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L’avenir de la Russie dépend de notre volonté
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10/08/04 |
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20.41 t.u. |
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Alexandre Dugin |
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Les politiciens en tant qu’hommes de spectacle et charlatans – Quel est le lien entre Dugin et Noukhaev ? – Eurasisme et atlantisme – Qui remplacera Koutchma ? – Il n’y a pas de communistes dans le KPRF – Comment faire revivre le Nord ? – Le manque de volonté de l’« élite » russe – Est-il possible de construire l’« Internationale eurasiste » ? – L’espace post-soviétique en tant qu’espace des catastrophes – Quand reviendront les scientifiques russes ? – Pax Eurasiatica dans le Caucase – Quelles perspectives pour Jirinovsky ?
Le leader du Mouvement Social-politique pan-russe « Eurasia », Alexandre Dugin, répond aux questions des lecteurs de SMI.RU.
Q : Alexandre Gelevich, je voudrais connaître vos prévisions concernant le futur proche. Existe-t-il même un avenir pour la Russie ? A propos, la position d’EURASIA au sujet d’un soutien radical au président Putin n’est pas claire pour beaucoup de nos citoyens patriotiquement orientés. Putin abandonne nos frontières, et il semble qu’il ne restera bientôt plus rien de la Russie. Où est la récompense pour votre soutien à Vladimir Vladimirevich [Putin] ? (Aleksey Kochetkov, Kamensk-Ural)
AGD : C’est une question complexe. Je pense que l’avenir de la Russie est maintenant mis en question. Nous avons reçu un coup très sévère de la part de la civilisation alternative, rivale. Et cela produira forcément des effets. Nous avons été le perdant de la « guerre froide ». Peu importe comment – par la force ou par la ruse, par la compétition économique ou le combat idéologique – nos adversaires l’ont emporté sur nous. Et bien sûr les plans des vainqueurs ne prévoient aucun avenir pour la Russie. Non que nous ayons été vaincus par un « peuple mauvais ». Les vainqueurs sont les vainqueurs, peu importe qu’ils soient bons ou mauvais. Dans de tels moments historiques de désespoir et de tristesse il y a toujours ceux qui choisissent le privilège de la collaboration, et ceux qui ne cèdent pas. Nous, EURASIA, appartenons à la dernière espèce. Nous comprenons que dans les plans des vainqueurs – et ce sont des plans sérieux – nous sommes privés de tout avenir. Mais nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir et même plus pour défendre cet avenir.
L’avenir de la Russie dépend de notre volonté, de notre détermination, de notre esprit. Ainsi je veux remarquer que les stratégies frontales – opposition, nostalgie, restauration – sur lesquelles beaucoup ont compté depuis la fin des années 80 ont finalement échoué. La gravité de la situation n’a jamais été reconnue dans toute son étendue. Nous avons gaspillé nos forces dans des chocs futiles et des querelles internes. Nous avons compris qu’il est nécessaire de prendre une voie différente. Les actuelles autorités russes se trouvent dans un statut d’otages – otages de la politique étrangère et intérieure. Devant le peuple et l’histoire ils sont obligés de combattre pour l’avenir russe, mais c’est justement ce que les vainqueurs – les Etats-Unis, les mondialistes – tenteront d’empêcher à tout prix. C’est la tragédie des autorités, la tragédie personnelle du président Putin. Ni la condition de notre société, ni les qualités subjectives du président ne sont celles qui sont requises pour commencer aujourd’hui une révolte contre le vainqueur, la sortie vers une nouvelle trajectoire historique. Pour ce but il n’existe de ressources ni matérielles, ni spirituelles. Par conséquent c’est un chemin très difficile que nous devrons suivre.
Le président doit être aidé, il doit être soutenu dans ces directions qui sont orientées vers la renaissance de la Russie. La politique étrangère russe ne peut pas réussir dans les circonstances présentes. Pouvez-vous comprendre ce que font les vainqueurs lorsqu’ils prennent une ville ? Peut-être se rassemblent-ils poliment autour des vaincus et distribuent une aide humanitaire ? Non. Ils pillent, tuent et violent. C’est la loi de la guerre. Rappelez-vous le psaume : « Sur les rivières de Babylone » … « Bénis soient ceux qui écraseront tes bébés sur un rocher … ». Cruel, n’est-ce pas ? Mais telle est la guerre. Dans le psaume cela fait référence à une guerre spirituelle. Dans la vie matérielle les images sont transformées en chair sanglante. Et qu’est-ce qui vous fait croire que la « guerre froide » est finie ? Ce qui se passe dans la politique internationale est l’holocauste de la Russie, le démembrement de notre corps stratégique et géopolitique, et cela continuera et ne s’arrêtera jamais avant que les « anneaux de l’anaconda » se soient resserrés autour de Moscou. L’Occident, les Etats-Unis agissent selon la logique du « vae victis ». Et ils ont raison de leur point de vue. C’est leur géopolitique, leur impératif. Mais on ne peut pas blâmer pour cette situation celui qui est parvenu au sommet de la puissance dans une période aussi dure.
Q : Pourquoi les eurasistes n’ont-ils pas encore de mass média régulier, même sur l’Internet ? Pourquoi l’un des meilleurs projets intellectuels des années 90, la revue « Elementy », est-il mort ? Comment peut-on participer aux activités de votre organisation, si l’on vit en-dehors de la Russie ? (Valentin Smilga, Boston)
AGD : Nous publions le journal « Revue Eurasiste », nous prévoyons de republier « Elementy », un jour prochain nous allons ouvrir un portail analytique quotidien (geopolitika.ru). Il est possible de participer aux activités d’EURASIA à partir de n’importe quel point du monde. L’Internet permet de coordonner n’importe quelle activité. Nous avons beaucoup de matériels dans des langues étrangères (particulièrement en anglais : http://eurasia.com.ru/english.html), les affiliés à EURASIA s’organisent dans divers pays. Il y en a en Angleterre, en Italie, en Autriche, en Espagne, en Israël, au Pakistan, en Australie. Il est possible d’apporter une aide financière et technique (traductions en d’autres langues, conception de livres, de magazines, de sites, relations publiques pour soutenir nos projets, matériels pour le journal, organisation d’interviews dans les médias, etc.). Nous attendons vos propositions.
Q : Il y a quelques jours au Baltschug Hotel à Moscou la Fondation Konrad Adenauer a donné une réception privée, à laquelle étaient aussi invités Brzeszinski and Kohl. Devant l’audience (et dans les couloirs) ils ont parlé ouvertement de la stratégie adoptée par Washington, de la pleine subordination de la Russie aux préoccupations américaines, concluant qu’il n’existait pas d’autre issue pour le Kremlin. Comme le secrétaire de presse Sergueï Ivanov tentait de faire une objection, Brzeszinski, un connaisseur de la psychologie russe, rétorqua sur-le-champ : quoi donc, allez-vous aller contre la volonté du suprême commandant en chef ? Et Ivanov s’arrêta soudain. Aucune objection particulière ne fut soulevée par quelqu’un d’autre, nous étions « matés » – les invités acquiesçaient en inclinant la tête. Le manque de volonté, la nature molle et servile de notre « élite » sont frappantes … Et tout cela au moment où le monde se dirige clairement vers la guerre. A votre avis, un appel massif à la force de patriotes capables est-il possible sous l’actuel président ? (Nikolai Volkov, Moscou)
AGD : Ce que vous décrivez est très naturel. Il est naïf de s’attendre à une attitude différente envers le camp vaincu. Toute objection dans une telle situation est complètement insensée. L’autorité du pays vaincu, par définition, ne peut pas avoir de « partisans ». En ce moment il n’y a pas de force au monde qui pourrait être capable de jeter un défi sérieux aux vainqueurs, aux bâtisseurs du « Nouvel Ordre Mondial ». Pour provoquer une révolte dans un camp de concentration – c’est ce que le monde entier est maintenant devenu, sous le dur talon du mondialisme américano-centré – on doit penser à un plan dans les détails, établir un système de communications, trouver des points de convergence entre les différents groupes de détenus, parmi lesquels il y a aussi une quantité de contradictions. Et vous parlez d’« objections », de « servilité » !?
Nous vivons de mythes, cette monstrueuse réalité qui nous est tombée dessus n’est même pas approximativement reconnue. Brzeszinski n’est pas simplement un vieux Polonais russophobe, c’est un des leaders des forces d’occupation, leur idéologue. Faire des « objections » à de telles gens est inutile, et le « patriotisme » ne se réduit pas à des objections. Tout est beaucoup plus sérieux. Grâce à Dieu, cette situation commence progressivement à être reconnue. Grâce à Dieu, le malaise s’accroît. Vous voyez, il n’y a pas longtemps les citoyens russes applaudissaient joyeusement chaque crachat, chaque coup reçu par l’Occident. « Un appel massif à la force de patriotes capables » – cette formule n’est pas très claire pour moi. Même maintenant il y a des patriotes. Un autre problème est qu’ils n’ont pas de fondations, de stratégie et de philosophie solides. A ce propos, c’est exactement le problème aussi avec ces patriotes qui se trouvent pour le moment en-dehors de l’autorité. Et cette désorientation naturelle des patriotes est encouragée et aggravée par l’activité des provocateurs …
D’autre part, toute agitation patriotique en Russie, même si sa dimension est faible, est immédiatement bloquée par les Etats-Unis. On nous a confisqué le droit à l’« agitation », au patriotisme infondé et gênant. Les troupes américaines sont dans la CEI, regardant méchamment vers l’espace de la Fédération Russe. Tout est beaucoup plus sérieux. Ainsi ni ouvertement ni secrètement, ni dans les structures de pouvoir, ni dans l’opinion publique, nous ne sommes prêts à une confrontation dure.
Q : Que peut faire votre « mouvement » pour recouvrer les possessions maritimes de la Russie ? Parmi elles, les mers de Grumant (Spitzberg), de Béring, d’Okhotsk, de Barents. (Diev, Omsk)
AGD : Aujourd’hui en Russie il est impossible de résoudre directement toute question liée au renforcement de notre puissance – spatiale, stratégique, maritime ou terrestre. Le mouvement EURASIA, qui est actuellement en train de devenir le parti EURASIA, pense qu’il est nécessaire de partir du point principal – de la formulation explicite d’une Idée Nationale, d’une idée eurasiste, capable de consolider la société – l’élite et les masses – autour d’un mouvement uni, vivant, politique, vers la renaissance de notre puissance. Aujourd’hui ce ne sont pas seulement les mers du Nord qui sont en question, aujourd’hui l’existence même de la Russie souveraine est en question.
Nous faisons les plus grands efforts pour inverser ce processus de dissolution. Concrètement : nous sommes convaincus que rien ne peut être fait sans une claire stratégie eurasiste de politique intérieure et étrangère pour la Russie dans le monde nouveau. Les conditions externes nous sont extrêmement défavorables. Nous avons pleinement élaboré cette stratégie, elle est résumée dans nos matériels programmatiques (voir par exemple « La vision eurasiste »). Nos idées ont déjà gagné des appuis considérables dans d’importants secteurs de l’Etat. La diffusion de plus en plus large des idées a lieu pas à pas. Le parti EURASIA lui-même est appelé à se transformer en instrument pour la réalisation des idées patriotiques eurasistes. Les gens avec lesquels nous travaillons occupent parfois des postes stratégiques importants dans la structure politique de la Russie. Mais même les patriotes convaincus – souhaitant sincèrement récupérer les mers, les forêts et les rivières, en même temps que notre esprit, notre dignité, notre gloire et notre grandeur – n’arriveront à rien s’ils ne veulent pas s’unir, s’ils ne veulent pas agir en harmonie, s’ils ne veulent pas être armés d’une idéologie claire et concrète. Aujourd’hui il n’y a simplement pas de place pour les solutions faciles. Seul le modèle élastique et multi-faces de l’eurasisme est capable de donner à la Russie une chance de renaissance. Dans cette direction aussi nous devons travailler. Pour les mers russes …
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