Une définition très simple de ce qu’est la jeunesse Bündisch pourrait tout simplement être la "nouvelle forme que prennent les mouvements de jeunesse après la Première Guerre Mondiale" (depuis le début des années 20 jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler où ces mouvements seront soit absorbés soit interdits) C’est une nouvelle forme dans le sens où si les Bünd sont des mouvements de jeunesse, ils vont bien au-delà de la simple association culturelle ou sportive. Et si ces dernières représentent la grande majorité à cette période, la jeunesse Bündisch, ne comptabilisant qu’à peu près 50000 "membres" (répartis en différents mouvements tels les Adler und Falken, la Deutsche Falkenschaft, la Schilljugend, la Freischar Schill, les Geusen, les Artamanen ou encore la Deutsche Freischar) aura inversement une influence non négligeable sur son époque, car ses idées se diffuseront bien au-delà du cercle étudiant, animant même certaines corporations.
Si l’on s’en tient à la signification même du mot Bund, qui pourrait être traduit en français par le terme "ligue", on pourrait comparer cette jeunesse aux mouvements présents a cette époque dans d’autres pays européens. Mais le terme même der Bund (le lien) et le verbe binden (relier, lier) implique déjà une différence fondamentale entre le Bund et le groupe de jeunes plus "classique" d’inspiration scoutiste, en ce sens qu’il insiste sur le côté organique et sur la notion de communauté. Par ailleurs, la jeunesse Bündisch est une expérience proprement allemande, et que l’on ne pouvait pas retrouver ailleurs en Europe, de par le fait qu’elle s’inspire et se nourrit de quatre idées et mouvements typiquement allemands : le concept de Prussianité, le mouvement Völkisch, les tentatives d’élaborer une religion nationale et la Révolution Conservatrice.
Des gens comme Spengler, Moeller van den Bruck, Hielscher ou encore Günther furent les principaux artisans du concept de prussianité. Concept qui se réfère, pour simplifier à l’extrême, à un "âge d’or" de l’Allemagne où les rapports entre les différentes classes sociales étaient "pacifiés" et à une Prusse représentant les notions d’unification et d’Empire. Allant plus loin ces auteurs ont théorisé une figure du prussien qui peut se définir ainsi : sens des responsabilités et du devoir envers l’Etat, sobriété et absence de pathos, discipline. On retrouve dans ces caractéristiques l’image de l’armée et de l’administration, deux institutions on ne peut plus prussiennes, mais ayant vocation à être "incarné" par chaque allemand. Et si la notion de droit est totalement absente, la liberté est, elle, une "valeur fondamentale" car si le prussien s’intègre dans une société, dans une communauté où il accomplit ses devoirs il n’en possède pas moins une liberté de jugement et un réel esprit critique. Et c’est vers cet "homme idéal" que va tendre la jeunesse Bündisch, animée par le sens du service et du devoir tout en se voulant à la fois des hommes libres.
Une autre influence majeure de cette jeunesse est le mouvement Völkisch qui s’articulait autour de la défense de la pensée et de l’héritage allemande et de l’opposition à tout ce qui est undeutsch (non allemand), c'est-à-dire les facteurs susceptibles de nuire à l’Allemagne et à sa spécificité. Les "ennemis" prioritaires des Völkisch étant les Lumières et la civilisation française et le catholicisme romain, tous deux jugés comme universalistes et donc néfaste pour l’esprit allemand. Et si dans les années 20 l’attachement à sa terre et à son pays natal était largement répandu en Allemagne, la jeunesse Bündisch, de par ses activités et son mode de vie, aura pour mérite de les mettre en pratique et de vivre l’idéal Völkisch de manière concrète. Et les Bund iront plus loin en opposant la culture du peuple allemand, celui qui vit sur la terre allemande, qui en vit et qui la cultive et celle de l’élite vivant dans les villes, considérée comme d’essence latine. Dans les milieux Bündisch les villes industrielles étaient considérées comme détruisant cette unité du peuple allemand qu’entretenait le contact de la terre natale et produisant des générations d’hommes individualistes et sans réelles identités. A l’inverse la communauté villageoise est présentée comme ne connaissant pas de comportements individualistes et le village est donc vu comme "l’antithèse" des grandes villes qui rompent le lien communautaire. De plus cette "vie au village" permet de transmettre et de faire perdurer le mode de vie, les coutumes, les traditions des ancêtres mais aussi, grâce à une "proportion humaine" dans les rapports, de tisser et renforcer les liens familiaux et communautaires. Pour résumer grossièrement la campagne représente pour la jeunesse Bündisch l’essence même de l’Allemagne tandis que la ville est l’endroit qui permet à l’étranger de s’infiltrer et de saper cette essence.
La question religieuse est celle qui donna le plus de soucis et occasionnera le plus de débats dans cette jeunesse empreinte de protestantisme (après tout on est en Allemagne) mais refusant comme on l’a vu plus haut le côté universel de la religion. Alors même si l’aspect confessionnel n’est pas primordial chez les jeunes Bündisch, ils seront bien entendu attentif aux travaux de certains penseurs qui vers la fin du 19ème s’employèrent à "germaniser le christianisme" et notamment Paul de Lagarde, professeur de théologie et Arthur Dinter, romancier. Lagarde, jugeant la religion en pleine décadence, considérait qu’une "religion authentique" se devait d’être profondément liée à la nation. Ainsi si l’artiste ou l’intellectuel, selon Lagarde, ne sont réellement créatifs que s’ils restent en contact avec le peuple, une religion non nationale ne peut que disparaître un jour ou l’autre et Lagarde chercha donc, à travers ses études et son travail, à parvenir à une religion "pure", c'est-à-dire débarrassée du judaïsme de l’Ancien Testament, du Jésuitisme, dénoncé comme universaliste, et de la réforme luthérienne. Dinter estimait au contraire que Luther, ayant introduit la Réforme, avait ainsi détruit l’autorité du Pape en déplaçant « la décision religieuse au sein de notre propre conscience », faisant du chrétien un homme libre. Et face à l’universalisme chrétien Dinter présente la Réforme comme une révolte nationaliste, voire Völkisch. Si Lagarde n’alla pas aussi loin il mit en avant le fait que la nouvelle religion allemande aurait pour fonction de rapprocher l’individu et sa communauté car selon lui seule la religion et la tradition déterminaient une nation, et non la race, la langue, la culture ou même une volonté commune. Toujours selon Lagarde si la religion relie l’homme à Dieu, l’homme reste membre d’un peuple, d’une communauté et la liberté et l’égalité avec ses semblables n’a de valeur que devant Dieu. Insistant sur l’individualité que chacun se doit de développer Lagarde rappelle que cette liberté n’est pas celle de faire ce que l’on veut mais plutôt de devenir ce que l’on doit être. Une idée très souvent reprise par la jeunesse Bündisch qui cherchaient à concilier la liberté individuelle et le devoir envers la communauté.
S’inscrivant en plein dans la Révolution Conservatrice les jeunes Bündisch en reprendront le rejet du libéralisme moderniste et individualiste et de la pensée réactionnaire qui se fige dans l’admiration du passé. Les conservateurs étant vu comme ceux qui ne veulent garder que l’essentiel et ne craignant pas les changements voire les révolutions, si cela peut permettre de sauvegarder l’essence même d’une nation. On retrouve cette notion chez Jünger lorsqu’il dit que la tradition est : « la forme de la nécessité commune aux générations ; son noyau vivant » et que ce n’est pas « quelque chose de déjà advenu, mais quelque chose qui se développe continûment dans les temps décisifs… la fusion du passé et de l’avenir dans le foyer incandescent du présent » La jeunesse Bündisch aura d’ailleurs à cœur, au travers de ses activités, de faire revivre cette tradition mais de manière vivante et moderne et non sclérosée.
Après avoir survolé les principales influences de la jeunesse Bündisch reste à voir comment elle se concevait et s’organisait dans la pratique. Le Bünd va au-delà de la simple réunion d’adhérents ayant acquitté leur cotisation et suivant un règlement puisque dès son apparition et ne serait-ce que par la signification même du terme (voir au début de l’article) il eut vocation à être une véritable "communauté organique" avec ses règles propres. Ainsi selon ses membres « le Bünd naît par une commune expérience, une commune nécessité et dirigée vers un même but de ceux qui sont une volonté liée » Il s’agit donc d’une jeunesse n’aspirant qu’à vivre en collectivité, une collectivité où l’individu doit se transformer comme le fait remarquer Schöps : « le contenu de la nouvelle liberté ne réside plus dans la dissolution de tous les liens traditionnels, ni dans le rejet de toute autorité, mais dans le lien volontaire, sans hésitation… »
Ce phénomène d’intégration on le retrouve en fait dans deux expériences allemandes majeures : l’expérience du front (nous sommes en effet au lendemain de la première guerre Mondiale) et celle des Wandervögel, mouvements de jeunesse où l’on retrouvait la plupart des futurs chefs Bündisch. Ces mouvements se définissaient principalement par un rejet de l’esprit bourgeois, des grandes villes et un désir de retour à la nature par le biais de veillées, de raids et de camps. Mais si cette expérience permettait aux membres des Wandevögel de se forger une personnalité sans être réellement dépendant du groupe, les Bündisch, eux, insistent justement sur l’aspect "groupe" de cette expérience.
A travers la guerre et l’expérience du front, c’est l’image même du soldat qui va fasciner et inspirer la jeunesse Bündisch. Le soldat, la vie militaire, la guerre impliquant intégration et subordination mais aussi la "soumission de tous vers un but unique". Et c’est cet ensemble, basé sur l’intégration à une communauté face aux comportements individualistes, qui va différencier cette jeunesse des autres mouvements. Lutze écrit d’ailleurs à cette époque : » tandis que la jeunesse libre allemande donnait à l’individualité plus de place, la jeunesse Bündisch devient plus fortement collective. Toujours plus contraignant et exigeant apparaît le tout par rapport au particulier. Il exige toujours davantage son intégration et sa subordination ».
Et l’on arrive ici à un paradoxe fondamental de cette jeunesse qui base l’existence de sa communauté sur la libre acceptation de la discipline et de l’autorité tout en mettant en avant le rôle de l’individu. C’est pourquoi les Bündisch insistent sur la différence entre les individus, sur les bons et les mauvais individus et Spengler l’énonce parfaitement lorsqu’il déclare que: « Prussienne est la soumission par la volonté libre. Celui qui n’a pas de moi à sacrifier de devrait pas parler de la loyauté. Il ne fait que courir derrière celui à qui il a remis la responsabilité. » Ainsi que Hoffman : « la relation communauté et individu n’est pas pensée telle que la personnalité doive être dissous et qu’elle soit seulement à entendre à partir de la communauté. Au contraire l’individu même s’il est le produit et reste dépendant de la communauté, a en tant que personnalité à s’épanouir » Le chef du Bünd, qui d’ailleurs ne tire sa fonction que du libre consentement de chacun devenant ainsi le "premier parmi les égaux", est donc invité à rechercher et à encourager les personnalités plutôt que la soumission bête et aveugle à l’autorité et c’est cette différence qui doit apporter toute sa force à la communauté.
Ce qui marque encore plus nettement le fossé qui sépare la jeunesse Bündisch du reste de la jeunesse est le fait que l’objectif final du Bünd était de former l’élite qui dirigera un jour l’Allemagne et les termes d’élite et d’aristocratie reviennent d’ailleurs régulièrement dans les publications Bündisch qui opposent leur mode vie a celui de la bourgeoisie et des masses habitant les grandes villes. Pour Paetel : » le Bünd tendait à l’éducation d’une minorité spirituelle militante qui, choisie selon des mesures aristocratiques, est persuadée qu’un jour le moment viendra où les lois de sa vie, peut-être sous une forme différente, devront être universellement valables pour leur environnement » Les origines sociologiques des membres sont d’ailleurs assez significatifs puisque l’on rencontre dans ces mouvements une écrasante majorité d’étudiants issus de la bourgeoisie d’Allemagne du Nord et de l’Est, poursuivant dans le Bünd l’idée d’être une minorité appelée un jour à exercer le pouvoir.
Concernant l’entrée dans un Bünd, si elle était un choix librement consenti, l’acceptation du candidat était soumis à une période plus ou moins longue durant laquelle il devait apporter la preuve qu’il acceptait et supportait les "règles de vie" Bündisch. Le candidat devait en outre posséder à la fois des capacités intellectuelles et physiques car l’accent était surtout mis sur les notions de courage, de force et d’endurance comme le rappelle cette "devise" : » la Jungenschaft méprise le confort et le conformisme bourgeois repu… la Jungenschaft a une joie au froid, à la dureté, au vent et à la pluie, à l’inconfort, à la faim et à l’effort » Ces épreuves difficiles, vécues en groupe, permettaient de renforcer les liens affectifs et organiques contre l’individualisme rationaliste mais aussi d’être l’apprentissage d’un engagement futur envers la nation.
Outre cette volonté d’éduquer et de sélectionner la jeunesse Bündisch avait aussi vocation à retrouver et à intégrer le peuple allemand. L’un des moyens mis en œuvre fut de retrouver et de remettre au goût du jour les racines populaires allemandes par le biais des chansons et danses, du théâtre profane… L’autre activité majeure des Bünd était la randonnée et le raid, qui en plus d’endurcir moralement et physiquement, « consiste plutôt dans la connaissance du pays et des gens à travers une prise de contact personnelle avec toutes les couches du peuple, à reconnaître l’essence de cette nation » (Freischar Schill) Et de là découlait également un intérêt particulier pour la nature et sa préservation car selon les Bündisch, le peuple et son environnement ne peut être dissocié.
Le dernier aspect de cette volonté de retrouver la spécificité allemande est ce que l’on a nommé le "combat pour les frontières" que la jeunesse Bündisch menait par le biais de grandes marches effectuées en dehors des frontières tracées par le traité de Versailles et sur des territoires où résidaient des populations germaniques. Ce combat prit aussi un aspect plus économique au travers du travail volontaire; concrètement il s’agissait de camps d’été pour les jeunes allemands, situés dans des propriétés paysannes de l’est du pays. Les objectifs étaient multiples : endurcir les jeunes allemands, éviter le recours aux travailleurs immigrés et entretenir l’idée pangermaniste d’expansion vers l’Est.
Pour conclure je veux juste préciser que j’ai écrit cet article en m’inspirant largement de l’excellent ouvrage d’Alain Thiémé, la Jeunesse Bündisch en Allemagne, disponible sur Librad.com. Dans ce livre vous trouverez en plus d’un travail beaucoup plus détaillé et beaucoup plus riche sur la jeunesse Bündisch, de nombreuses indications sur les mouvements NR et NB ainsi que sur le journal Die Kommenden, qui fut en quelque sorte l’organe de presse "officiel" de la jeunesse Bündisch.