Christianophobie : tout n’est pas permis
Ils étaient 5000 à manifester à Paris, samedi 29 octobre, contre la « christianophobie », et, particulièrement, contre la pièce scatologique et blasphématoire de Romeo Castellucci, dans laquelle le visage du Christ est enduit d’excréments.
Même si on peut prendre des distances quant au caractère chrétien de l’identité française, ce qui est sans doute en partie vrai, et qu’il est vital de défendre une liberté d’expression au demeurant très entamée par la police de la pensée actuelle, on peut comprendre la protestation contre la pièce infâme de Castellucci. Bien entendu, cette manifestation a eu moins d’écho que d’autres, plus conformes aux dogmes de l’oligarchie. Un cortège de trois pelés d'Act'up et de deux tondues de Ni pute ni soumise aurait eu plus d'audience et de sympathie médiatiques qu'un défilé de cathos, surtout si la hiérarchie de l'Eglise, toujours avide de se faire reconnaître par une société matérialiste et corrompue, et partageant de plus en plus les postulats protestants, « excommunie » les récalcitrants. Monseigneur André vingt-trois, et toute la kyrielle des évêques et archevêques de France, devraient se demander sérieusement pourquoi les messes sont si peu fréquentées, pourquoi l’Eglise se vide, et pourquoi le niveau de réflexion en son sein, qui devient un discours sociologisant et politiquement correct, est ravalé à un étiage aussi médiocre.
Le spectacle n’était pas aussi intéressant, dans la rue ou sur la scène, qu’il ne l’était dans les travées de la salle du Théâtre de la ville, lorsque plusieurs dizaines de manifestants s’avisant de montrer leur mécontentement il y a quelques jours, les spectateurs les conspuèrent et applaudirent à l’intervention musclée des CRS. Les commentateurs de l’avenir se gausseront sans doute de ce paradoxe : des bobos parisiens, imprégnés de vulgate contemporaine, baignant dans un conformisme qui, sous une apparence provocatrice, ne fait qu’entériner la stupidité destructrice du monde moderne, si uniforme, si bêta dans sa régression infantile, se mirent à huer la contestation et à soutenir frénétiquement la répression. Décidément, il y avait en ce temps obscur quelque chose de pourri dans le royaume de France. Le bobo montre bien dans quel camp il est, et ce n’est certes pas dans celui de la liberté libre, sinon dans celui d’une comédie triste, où les masques, les hypocrites (mot grec qui signifie « acteurs ») sont légions.
Bien plus grave. On est toujours l'intégriste de quelqu'un, surtout du système, d'ailleurs, lui, complètement intégriste dans sa promotion totalitaire de la modernité imbécile, incapable de comprendre la vraie altérité (qui est spirituelle) autrement que sous une forme artificielle et mensongère et qui, dans un autre temps, sélectionne ses oukases et ses indignations. La société postmoderne a consumé toute contestation « progressiste » dans la braise laissée par la pseudo-révolution de 68. Elle en a même fait son fondement, en l’utilisant comme arme de destruction massive contre les traditions, la mémoire, un passé qu’elle exècre comme signe d’étrangeté et de véritable critique de sa superficialité et de ses crimes. Il vaut mieux alors réduire sa portée, le disqualifier, l’assimiler au fascisme, au diable, à l’innommable.
Cependant, elle manifeste ainsi l’impossibilité contemporaine de penser. Car exercer cette capacité hautement inconfortable, c’est être confronté à l’altérité radicale, et non à ces fausses saillies qui jouent avec les signes de la révolte, et qui ne sont que la vile résignation à la chair triste, au rictus laid du sarcasme aveugle, et au jeu très intéressé, rémunérateur, de l’audace. Tout cela est bête, mensonger, du plus pur conformisme, et pour tout dire appartient à l’art pompier d’aujourd’hui, pour une bourgeoisie décadente et sans goût.
On voudrait donc que la religion ne fût qu’une option privée, inoffensive et aussi anodine qu’une bouteille de soda dans un rayon, et que toute profession de foi appartînt à cet entremêlement confus de discours qui affadit les choix, et les opacifie dans un brouillard relativiste. Tout se vaudrait, dans la meilleure des tolérances possibles. Cause toujours, cela n’a plus guère d’importance.
Cette société, qui a oublié ce qu’est la religion, qui ne croit plus qu’en le pouvoir de l’argent, qui se gausse cyniquement de l’authenticité des convictions, qui a érigé l’opinion en spectacle de la misère intellectuelle, doit apprendre à respecter. Tout n’est pas permis. D’ailleurs, elle ne nous fait pas faute de nous le rappeler, quand ça l’arrange.