Selon le philosophe et animateur de radio Alexandre Douguine, le monde arrive à sa fin : « Nous sommes les derniers hommes du dernier monde, mais peu nombreux sont ceux qui en ont conscience ».
Malgré ces conceptions excentriques, Finis mundi, son émission hebdomadaire d’une heure, est devenue une émission culte pour les étudiants moscovites. « C’est une émission prenante » affirme l’étudiant en médecine Alexis Sorokhin, « je l’apprécie parce que c’est quelque chose de nouveau, la musique est cool même si elle est étrange ». Il ajoute toutefois qu’il ne comprend pas tout. Sa petite amie, Natacha Smirnova est aussi un fan de Finis mundi, bien que plus partagée : « Elle nous procure beaucoup d’informations, mais elle donne aussi le cafard » dit-elle.
Douguine présente ses idées spirituelles et philosophiques - un mélange d’annonce de l’apocalypse et d’idéologie d’extrême-droite - en contant la vie de diverses figures philosophiques, religieuses ou littéraires. Cela va des très connus, comme Friedrich Nietzsche, aux quasi-inconnus, tels l’italien d’extrême-droite Julius Evola. Dans ces récits reviennent sans cesse des mots comme « cosmique », « ésotérisme » et « métaphysique ». Alexandre Douguine dit en riant « Je ne fais pas un effort pour employer des termes difficiles. De toute façon ceux qui ne comprennent pas peuvent s’acheter un dictionnaire ... »
Dissident durant la période soviétique, Douguine fut pour cela exclu de l’Institut Aéronautique de Moscou. Par la suite, il fut rédacteur au journal ultra-conservateur Dien. Avec le musicien de jazz avant-gardiste Serge Kuryokhin et l’écrivain Edouard Limonov, il fonda la Révolution Conservatrice, un obscur mouvement politique opposé au communisme soviétique et à la démocratie libérale, et qui appelle à la fusion de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche.
Les biographies radiophoniques d’Alexandre Douguine sont présentées sous une forme vivante et dramatique. Ses monologues sont interrompus par un étrange mélange de musiques allant de Wagner à Edith Piaf et à Franck Sinatra en passant par des mélodies de l’époque communiste.
Alors que les étudiants apprécient ces émissions, nombreux sont ceux qui affirment que les vues extrêmistes de Douguine sont dangereuses. « Il peut rendre ses auditeurs athées » estime Andréï Karayef, un enseignant de théologie de l’Université de Moscou. Mais d’autres lui sont favorables : « La présence d’un animateur cultivé et parlant correctement sur les ondes d’une radio privée est un événement positif » pense le professeur de philosophie Youri Saprikhin, « sa pensée peut être irritante, mais dans le même temps il fait découvrir des philosophes importants ». L’écrivain Limonov lui estime que « les auditeurs sont las des soap opéras et veulent une réflexion de haut niveau ».
L’émission est aussi l’occasion de publicités gratuites pour la maison d’édition d’Alexandre Douguine, Arktogaïa et pour son journal politique Eléments. Le philosophe est d’ailleurs très satisfait d’être devenu une star de la radio : « Je suis un DJ métaphysique » estime-t-il en souriant.
Alex Bratersky
(paru dans Moscow Times, 24 février 1997)