Le nouvel idéologue en chef de Moscou : Ivan Demidov
Récemment, l’attention des commentateurs russes et occidentaux s’est concentrée sur les élections présidentielles du 2 mars 2008, et sur la personnalité de Dimitri Medvedev. En conséquence, la nomination d’Ivan Demidov, 44 ans, comme chef du Directorat Idéologique du Département Politique du Comité Exécutif Central de « Russie Unie », fin février 2008, est passée largement inaperçue.
Demidov est un politicien russe haut en couleur qui est devenu une figure culte parmi la jeunesse dans les années 1990, alors qu’il était un modérateur populaire et un producteur de programmes pour jeunes pour diverses stations TV. Son nouveau poste d’idéologue en chef du parti au pouvoir en Russie a dû lui être cédé par un autre politicien prolifique, Leonid Goryanov. Comme la Russie est depuis peu revenue à un système de parti unique de facto, Demidov occupe une position unique dans la « verticale du pouvoir » de Poutine. Sa fonction a le but explicite de formuler et de répandre l’idéologie du parti qui contrôle la plupart des parlements fédéral, régionaux et locaux de la Russie, et qui (avec quelques partis mineurs) a officiellement désigné Medvedev comme candidat à la présidence.
Avant sa récente promotion, Demidov avait déjà été conseiller pour « Russie Unie ». De plus, il était directeur du site web nationaliste du parti, « Projet russe », et directeur de la section des Jeunes, ultra-antioccidentale, du Conseil de Coordination de « Russie Unie », section appelée « La Jeune Garde ». Il a aussi été directeur de la petite chaîne TV religieuse « Spas » (Sauveur) qui transmet divers programmes imprégnés d’un fort anti-américanisme.
Mais Demidov était devenu célèbre avant ces nominations politiques. Dans les années 1990, il était connu comme un journaliste anticonformiste sortant d’un groupe de jeunes hommes de TV antisoviétiques qui, avec leurs débats TV largement regardés, eurent leur part dans la délégitimation du système sociopolitique dans la période finale de l’URSS. Demidov était alors vu comme quelqu’un de lié au mouvement libéral, ou, du moins, antitotalitaire, de la Russie. Pourtant, ces dernières années, il a évolué de la même manière qu’un bon nombre d’autres éminentes figures russes de son âge, incluant Sergei Markov ou Mikhaïl Leontiev – deux des commentateurs politiques préférés du Kremlin que l’on peut voir sur les shows TV aux heures de grande écoute, plusieurs fois par semaine. Comme Markov ou Leontiev, Demidov a commencé par être un symbole de la nouvelle génération postcommuniste de la Russie pour finir par faire partie de l’establishment néo-traditionaliste de Moscou. Il est maintenant un avocat de la Russie comme civilisation mondiale unique ainsi que comme grande puissance autosuffisante, et participe à la diffusion incroyablement rapide par le Kremlin de ces attitudes parmi les teenagers et les étudiants.
Sa récente promotion suit la tendance générale de la politique des cadres du Kremlin qui s’est exprimée par la nomination, au début de cette année, du prolifique nationaliste russe Dimitri Rogozin comme nouvel envoyé de la Russie au QG de l’OTAN à Bruxelles.
C’est peut-être la raison pour laquelle l’ascension de Demidov a, jusqu’ici, peu attiré l’attention en Russie et en Occident. Il faut ajouter, cependant, que Demidov a déclaré être sous l’influence d’une variété particulièrement extrême de l’impérialisme russe, connue sous le nom de « néo-eurasisme ». Cette idéologie a été principalement développée, dans des centaines d’articles et de livres, par le théoricien russe néo-fasciste Alexandre Dougine (né en 1962), et constitue peut-être l’idéologie antidémocratique la plus radicale qui a été acceptée dans l’establishment politique de la Russie aujourd’hui.
Dans une interview en novembre 2007 pour le site web de Dougine, Evrazia.org, Demidov a déclaré que « indubitablement, un facteur décisif, un certain point de rupture, dans ma vie, a été l’apparition d’Alexandre Dougine ».
Les deux hommes ont coopéré pendant un bon moment dans la chaîne TV « Spas » de Demidov, où Dugin a son propre show appelé « Vekhi » (orientations). Sans doute Demidov a-t-il déclaré à plusieurs reprises que ses divers projets de propagande patriotique sont conçus pour priver les ultranationalistes russophiles de leur contrôle du programme nationaliste et visent donc à lutter contre l’accroissement de la xénophobie et des crimes de haine en Russie. Il a annoncé que « les mots ‘russe’ et ‘fascisme’ sont des antonymes », et que lui et ses associés « combattront contre l’infusion du terme ‘fascisme russe’ dans la conscience de masse ».
Cependant, en 2007, Demidov, avec une référence explicite à Dougine, a aussi reconnu être un « Eurasien convaincu ». C’est curieusement la même phrase que Dougine avait utilisée 15 ans plus tôt pour décrire les opinions politiques de Reinhard Heydrich (1904-1942), le sinistre chef du Service de Sécurité de la SS et l’un des planificateurs de l’Holocauste.
Dougine voit son mouvement eurasien comme l’héritier d’un « Ordre Eurasien » secret qui existe depuis des siècles, et qui a compté, entre entres, divers ultranationalistes allemands. Tout en se distançant parfois fortement des crimes de Hitler, Dougine a, durant toutes les années 1990, exprimé à de nombreuses reprises son admiration pour certains aspects du mouvement nazi. Par exemple, il a qualifié le secteur théorique de la Waffen SS d’« oasis intellectuelle » à l’intérieur du Troisième Reich, et reconnu que le national-socialisme était « la réalisation la plus complète et la plus totale » de la Troisième Voie que Dugin défend à ce jour.
Dans l’un des ses nombreux articles profascistes des années 1990, Dougine s’excite à la perspective qu’après les échecs de l’Allemagne et de l’Italie, un véritable « fascisme fasciste » émergera finalement en Russie aujourd’hui.
Dans ce nouveau siècle, sans doute, la rhétorique de Dougine est devenue plus prudente. Devenu un commentateur politique dans de fréquentes émissions TV, il se présente souvent comme un « antifasciste » et se décrit comme « centriste radical ». Dougine tente de tracer une ligne entre les intellectuels de droite de l’entre-deux-guerres qu’il admire, et ceux qui ont soutenu Hitler. Cependant, même en 2006, Dougine a reconnu que parmi ses modèles se trouvent les ultranationalistes allemands, les frères Otto et Gregor Strasser, qui entrèrent en conflit personnel avec Hitler au début des années 1930, mais qui avaient aussi joué un rôle décisif dans la transformation du NSDAP en parti de masse dans les années 1920. En mars 2008, son site web, Evrazia.org, a confirmé que Dougine a encore des sympathies pour les frères Strasser.
En dépit de nombreuses déclarations similaires et bien-connues de Dougine et de ses associés, Demidov a exprimé avec enthousiasme son admiration pour le principal « néo-eurasiste » de la Russie. Demidov a déclaré, entre autres, que « indubitablement, un facteur décisif, un certain point de rupture, dans ma vie, a été l’apparition d’Alexandre Dougine ». De plus, Demidov a proclamé qu’« il est grand temps de commencer à réaliser les idées du centre radical, telles qu’elles sont formulées par Alexandre Dougine, à travers des projets ».
A son nouveau poste d’idéologue en chef du parti au pouvoir « Russie Unie », Demidov aura largement l’occasion et les ressources nécessaires pour le faire.
Le Dr. Andreas Umland est un antifasciste qui enseigne à l’Université Nationale Taras Shevchenko de Kiev, il édite la série de livres « Politique et société soviétiques et postsoviétiques », et élabore le bihebdomadaire « Bulletin du Nationalisme Russe ».
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