Le développement durable, un crime contre l'humanité.
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05/12/03 |
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3.44 t.u. |
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Aurélien Durand |
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« Depuis Adam Smith, on vit dans la croyance que l'homme est l'homo economicus, un animal qui maximise ses plaisirs et minimise ses peines. S'appuyant sur l'aspect individualiste de la philosophie des Lumières, il a établi le dogme métaphysique de l'harmonie des intérêts. En recherchant son intérêt le plus égoïste, il contribue ainsi au bonheur de l'humanité. » [1] D'où le dogme de la croissance, véritable moteur de la société moderne, et surtout une composante de l'idéologie économiste niant les réalités physiques [la nature] et les finalités sociale, politique ou éthique au profit d'une construction intellectuelle [un obscurantisme mathématique] - dans nos contrées occidentales et développées [sic], par progrès ou par développement, nous n'entendons plus que croissance économique. Et dans un monde tourné entièrement vers la consommation et convaincu que plus signifie mieux, ce dogme a, semble-t-il, de beaux jours devant lui. Un bien bel euphémisme pour parler du pillage des ressources et de la destruction des peuples et de la planète.
Or, un tel développement n'est pas possible dans la durée, et il faudra bien penser l'avenir autrement que par le prisme de la marchandisation du monde. C'est ce qu'ont fait, dit-on, en 1987, les Nations unies, en créant une commission du développement durable. « Le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » peut-on lire en guise de définition de ce nouveau concept. Mais le « développement durable » est d'abord, selon Serge Latouche, un oxymore, une figure de rhétorique pour faire accepter l'inacceptable, comme l'est la « guerre propre » ou bien « la mondialisation à visage humain ». C'est vouloir concilier la consommation et la croissance, c'est à dire notre niveau et notre mode de vie, et la préservation de notre environnement. Certes, cela peut sembler louable à première vue, mais il en va de ce concept comme de biens d'autres critiquant le système capitalo-mondialiste et pourtant récupéré par celui-ci... « On ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui les ont engendrés » disait Einstein, tant il est clair que le poison n'a jamais soigné la maladie.
[inter] Notre niveau de vie n'est pas négociable
Dans son rapport sur l'évaluation de l'ampleur des changements climatiques, le sénateur Marcel Deneux montre les dangers d'un tel concept : « De prime abord, le concept de développement durable peut rallier à peu près tous les suffrages, à condition souvent de ne pas recevoir de contenu trop explicite ; certains retenant surtout de cette expression le premier mot développement, entendant par là que le développement tel que mené jusqu'alors doit se poursuivre et s'amplifier ; et, de plus, durablement ; d'autres percevant dans l'adjectif durable la remise en cause des excès du développement actuel, à savoir, l'épuisement des ressources naturelles, la pollution, les émissions incontrôlées de gaz à effet de serre... L'équivoque de l'expression développement durable garantit son succès, y compris, voire surtout, dans les négociations internationales d'autant que, puisque le développement est proclamé durable, donc implicitement sans effets négatifs, il est consacré comme le modèle absolu à généraliser sur l'ensemble de la planète. » Pour Serge Latouche, ce concept est « [...]à la fois terrifiant et désespérant ![...] » car au moins avec « [...]le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l'espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l'épuisement des ressources naturelles... » Le développement durable, quant à lui, enlève toute perspective de sortie, puisqu'il s'inscrit dans la durée, voir « l'éternité » ! Il est clair qu'à l'instar de Nicolas Georgescu-Roegen [2], nous pouvons affirmer qu'« il n'y a pas le moindre doute que le développement durable est l'un des concepts les plus nuisibles. »
Et en effet, parmi les défenseurs de ce concept, nous trouvons d'un côté, des pseudo-écologistes et des apôtres du discours démagogiques qui prônent un « autrement » naïf sans vraiment trop savoir quel peut-il être, tant ils sont englués dans un modèle écologico-capitalo-mondialiste, bref dans une conception progressiste du monde [3] ; et de l'autre, des industriels qui surfent et fantasment sur l'idée de la durabilité du développement économique, avec bien sûr pour sous entendu celle des profits, tout en se donnant bonne conscience [4]. Dans cette hypocrisie ambiante, nous ne pouvons qu'apprécier l'honnêteté peu courante d'un George Bush Junior, qui comme son prédécesseur [5], déclara : « Notre niveau de vie n'est pas négociable ! » Cela a au moins le mérite d'être clair !
[inter] Une seule solution, la décroissance
Cette conception purement économiste et linéaire du monde finira bien un jour par rencontrer brutalement les réalités d'un monde fini, dans lequel les ressources ne sont pas inépuisables et où la biosphère atteins déjà les limites de sa capacités régénératrices et d'absorptions des déchets de notre sur-consommation. Et ce, en dépit de toutes les croyances des économistes et des adeptes de la technoscience à l'existence d'une parfaite substitutivité entre les ressources naturelles et le « capital » produit par l'homme – une croyance quasi religieuse en un progrès technique permanent qui permettrait une efficacité croissante dans l'utilisation des matières premières, voir de s'en passer.
Car, en effet, selon les théoriciens de la décroissance, il est indispensable de prendre en compte « l'effet rebond », concept apparu aux temps des première crise pétrolière et qui était alors défini comme « une augmentation de la consommation d'un produit ou service dû à une réduction de son prix de revient. » Il traduit aujourd'hui toutes les augmentations de consommations induites par cette réduction et nécessaire à son propre maintien. « Les nouvelles technologies demandent, comme toute forme de capital [fond], un flux de ressources pour être maintenu dans des conditions d'efficience» [6]. Un rapport de l'OCDE, publié en 2001, constatait que la croissance des pays développés s'accompagnait d'une augmentation guère moins rapide de la pollution et de la consommation.
De plus, selon Georgescu-Roegen, il est impératif de revoir toute l'économie moderne selon les grand principes des systèmes complexes tel que la physique, la biologie et l'écologie. Ainsi, les lois de la thermodynamique, et en particulier celle de l'entropie [7], nous montrent que l'énergie utilisable dans un système clos est continuellement transformée en énergie inutilisable jusqu'à ce qu'elle disparaisse complètement. Or, hormis le flux de l'énergie solaire, la terre est plus ou moins équivalente à un tel système. Autrement dit, « toute activité économique engendre une irréversible dégradation de matière et d'énergie en quantités croissantes » [8].
Enfin, de nombreux écologistes radicaux, se pose aussi la question de savoir si nous serons seulement capable de produire une organisation sociale et économique compatible avec une grande densité de population et la dangerosité potentielle des nouvelles technologies. Question qui, semble-t-il, n'intéresse pas les économistes et les scientifiques parce que considérée comme « transcientifique ». Pourtant, l'histoire récente nous enseigne que ce ne sont pas là des paramètres à ignorer...
[inter] Face au mur : inverser la vapeur
Et, c'est afin de tenter de répondre à toutes ces questions et de conduire une réflexion fondamentale sur l'avenir, la bioéconomie et la mondialisation que s'est tenu les 26 et 27 septembre 2003, à l'Hôtel de ville de Lyon, le premier colloque français à l'initiative de L'Institut d'études économiques et sociales pour la décroissance soutenable [IEESDS] [9]. Face au mur, l'idée est simple : il s'agit alors d'inverser la vapeur, de faire demi-tour, non pas vers un passé qui serait idéalisé, mais vers une certaine frugalité, vers un monde où l'homme ne se réduirait pas à sa seule fonction économique, mais retrouverait toutes ses dimensions politiques, philosophiques, culturelles et spirituelles. Bref, vers une recontextualisation de l'économie dans la société ; et plus concrètement « vers la fin des grandes surfaces au profit des commerces de proximité et des marchés, la fin des produits manufacturés peu chers au profit d'objets produits localement, la fin des emballages jetables au profit des contenants réutilisables, la fin de l'agriculture intensive motorisée au profit d'une agriculture paysanne extensive, etc... »
Dans cette optique et afin d'éviter un choc socio-économique [chômage, malaise social, etc...] prévisible dans une société axée sur l'idéologie de la croissance, le projet de décroissance soutenable propose de revoir radicalement les préférences et la façon de concevoir la production de la valeur économique. Ainsi, propose-t-il par exemple de transférer la demande de biens à fort impact écologique vers la production de « biens relationnels », à savoir de biens dont on ne peut jouir isolément [soins, bien-être, assistance, cultures, etc.] et dont la production comporte une dégradation fort modeste des ressources. Ainsi, selon Mauro Bonaïuti, « La décroissance matérielle sera une croissance relationnelle sociale et spirituelle ou ne sera pas. » D'autres comme Jean Depuydt [de la revue Prosper], pense qu'« on ne peut s'en prendre à la croissance sans s'en prendre au marché, ni aux instances mises en places pour réguler le dit marché. » Il faut donc sortir de cette logique et abandonner le salariat pour un revenu d'existence tiré « directement de la masse des produits et services aujourd'hui disponibles avec de moins en moins de travail. »
Voilà ainsi exposé, je l'espère clairement, un des horizons possible pour l'humanité. Il nous appartiens, à nous nationalistes-révolutionnaires et solidaristes, au-delà des partis-pris et des idéologies, d'y réfléchir en terme d'utopie, c'est à dire en tant qu'un des moteurs de notre action. En effet, il est indéniable que si la marchandisation du monde fut depuis plus de deux cent cinquante ans le phénomène principal de notre civilisation, sa démarchandisation est l'un des enjeux principaux de l'avenir pour la survie de l'humanité. Il est donc temps de « décoloniser notre imaginaire... », de défaire le développement, ce tueur des peuples, et de travailler à la construction d'un monde pluriel et durable. « C'est parce que la société vernaculaire a adapté son mode de vie à son environnement qu'elle est durable, et parce que la société industrielle s'est au contraire efforcée d'adapter son environnement à son mode de vie qu'elle ne peut espérer survivre » [10].
Aurélien Durand
Notes :
1 - Serge Latouche, économiste et professeur à Paris-Sud [Orsay] Spécialiste du développement et des rapports Nord-Sud. L'un des théoriciens de la décroissance.
2 - Economiste et Mathématicien, Georgescu-Roegen [1906-1994] d'origine roumano-américaine, est le père de la théorie bioéconomique.
3 - « …la croissance durable adapte les lois du marché à la protection de l'environnement... », Les Verts.
4 - « Le développement durable, c'est tout d'abord produire plus d'énergie, plus de pétrole, plus de gaz, peut-être plus de charbon et de nucléaire, et certainement plus d'énergies renouvelables. Dans le même temps, il faut s'assurer que cela ne se fait pas au détriment de l'environnement. », contribution de monsieur Michel de Fabiani, président de BP France au compte rendu des travaux des 4èmes rencontres parlementaires sur l'énergie, jeudi 11 octobre 2001.
5 - Clinton à Kyoto déclarait : « Je ne signerai rien qui puisse nuire à notre économie ».
6 - Mauro Bonaïuti, A la conquête des biens relationnels, Université de Modène, Italie
7 - Lire à ce sujet l'article de Jacques Grinevald [Université de Genève, Suisse], Georgescu-Roegen : Bioéconomie et biosphère : http://www.decroissance.org/textes/grinevald.htm ; et le livre de Georgescu-Roegen, Demain la décroissance : entropie, écologie, économie, Sang de la terre.
8 - Mauro Bonaïuti, Vers une économie écologiquement et socialement soutenable. La prospective bioéconomique.
9 - Colloque intitulé : Bioéconomie, écologie et simplicité volontaire : L'héritage de Nicholas Georgescu-Roegen.
10 -Edouard Goldsmith, Le défi du XXIe siècle, Le rocher, 1994, p 330
Liens utiles :
Le site de la décroissance soutenable : http://www.decroissance.org
Le manifeste du réseau pour l'Après-développement : http://www.apres-developpement.org/html2/reseau/manifeste1.htm
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