Nous vivons, et c'est bien connu, dans une société de liberté. Et en effet on s'aperçoit au quotidien que les prises de position, les comportements, les choix des Français n'ont jamais été aussi divers et variés. On pourrait certes s'en réjouir de prime abord, puisque chacun semble faire ce qui lui plait, si cette liberté pour chacun de tirer la couverture à lui au nom de l'individualité, n'entraînait pas de facto la décomposition du tissu social. Paradoxalement, la division en classes sociales de la France d'hier respectait davantage l'esprit national aujourd'hui en voie de disparition. En fait l'atomisation de la société n'est pas uniquement une conséquence : c'est aussi une fin en soi. La leçon du combat entre Huraces et Curiaces n'a pas été perdue pour tous.

Là n'est pas le propos général. Force est de constater que si les choix individualistes sont respectés au sein de notre société, c'est parce qu'ils sont insignifiants politiquement. Quand bien même on peut, et bien souvent avec cette intention, choquer et se démarquer en se teignant les cheveux en rouge, le Système vous bénira d'autant. D'une part parce que la couleur de la tignasse lui est indifférent, d'autre part parce que le rouge provocateur toléré de ladite tignasse apparaît comme une preuve de la tolérance du dit Système. Si le rouge de la perruque a par trop choqué le sens esthétique de mes lecteurs, je les prie de m'en excuser. Il leur est tout autant possible de s'affubler d'une trentaine de piercings et autres anneaux sur le visage qui seront du plus bel effet. Là encore, même constat d'originalité et même cirage de pompes au Système qui se prévaudra de la tolérance dont il aura fait preuve.

C'est ainsi que les façons de se distinguer sont légion et qu'elles sont presque toutes acceptées. Presque. Chacun aura remarqué au sein de la mouvance qu'il est des sujets qu'il ne faut mieux pas aborder sous peine d'être lourdement sanctionné. D'une part en étant soumis à la vindicte populaire, d'autre part en étant sévèrement poursuivi devant les tribunaux. Ainsi l'indiquait une affiche sur un site de vente en ligne – patriotes production – « je suis fachopositif, tu danses avec moi ? ». Il est des affections dont la nocivité aux yeux du grand public, transcende toutes les autres. On remarquera que dans le cas présent, il n'est plus du tout question de liberté. On notera aussi qu'il ne vaut mieux pas par trop insister sur la réalité plurielle de l'occident ou faire référence à l'homogénéité ethnique chinoise ou perse. Peut être parce que ce sont cette fois ci les bases de l'occident pluriel qui se trouvent ainsi menacées.

A lire l'intervention de Bigard, on constate dès le départ qu'il ne maîtrise pas son sujet. Peut être en a t-il discuté avec des personnes qui en savaient davantage et qui resteront probablement toujours dans l'ombre. Il a sans doute de bonne foi souhaité exercer son droit à la liberté et à la différence. Que n'a t-il arboré la trentaine d'anneaux ou la rougeur de sa tignasse ? Chacun aurait souri, l'aurait complimenté et la liberté eut vaincu. Il a eu le malheur de croire que tout pouvait être dit sans exclusive aucune. Il s'est bien évidemment trompé. Menacé d'autant plus que cet humoriste est populaire, le Système a immédiatement refermé ses griffes. Et tel Galilée devant le procès de l'inquisition – lui eut quand même droit à un procès -, le comique s'est livré à un mea culpa comme on lui demandait. Détail succulent, l'homme a justifié ses regrets en faisant remarquer qu'on l'assimilait à un révisionniste, ce qu'il n'était pas. Il oublie que Pierre Vidal Naquet, pourtant peu susceptible de compromissions avec les mauvais penseurs, avait déclaré que l'histoire était par définition révisionniste. Là encore, il ne maîtrise pas son sujet.

Paradoxalement, la bêtise de Bigard est tout à son honneur. C'est celle d'un homme qui a cru aux sirènes du droit à la différence ainsi qu'à la libre expression. C'est celle d'un homme simple, de bonne foi, tel que les rues de nos villes en regorgent. Il est beaucoup plus représentatif du Français moyen que ceux qui s'en réclament. Naïf, il est aujourd'hui déniaisé. Désormais il sait. Deux fois. D'une part, il est peu probable qu'il ait changé d'avis et il n'est pas impossible que sur le sujet il se soit davantage documenté. D'autre part, il s'est rendu compte qu'un point de vue même licite, n'est pas toujours exprimable. Peut être a t-il manqué de courage. Et alors ? Il a fait bouger les choses. Pas tant qu'il ait réussi à convaincre les Français suite à son manque d'argumentations. En revanche, les Français ont pu constater vraiment qu'il y avait des choses que l'on ne pouvait pas dire en France aujourd'hui. En cela, l'intervention est un succès.

Que s'expriment, dix, cent, mille Bigard !