Éléments N°160 : Je suis la guerre : désigner l’ennemi

Voici des années, des décennies peut-être, qu’on répète que « ça ne peut plus durer », que « ça va craquer », que « nous sommes en 1788 », qu’« on danse sur un volcan ». Et pourtant, tout continue. (…) On se traîne, on grogne, on déprime, mais on vit plus que jamais sous l’horizon de la fatalité. Le désespoir n’engendre que la résignation. (…)

Dans cette époque molle, souple, flexible, précaire, où l’on préfère les formes rondes aux formes droites, on déteste la verticalité. On aime le vocabulaire maternel : le dialogue, la compréhension, la tolérance, l’accueil, l’ouverture, quitte à se montrer féroce avec ceux qui ne communient pas dans l’idéal du magma. Terrorisme du Bien, compassionnel et lacrymal à tous les étages. Le sentimentalisme a tué le sentiment, tout comme la sensiblerie a tué la sensibilité. (…)

Les attentats, qui viennent çà et là troubler la torpeur ambiante, sont un révélateur remarquable. Ils ne suscitent pas le désir de prendre les armes, ils n’aiguisent pas les volontés, mais ouvrent les vannes d’un Niagara de pleurs. On allume des bougies, on récite des hymnes à l’amour, on fait des minutes de silence, on organise des « marches blanches » et autres pitreries. On ne chante pas le Dies Irae, mais Give Peace a Chance.

Homo festivus, quand il est pris pour cible, n’a qu’un souci : montrer comme on est injuste avec lui, alors qu’il est si gentil. Dans le monde des bobos, il y a quelques cerveaux et beaucoup de ventres. On demande des colonnes vertébrales.

On est en guerre, paraît-il. Mais pour l’immense majorité de nos concitoyens, la guerre est un gros mot, une réalité du passé. Personne ne veut la guerre. C’est pourquoi on proclame que les méchants ne nous empêcheront pas de rigoler, d’aller en discothèque et de boire un verre sur les terrasses. Ah, mais !

On est en guerre, mais contre qui ? Il y a apparemment un ennemi, mais on s’applique à ne jamais donner son nom. Pour brouiller les pistes, on préfère montrer du doigt des abstractions. On fait la guerre au « terrorisme », au « fanatisme », à la « radicalisation », à la « haine ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Le terrorisme n’est pas un ennemi, c’est seulement un moyen auquel l’ennemi a recours. (…)

À « Nuit debout », on multiple les assemblées populaires sans peuple (le peuple doit se lever tôt le matin). On refait le monde dans la stratosphère, ce qui est sympathique, mais en réclamant simultanément la fin de la logique du profit et l’abolition des frontières – comme si le capitalisme, qui lui ne dort jamais, pouvait s’en laisser remontrer en matière de sans-frontiérisme ! Des mots contre les maux. (…) Mais de révolution, il n’est bien sûr plus question. (…) La grève générale de Mai 68 est plus loin que jamais, et ceux qu’on appelle encore des gauchistes ne sont plus aujourd’hui que des libéraux qui veulent seulement que le marché s’ouvre encore plus aux exigences du « désir ». Le peuple, le vrai peuple, voudrait conserver sa sociabilité propre, préserver ses manières de vivre, ses valeurs partagées.

elements160.noresizeAu sommaire du N°159 d’Eléments

• L’entretien avec Chantal Delsol : empêcher que le monde se défasse
• Donald Trump, héros de la classe ouvrière
• Géopolitique de l’Amérique
• Droits de l’homme : le livre capital d’Alain de Benoist
• Vincent Coussedière : « Plaidoyer pour le populisme »
• Italie : Beppe Grillo et le mouvement cinq étoiles
• Ernesto Laclau : le théoricien du populisme de gauche
• Marcel Gauchet : bienvenue parmi les maudits !
• Arts : le Douanier Rousseau
• Cinéma : Les saisons de Jacques Perrin
• Mythologie : Homère dans la Baltique
• Thierry Marignac is back
• Les dernières confidences de Léo Malet
• Glucksmann père & fils
• Portrait : Dany-Robert Dufour
• Philosophie : la conscience
• L’esprit des lieux : mise au vert à Dublin

Et notre dossier sur la guerre

• Entretien avec le général Desportes
• Pourquoi l’armée française gagne-t-elle les batailles, mais pas les guerres ?
• La gauche et l’armée : une révolution
• OTAN : retour sur un anniversaire oublié
• Le bel avenir de la guerre urbaine
• Police et armée : l’hybridation

Pièce Jointe à Télécharger

PARTAGER

Consulter aussi

Rébellion 78 : Détruire le monde moderne !

Au sommaire du numéro 78 de Rébellion : Editorial : La Tradition comme voie vers …

Ce site utilise des cookies. En acceptant ou en poursuivant votre visite, vous consentez à leur utilisation .

The cookie settings on this website are set to "allow cookies" to give you the best browsing experience possible. If you continue to use this website without changing your cookie settings or you click "Accept" below then you are consenting to this.

Close