Le choix arabe
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31/03/03 |
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18.40 t.u. |
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Jean-Marc Brissaud |
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Face à la guerre d’Irak, devant les images d’enfants, de femmes et d’hommes hachés par le fer des bombes américaines et après plus d’une semaine de durs combats meurtriers, chacun réagit selon son tempérament : les uns se découvrent un soudain patriotisme irakien et un militantisme baasiste nouveau ; les autres vibrent à la moindre nouvelle qui semblerait retarder l’inéluctable victoire américaine ; d’autres encore continuent de dénoncer avec vigueur cette agression et ses conséquences humaines - sans se rendre compte qu’ils le font avec les mots mêmes et le langage de nos ennemis de toujours ; et je ne parle pas de ceux qui condamnent l’Amérique mais souhaitent secrètement la défaite de l’Islam, devenu pour eux le mal absolu.
Les boites aux lettres électroniques débordent de prises de positions, d’analyses et de pronostics, démontrant que notre famille politique, hélas si divisée, s’est, pour une fois retrouvée quasi-unanime pour condamner l’agression américaine en Irak. Tant mieux.
Nul nécessité en tout cas de revenir sur les pourquoi et les comment de notre opposition à l’agression anglo-américaine ni d’expliciter notre hostilité à l’Amérique, cette unique et hégémonique super-puissance qui tente de s’imposer au monde par sa pseudo-culture, son économie et ses armées…
Une remarque cependant : sans confondre la mondialisation inéluctable née de l’explosion des moyens de transport ou de communications et le mondialisme niveleur, il faut bien comprendre que l’Europe représentée par ce monstre eurocratique né de Maastricht est un élément actif de cette décadence qui nie l’histoire et l’identité des peuples et des nations, ici et ailleurs. Le cancer n’est pas qu’à Washington mais en chacun de nos États. Il n’y a pas de choc des civilisations, il y a le refus de la civilisation européenne de s’affirmer, de s’opposer, d’exister, de revendiquer ses valeurs, son identité, sa diversité, sa différence…
Cependant, le fait que nos prises de positions nous placent aux côtés de tous les autres partis politiques français et des pacifistes mondialistes doit nous conduire, d’une part, à nous interroger sur notre position et, d’autre part, à examiner la nouvelle donne stratégique et géopolitique mondiale qui va naître de cette seconde guerre du Golfe...
Quelques souvenirs personnels d’abord.
Août 1990 : guerre du Koweït. Alors que Présent et Minute avaient déjà pris parti contre l’Irak, j’écoute depuis la Corse, Jean-Marie Le Pen s’opposer à toute action internationale contre Saddam Hussein. Quel soulagement et quelle satisfaction alors que je sais que toute une partie de Front National, au Bureau politique comme ailleurs, est hostile à cette prise de position qui verra le départ d’un certain nombre de nos conseillers régionaux. Cette attitude courageuse du président du Front National lui vaudra quelques inimitiés de plus. Plus tard, il se rendra à Bagdad à la tête d’une délégation de partis nationaux européens qui comportait Gianfranco Fini, l’actuel bras droit de Berlusconi. Ils furent reçus par le dirigeant suprême irakien ; mais au retour le gouvernement français refusa que leur avion n’atterrisse à Strasbourg, en pleine session du Parlement européen, et ils furent détournés sur Bâle.
Février 1991. Une réunion extraordinaire se tient à Luxembourg. Il y a là le Conseil des Ministres de la C.E.E., la Commission de Bruxelles et le Parlement européen représenté par son président et tous les présidents des groupes politiques. Le président du Conseil nous annonce que la décision est prise et que la coalition alliée a décidé d’attaquer l’Irak. Tous, à des degrés divers, s’en félicitent. Sauf un : Jean-Marie Le Pen, président du Groupe des Droites Européennes, qui peut, dans un silence glacial, développer longuement ses arguments… Inutilement sans doute ! Mais ce jour là il a sauvé l’honneur des Européens. Personne ne peut l’oublier ! Nous sommes rentrés en voiture à Paris… A 2 h du matin un déluge de feu s’abattait sur l’Irak.
Douze années ont passé, Jean-Marie Le Pen est toujours opposé à la guerre en Irak.
Aujourd’hui, l’ont rejoint l’ensemble de la classe politique française, l’Onu, le Pape, et les acteurs d’Hollywood… Tous parlent d’une seule voix contre l’agression anglo-américaine. Et, dans les rues de nos villes, militants de gauche et d’extrême gauche enrégimentent les jeunes « blacks, blancs, beurs », comme lors des manifestations contre Le Pen d’après le 21 avril (même si cela conduit juifs et musulmans à s’affronter)…
La vue de tous ces pacifistes, internationalistes, mondialistes, défilant de Lisbonne à Athènes et de Rome à Copenhague, donne envie de vomir car ils sont l’image de toute la démission, de toute la lâcheté de nos peuples européens qui n’ont plus ni courage ni convictions. Nous ne pouvons pas être à leur côté. Un seul instant ! Nous ne pouvons reprendre leurs mots d’ordre et leurs slogans. Il ne faut pas laisser se polluer notre discours par le leur.
Les certitudes d’une Amérique sure d’elle même et dominatrice sont d’une autre trempe. Être opposé aux U.S.A. ne signifie pas refuser de voir leur volonté de puissance, volonté qui a déserté l’Europe depuis qu’elle s’est révélée le grand vaincu de la Seconde guerre mondiale.
On aurait tort de croire qu’il y a déclin de l’Amérique en terme militaire parce qu’il y a résistance irakienne ; même si l’on sait que la fin de la puissance sans limite des États-Unis est inéluctable – comme celle de tout Empire. Et l’on en distingue certains prémices : intérieurs avec une hétérogénisation ethnique et linguistique croissante ; extérieurs avec la montée des oppositions des peuples et des nations d’Europe et du tiers-monde qui refusent tout autant le mondialisme que le modèle américain. La première preuve est la mise en exergue – ô bien encore timide ! – d’un axe Paris-Berlin-Moscou, espoir et véritable échine dorsale de l’Eurasie de demain.
Sur le terrain, en Irak, la splendide bataille des forces fidèles au régime est admirable… même si elle est dérisoire. Leur sacrifice ne sera pas vain car ils auront sauvé l’honneur de la nation arabe face à la toute puissante armée U.S. Une victoire trop rapide de l’ennemi américain aurait été pour eux une catastrophe source de toutes les rancœurs. Les efforts héroïques d’une armée au matériel obsolète ne peuvent masquer la réussite de la guerre anglo-américaine. Cette fois les États-Unis ont véritablement engagé leurs hommes. Ils ont et ils auront des tués ; mais il ne faut pas souhaiter que la bataille de Bagdad ressemble à celle de Stalingrad car toutes les souffrances en seraient supportées par le seul peuple irakien…
Si l’on ne peut que se réjouir de l’image positive donnée, à cette occasion, par la France, et approuver globalement la position de Chirac, il ne faudrait pas trop en faire. Nous aurions tort de nous féliciter trop ouvertement de la position de la France simplement parce qu’elle va dans le bon sens et qu’elle condamne, comme nous, l’agression américaine ; car cette attitude révèle un vice majeur : celui d’être fondée sur des résolutions des Nations Unies, organisation mondialiste née des défaites de 1945, à laquelle nous ne reconnaissons aucune valeur parce qu’elle se réfère à un ordre mondial que nous récusons et parce qu’elle n’a toujours pas intégré au Conseil de sécurité l’Allemagne et le Japon.
J’ai écrit cette chronique parce que beaucoup de choses me gênent ; parce que l’attitude des uns et des autres ne m’apparaît pas toujours cohérente ; parce que rien ne me semble aussi simple que lorsque je soutenais la position du président du Front National, il y a douze ans…
Je le dis tout net : on ne peut hésiter entre ces foules occidentales stupides et bêlantes et les commandos en action ! Comment ne pas comprendre et admirer ceux qui ont le courage de se battre et de mourir ? Qu’ils soient soldats de Saddam ou soldats de Bush ! Nouvelle fraternité des ennemis, des combattants du désert, des chevaliers des sables, des enfants de Saladin et de Lawrence...
Il faut de même souligner cette réelle sympathie ressentie, dans les rangs de la Droite nationale et des identitaires, pour ces masses arabes qui défilent dans toutes les capitales depuis l’Atlantique jusqu’au Golfe – même si parmi eux se glissent des révolutionnaires d’extrême gauche et des islamistes extrémistes prêts à renverser les régimes arabes modérés. Les peuples arabes qui descendent - spontanément ou non - dans les rues, n’appellent pas - eux - à la paix : ils réclament la justice : justice pour les Irakiens ; justice pour les Palestiniens… Et pour cette justice, ils veulent la guerre, la djihad.
Contre qui se fera cette djihad : contre les Juifs, les Américains, les Européens ?
A ce stade, il est bon de rappeler que nous, les nationalistes français, les identitaires régionaux et européens qui furent, hier opposé à l’ordre américain, lors de la première guerre du Golfe comme lors les bombardements de Belgrade ; nous qui sommes, aujourd’hui, contre cette seconde agression de la puissance américaine en Irak ; nous qui voulons redonner à l’Europe et à ses peuples la fierté, la grandeur et la puissance ; nous sommes aussi les héritiers de tous ces Européens qui se sont battus depuis des siècles contre les Arabes et les Turcs (plus d’ailleurs que contre l’Islam)…
Et nous voilà devant le choix arabe : donc devant des positions difficiles à prendre. Comment est-ce possible ?
Tout d’abord il faut admettre nous n’avons pas choisi le monde où nous vivons et cette « révolte contre le monde moderne » nous oblige aussi à en accepter les dures réalités. Ce monde qui nous est imposé c’est celui qui né de la défaite de l’Europe à la fin de la Seconde guerre mondiale ; de la révolte des peuples habitants nos colonies ; de la chute de l’Empire soviétique ; de l’immigration massive de peuples du tiers-monde dans les pays du Nord ; de l’occupation de la Palestine par les Juifs ; de la radicalisation terroriste mondiale symbolisée par la chute des Twin Towers ; de la seconde guerre du Golfe que l’Europe n’a ni pu ni su empêcher…
Il arrive que le Diable porte pierre et cette agression de la super-puissance mondiale contre un petit pays va certainement bouleverser la donne géopolitique régionale et mondiale.
Il faut souligner que, contrairement à ce que certains ont affirmé un peu trop vite après les attentats du 11 septembre, nous ne nous trouvons pas devant un choc des civilisations. Il n’y a pas affrontement de l’Islam contre l’Occident. Tout est plus complexe.
Prenons l’exemple de cinq peuples, tous musulmans, qui révèlent devant les événements des attitudes radicalement différentes.
Les Turcs, musulmans et turcophones, sont les héritiers de l’empire ottoman et dominent encore une partie du peuple kurde. Ils veulent entrer dans l’Europe (ce que nous refusons, bien évidemment) ; membres de l’Otan, ils auraient du soutenir les U.S.A. et ils ne l’ont pas fait car ils ont privilégié leur intérêt national et sont tentés de régler leur opposition kurde interne en entrant au Kurdistan irakien.
Les Kurdes, musulmans et kurdophones, parlent une langue dérivée de l’Indo-européen (plusieurs dialectes écrits soit en alphabet arabe soit en alphabet latin) et sont répartis sur cinq pays. Musulmans, ils ne sont solidaires ni de la Turquie ni de l’Irak, ni de l’Iran car ils réclament leur indépendance depuis la chute de l’Empire ottoman.
Les Arabes musulmans sunnites d’Irak ont été majoritairement derrière Saddam Hussein par fidélité nationale au régime de Bagdad.
Les Arabes musulmans chiites, opposés à la dictature des sunnites ne sont pas pour autant prêts à subir la main-mise des Chiites d’Iran parce que, Arabes, ils ne veulent pas être dominés par des Perses. Ce qui les a unis temporairement au régime du Baas, était leur haine commune d’Israël et de son soutien américain inconditionnel. Mais, dès qu’ils l’ont pu, ils se sont désolidarisés de Bagdad.
L’agression américaine ramène donc l’Irak à l’époque des trois provinces mésopotamiennes de l’Empire ottoman : celle de Bassora, celle de Bagdad, celle de Mossoul ; elle révèle les problèmes kurde et chiite et permettra peut-être de les résoudre.
Les Persans musulmans chiites - de langue et d’ethnie indo-européennes - sont des ennemis historiques des Arabes ils demeurent donc dans ce cas les alliés objectifs - bien que temporaires - des Américains.
Dans notre famille politique, la vive sympathie que manifestent certains pour le peuple irakien et pour les régimes nationalistes arabes ne doit pas aveugler. J’ai du mal à suivre mes jeunes amis les plus radicaux tant dans leur soutien aveugle au dirigeant suprême irakien que dans celui du parti Baas ou même dans leur rêve d’un Stalingrad à l’américaine. J’ai lu leurs explications et je comprends leurs motivations ou leurs nostalgies mais ils doivent admettre que la donne politique est en train de changer et que, dans le monde arabo-musulman comme ailleurs, il faut inventer de nouvelles relations entre les peuples et leurs dirigeants. La dictature du parti unique n’est aujourd’hui pas plus acceptable que celle de la pensée unique en démocratie ou celle de la domination d’une unique superpuissance mondiale.
Il est important de souligner que, tout comme les partis fascistes du 20ème siècle en Europe (mais aussi en Turquie et en Argentine), les partis nationalistes arabes ont échoué et ont été détruits de l’intérieur même de leur pays ou bien de l’extérieur. Quoi que l’on en pense, c’est un fait historique. Tout comme les régimes dictatoriaux communistes de Cuba, du Vietnam ou de Corée, ceux qui demeurent sont des dinosaures appelés à disparaître, en Libye ou en Syrie. Certains peuvent le regretter mais c’est ainsi. On peut penser que les régimes monarchiques ou dits démocratiques des autres pays arabes ne font pas mieux pour leur peuple et que pour certains leur intransigeance islamique est proche du fanatisme, mais cela ne change rien.
Le Proche-Orient va redécouvrir l’histoire en marche et à cela, il est sûr que l’Amérique n’est pas préparée car dans la région le problème principal n’est ni celui des Kurdes ni celui d’une illusoire démocratie à Bagdad, à Mossoul ou à Bassora, le problème n° 1 demeure celui des Palestiniens : aujourd’hui comme tous les jours depuis 1949 ; et celui-là est autrement plus complexe à résoudre car cette fois-ci les armes de destructions massives et les moyens de la force brutale sont à Tel-Aviv.
Il devient désormais impossible de contenir par la force et par les armes les réactions d’une population pauvre, sans travail, parquée dans des camps de réfugiés et désespérée. Les enfants de l’Intifada, ce sont les fils et les petits-fils de ceux qui furent chassés de leurs terres ancestrales une première fois en 1948 et une seconde fois en 1967. Il n’y aura d’espoir de paix dans la région que si l’on offre aux Palestiniens : un avenir, une terre, un État... Seul un État totalement souverain pourra limiter le terrorisme islamique. Et tout d’abord parce qu’il pourra en éliminer la plupart des causes et des motivations.
C’est pourquoi, il faut maintenant que notre famille politique ait le courage de prendre le plus largement possible la décision de soutenir la juste lutte du peuple palestinien. Nous ne pouvons être neutres. Aucune considération du type choc des civilisations, ou crainte de l’Islam conquérant (une partie des Palestiniens est chrétienne) aucune justification par une politique opposée à l’immigration massive ne peuvent ni ne doivent nous obliger à prendre une autre attitude.
La chute du régime de Saddam Hussein et la défaite de l’Irak vont être légitimement et cruellement ressentie par les Arabes dans le monde, ici et ailleurs ; il sera du devoir de la France comme de l’Europe de leur témoigner leur soutien et leur compréhension, de leur offrir leur aide pour la reconstruction de l’Irak mais aussi dans le règlement du problème palestinien. Il faut s’engager massivement dans une nouvelle politique euro-méditerranéenne d’aide et de soutiens aux pays arabes ; avec ces mêmes pays, il est nécessaire d’engager un dialogue ferme et résolu concernant, d’une part, les flux migratoires et, d’autre part, l’avenir des populations musulmanes présentes sur nos sols européens.
D’ailleurs il est temps de revoir notre attitude globale vis-à-vis de l’Islam et je préfère, à tout prendre, la réserve d’une jeune fille en tchador à l’arrogance débraillée de ces tricoteuses défilant contre Le Pen. Et nous ferions bien de nous interroger pour savoir pourquoi nos églises sont vides alors que leurs mosquées sont pleines…
Il s’agit déjà d’un autre sujet ; Cette guerre d’Irak a ouvert la boite de Pandore et la façon dont notre famille politique va réagir devant cette nouvelle donne déterminera son avenir.
Jean-Marc Brissaud
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