d’une arme pour casser les salaires, les acquis sociaux, et les unités nationales, afin que partout, se polarisent en noir et blanc les rancunes stériles, et que soient détournées du véritable ennemi commun les colères salutaires. Or la lutte des classes n’a pas disparu, elle s’est complexifiée par le fait que les anciennes « classes dangereuses » sont désormais reconnaissables à un aspect physique qui n’est pas celui de la majorité. Le livre nous plaît, par sa critique radicale de la pseudo Europe existante, et la limpidité de ses propositions sur le thème populaire du « y a qu’à ». Mais l’alignement de préceptes vertueux (Anne-Marie le Pourhiet, Robert Charvin, Christophe Beaudoin) ne suffira jamais à redonner vie à la démocratie, comme idéal réveillant l’enthousiasme général [2].
Si la douche froide des bons écrits réveillait les élites, et si l’on imagine les Européens se levant pour défendre l’agriculture et l’esprit, on se trouverait devant une révolution, une vague debout, dont la puissance ferait table rase des précaires édifices actuels, bâtis sur le sable de la haute finance, la chimérique croissance, l’idolâtrie de la nouveauté et du progrès matériel, et sur le pouvoir de la « classe bavarde », les commissaires européens et leur cour.
Or il n’y a de révolution que portée par les plus misérables, qui sont les plus têtus, et contre les privilèges des élites. Le livre de Jean-Michel Vernochet ne pose pas la question de la lutte des classes. Dans un louable souci de réconciliation nationale, probablement, et de prudence par rapport à la censure qu’impose le dogme du monothéisme du marché, il évite de nommer l’ennemi intérieur, de se poser la question de savoir qui sont, sociologiquement parlant, les eurocrates. Christophe Beaudoin pose la question de ce qu’il appelle pudiquement la « délinquance européenne ». Dénoncer plus précisément les mécanismes d’alliance avec les plus gros capitaux, par lesquels les eurocrates se laissent corrompre, ce serait déjà les combattre et mobiliser les lecteurs [3]. Proposer la révision drastique des émoluments, cumuls et privilèges tribaux des eurocrates serait déjà l’imposer dans les esprits. Et si les mécanismes électoraux peuvent encore contrecarrer les anesthésiants injectés par les médias, alors les candidats et les élus au Parlement européen seraient nos héros, car les vendus déserteraient en masse cette arène. Tout consultatif qu’il soit, ce parlement serait un bélier contre l’exécutif européen, issu de la cooptation et de la pression des lobbies.
Le philosophe Manuel de Diéguez pense qu’outre sa créativité technologique, l’Europe s’est distinguée des autres civilisations par le culte de la sobriété, d’un certain ascétisme, et que cela a fait d’elle un empire plus fort que d’autres. Endosser l’armure du guerrier contre le gaspillage, comme le propose Jean-Michel Vernochet, est d’une extrême urgence. Mais il faut être radical, lier ce vœu au devoir de fraternité, lui redonner son statut d’impératif religieux, catégorique et incontournable : ni gaspillage entre riches frileux, ce que nous rêvons d’être, ni pillage de tous les autres. En ce moment, les mouvements de population depuis l’Europe de l’Est vers celle de l’Ouest sont spécialement encouragés, à titre de population ethniquement homogène : il s’agit en fait de renforcer le rejet populaire de l’immigration non européenne, et principalement africaine, destinée à servir de repoussoir dans l’imaginaire, sur le thème du terrorisme et de la barbarie antisémite, afin de justifier une restriction croissante des libertés et de l’égalité. Mais si le pillage de l’Afrique se poursuit, celle-ci continuera d’envoyer outre Méditerranée ses troupes entreprenantes et déstabilisatrices, que ce soit à l’abri des accords de Schengen ou selon d’autres modalités ...
L’Europe des nations et des peuples doit se reconstruire par un bond en avant, l’affirmation de la pleine humanité et citoyenneté de tous ses habitants, et non pas seulement des plus blancs. Les immigrants ayant en commun, globalement, leur fidélité à des croyances religieuses, ils peuvent résister bien mieux que les Européens déchristianisés à l’hédonisme destructeur et à ses sophismes pervers. Voilà le levier à actionner, pour le bien de tous : c’est ce qui peut rendre à l’Europe une pensée universelle, une santé morale, et donc l’imagination qui lui manque en ce moment. Créer une armée européenne, par conscription, dynamiserait le brassage ethnique indispensable, la loyauté et l’enracinement, outre que cela atténuerait le chômage, en rendant la place qu’ils méritent à ceux que l’école rejette, et qui sont un pourcentage incompressible de la population. Pour cela, il faudrait faire confiance aux jeunes les plus humiliés, et d’abord réintroduire un service militaire obligatoire dans chaque pays, selon des normes communes. Et l’on aurait une armée révolutionnaire…. Avec elle, on pourrait imposer l’arrêt du gaspillage et du pillage, s’attaquer physiquement à la caste au pouvoir. Cette armée nous libérerait du grillage idéologique où l’on veut nous enfermer. Nous n’avons pas le choix entre mondialisme-Europe vassalisée ou Confédération de nations sur la défensive, fortes parce que réactionnaires : ces deux tournures d’esprit ont en commun le consumérisme, l’ambition de se retrouver du bon côté, celui de l’opulence et de la jouissance, contre les nouveaux pauvres de l’Europe, et contre le reste du monde. Mais l’économisme, qui a besoin de la croyance au « droit » de consommation sans limites, est une perversion de l’esprit, pour toutes les religions ; en un sens, le rejet de l’économisme est même très exactement ce sur quoi elles concordent !
Le Manifeste pour l’Europe est un bréviaire utile. Jean-Michel Vernochet a su réunir les auteurs compétents, les données fondamentales (les notes du dernier chapitre sont une mine), les thèmes qui font l’assentiment des gens honnêtes contre les bonimenteurs serviles ; et il trouve, dans son chapitre de conclusion, les formules et les mots de bon aloi, qui font faire des bonds à la réflexion. Mais pour ressusciter la morte Europe, il faut un amour plus violent de la justice.
Le non au traité constitutionnel de l’Europe en 2005 n’a été qu’un coup de frein à l’anarchie capitaliste que les eurocrates veulent imposer aux Européens. Il reste beaucoup de chemin à faire aux Européens pour assumer le prix de leur dignité. Au moment où les Français viennent de choisir Sarkozy, il faut bien le constater : ce sont des Européens de tout âge et de toute condition, qui sont tentés par le conformisme fortifié, par la sécurité que semble garantir un petit voyou malin et sûr de lui, au sourire de crocodile. Des Européens barricadés, mais du côté des gendarmes, voilà ce qui s’est exprimé en France, comme choix de politique intérieure, aux dernières élections ; les manifestants nus dans la mer à Rostock, pour accueillir et défier George Bush, sont l’autre face de l’Europe, celle qui se soucie de politique étrangère et qui va au devant des confrontations glaciales ; Astérix, apparemment, s’est vendu, mais il y aussi l’autre face de l’Europe, celle qui a la beauté du risque. Or il n’y aura d’Europe qu’extrême, de droite ET de gauche, des jeunes imaginatifs d’aspect physique divers et des vieux blancs échaudés, ensemble.
[1] La revue italienne Eurasia, rivista di Studi Geopolitici, dans son numéro de janvier à mars 2007 complète cette démarche, en proposant un article de Claudio Moffa sur le processus d’intégration depuis l’empire romain, et une recherche de Come Carpentier de Gourdon sur les racines de l’identité culturelle et politique européenne.
[2] Un philosophe s’estimant, peut-être à juste titre, le Platon de notre Europe conclut, de la pauvreté d’esprit de notre classe politique, que l’Europe est morte, tout simplement, et il situe le problème au niveau même qui a fait le rayonnement de l’Europe, depuis la Renaissance, notre foi en la technique, qui insensiblement, a donné lieu à la réification de l’intelligence : « l'agonie foudroyante qui, dans le passé, a frappé les civilisations de la technique, nous enseigne qu'une manière de raison étriquée, peureuse et devenue toute administrative s'insinue dans l'intelligence politique normale et que l'infiltration bureaucratique conquiert le rang d'un acteur insidieusement souverain de l'histoire » (Manuel de Diéguez, « La mort politique de l’Europe », 6 juin). Cela rejoint la critique de l’énarchie, pour le cas français.
[3] Michel Dakar, par exemple, sur son site www.aredam.net , a reconstitué des bribes du tissu des accointances entre banques et magistrats de la Cour Européenne. Voilà un travail à prolonger et à étendre. |
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