Une Ligne dans le sable, de James Barr

Une ligne dans le sable, le conflit franco-britannique qui façonna le Moyen-Orient, de James Barr, Perrin/Ministère de la Défense, 2017.

On a beaucoup évoqué les Accords Sykes-Picot signés le 16 mai 1916, accords par lesquels la France et le Royaume-Uni s’étaient partagés les possessions turques au Moyen-Orient et lorsque l’on a évoqué ces accords, tout semble avoir été dit : les mandats sur l’Irak et la Palestine aux Britanniques, le mandat sur la Syrie et par la suite sur le Liban aux Français.

Encore faut-il préciser que cette situation découle des Accords de San Remo du 25 avril 1920 qui virent la France  abandonner ses droits sur le vilayet de Mossoul en échange d’une participation de 25% dans l’exploitation du pétrole et renoncer à son droit de protection des chrétiens d’Orient.

Mais ce que l’on ignore ou ce que l’on a oublié c’est que cet accord fut le point de départ d’une sourde lutte d’influence entre les deux pays.

C’est cette lutte à couteaux tirés qui a duré près de trente ans que l’ouvrage de James Barr évoque.

Un ouvrage agréable à lire car il s’appuie sur des sources multiples qui vont  au ras du terrain ce qui le rend très vivant et illustre bien le fait que l’Histoire est la résultante de milliers d’actions individuelles.

On pourrait peut être lui reprocher une vision anglo-saxonne des faits qui l’amène, par exemple à passer sous silence le rôle non négligeable joué par la mission du lieutenant-colonel Brémond au Hedjaz en se focalisant uniquement sur l’action de Thomas Edward Lawrence, le trop fameux (ou notoire, c’est selon) Lawrence d’Arabie.

Après avoir lancé la révolte contre les Turcs, le chérif Hussein Ibn Ali demanda, en août 1916 l’aide de la France, celle-ci envoya sur place le lieutenant-colonel Brémond qui coiffait une double mission : une mission civile pour faciliter la venue à La Mecque des pèlerins venus des colonies françaises, cette mission vit l’achat d’une hôtellerie par la société des Habous créées en Algérie et une mission militaire composée d’officiers et de sous officiers musulmans parmi lesquels on peut citer le chef d’escadron Chérif Cadi (premier polytecnicien d’origine algérienne voilà pour Macron et son « crime contre l’humanité »), le capitaine Reguid Saad, le capitaine  Mohammed Ould Ali Raho qui fut mortellement blessé en 1919 à Tarabah en défendant le camp de l’émir Abdallâh contre une attaque d’Ibn-Séoud ou encore le lieutenant Mustapha Isaad chargé de l’école des sous-officiers de La Mecque. Ce sont ces Français qui portèrent les coups les plus rudes aux Turcs (à chaque colonne arabe étaient adjoints des cavaliers, des artilleurs et des sapeurs français) et auxquels il arriva de sauver la mise à Lawrence lors des combats autour de Maan grâce aux artilleurs du capitaine Pisani.

Les excellents résultats obtenus par les Français ne pouvaient que déplaire aux Britanniques qui obtinrent le retrait de la mission française en 1917.

Barr nous montre qu’avant même la fin de la guerre, les Britanniques étaient décidés à ne pas respecter les Accords Sykes-Picot : il y eut la Déclaration Balfour de novembre 1917, puis les Britanniques réunirent Fayçal et Chaïm Weizmann qui finirent par signer un accord sur les limites entre la Palestine et le Hedjaz et pour enfoncer le clou les Britanniques firent savoir aux Français que leur soutien à la récupération de l’Alsace-Lorraine n’était pas acquis et lorsque Clémenceau vint à Londres le 1er décembre 1918, il dut passer sous les fourches caudines et donner en échange Mossoul et Jérusalem.

En Palestine, les Britanniques se trouvèrent confrontés à une agitation arabe croissante : dès avril 1920 des troubles éclatèrent à Jérusalem aux cris de « La Palestine est notre terre, les juifs sont nos chiens ». Pour les Britanniques, il ne faisait pas de doute que la France soutenait les Arabes, lors de la révolte druze de 1925, les Français dénoncèrent le fait que les révoltés possédaient des bases arrières en Transjordanie.

Cette tension entre les deux pays nous la retrouvons dans un roman de Pierre Benoit, La châtelaine du Liban, paru en 1924, où est mis en scène un agent anglais, le major Hobson.

Lorsqu’en 1927, le pétrole jaillit à Baba Gourgour dans le nord de l’Irak, se posa la question de son transport et le tracé de l’oléoduc fut encore une occasion d’affrontement.

Avec la 2ème Guerre mondiale, la situation ne s’améliora pas, il y eut bien sûr la campagne de Syrie en juin-juillet 1941, mais on peut dire que c’est après que les choses se sont envenimées avec en particulier l’envoi sur place du général Spears, avec un mission d’une centaine d’hommes,qui défendit l’idée d’élections générales au Liban et en Syrie, ce que ne pouvait accepter le général de Gaulle. Rommel lui sauva la mise avec son offensive victorieuse de l’été 1942, lorsque les Anglais évoquèrent de nouveau des élections, le général répliqua : « Vote-t-on en Égypte, en Irak et en Transjordanie ? ».

Lorsque des élections furent organisées en 1943, le nouveau gouvernement libanais était peu favorable à la France qui tenta un coup de force, mais les Britanniques bloquèrent l’action française.

Côté français, on prit bientôt des mesures de rétorsion, en effet dès 1941, les services français avaient entretenus des liens avec les groupes sionistes, leur fournissant des armes , leur permettant de se réfugier au Liban ou en Syrie  et n’hésitant pas à financer le Groupe Stern.

Barr consacre à cette question un quart de son ouvrage.

Si cet ouvrage présente une vision britannique, il n’en demeure pas moins objectif et d’une lecture très agréable, nous faisant découvrir les méandres de l’Histoire.

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