 |
Injure, dignité et caricatures
Dimitri Kitsikis, Ph. D. |
Tribune libre
|
La logique semble avoir quitté ce monde. D’une part, le délit d’opinion est sélectivement appliqué dans nos démocraties occidentales avec la plus grande rigueur, et d’autre part, on demande aux chrétiens de conserver un profil bas dans les pays traditionnellement chrétiens, de peur de déranger l’afflux d’immigrants récents appartenant à d’autres religions.
Moi-même, j’en ai été victime. Pendant le soulèvement étudiant de mai 1968, à Paris, j’étais un jeune universitaire de nationalité française. J’avais pris fait et cause, en paroles, pour les révoltés, étant moi-même de convictions maoïstes. Le résultat a été que j’ai été chassé de l’Université française et j’ai du chercher refuge avec ma famille au Canada, en acceptant l’offre, en 1970, d’un poste de professeur agrégé au département d’histoire de l’Université d’Ottawa.
Devenu citoyen canadien et promu, depuis, professeur titulaire puis émérite, ainsi que membre de la prestigieuse Société royale du Canada, je rends grâce à la tolérance de la société canadienne.
Néanmoins, j’avais laissé derrière moi mon célèbre collègue de la Sorbonne, le philosophe communiste Roger Garaudy qui a été traîné dans la boue et condamné par la justice française pour avoir publié un livre considéré comme mettant en doute l’holocauste juif. Même son ami l’abbé Pierre n’avait pas pu le sauver.
Depuis lors, dans tous les pays occidentaux, un déferlement de lois, condamnant sévèrement les « crimes de haine » de nature inquisitionnelle, ferma la bouche des historiens qui osaient remettre en question, à la baisse, le chiffre de 6 millions de victimes juives de l’holocauste. Bien que moi-même j’avais tendance à considérer ce chiffre comme étant un minimum, j’étais inquiet de voir condamner sévèrement des historiens pour délit d’opinion, sous l’accusation d’expression haineuse.
Je signale qu’actuellement, dans les prisons d’Allemagne et d’Autriche, se trouvent incarcérés six prisonniers d’opinion, dont David Irving et Ernst Zündel.
Bien qu’aujourd’hui, je continue à être maoïste mais tout de même chrétien, j’avais été horrifié, en venant en 1970 au Canada, invité à enseigner dans une université catholique, du moins jusqu’en 1965 et tenue encore par des oblats, de constater une pleine démission des croyances religieuses et pas seulement au Québec.
On monta à l’époque, au Centre des arts d’Ottawa, une pièce francophone qui insultait la Vierge Marie. Ensuite cela devint monnaie courante, jusqu’au célèbre tableau de la Vierge Marie, peinte avec de la merde d’éléphant, exposé en septembre 1999 au Brooklyn Museum of Art de New York.
Il y a deux mois, juste avant Noël 2005 – pardon, la période des Fêtes – la série télévisée américaine South Park, présenta, sous forme de caricatures animées, la Vierge Marie urinant du sang de son vagin sur la face d’un prêtre qui officiait.
On constate donc que seuls les chrétiens en Occident ont accepté de se soumettre aux injures, tandis que juifs et musulmans nous donnent l’exemple de la dignité. Il est bon de rappeler que lorsque des intellectuels occidentaux d’origine chrétienne insultent le Christ, ce sont des musulmans qui se révoltent contre le blasphème.
Par exemple, lors de l’arrivée sur les écrans du films La Dernière tentation du Christ, en 1988, les foules musulmanes d’Istanbul outragées (puisque Jésus est l’un des cinq principaux prophètes de l’islam) attaquèrent le cinéma qui projetait le film. Les chrétiens d’Occident ne bougèrent pas.
Bien que les 12 caricatures danoises insultant le Prophète Mahomet sont dans la tradition, déjà ancienne, d’un Occident ayant perdu les pédales et le sens des mots et bien que je sois un historien de tradition universitaire me méfiant de toute théorie du complot, il m’est fort difficile d’écarter de mon esprit que cette fois, cet acte blasphématoire provient d’une provocation de grande envergure.
Je m’explique.
Nous sommes en février 2006. La guerre planétaire qui a commencé le 24 mars 1999 avec l’attaque de la Yougoslavie par l’OTAN, en est à sa septième année. Le président George W Bush, après le 11 septembre, a déclaré à plusieurs reprises que cette guerre allait durer au moins pendant une génération, en se fondant sur l’idée de Huntington d’un conflit de civilisations, contre l’islam radical.
Cette guerre, qui comprend plusieurs étapes et plusieurs champs de bataille successifs, Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Liban, prépare les nouvelles étapes, celles dans le courant de 2006, l’Iran et la Syrie. D’autre part, le président Bush n’en a plus que pour deux ans à son poste de la Maison Blanche.
Qui va continuer cette guerre planétaire nécessaire (qui éventuellement se terminera par la confrontation USA-Chine) après 2006 ?
Ces caricatures sont insérées dans une petite publication d’un petit pays de l’OTAN. On s’arrange ensuite, au nom de la liberté d’expression, pour qu’elles soient reproduites dans les grands journaux des grands pays d’Occident et le tour est joué.
L’huile est sur le feu. Science-fiction ? Pas si sûr.
L’auteur est professeur émérite au département d’histoire, spécialisé dans les relations internationales. Il est membre de la Société royale du Canada. |
Article originellement paru dans Le Droit (Ottawa) le 02-02-2006. |
|
 |