Lors de la reprise en main du MSI par Fini - et en conséquence de la modération extrême de ses prises de positions - beaucoup d’entre nous avaient mis leurs espoir en Pino Rauti. Ces espoirs ont été trahis par un homme sans doute trop âgé, qui a vécu trop longtemps dans l’opposition interne et qui arrivé à la tête d’une organisation s’est révélé incapable d’incarner une politique de renouveau et d’avenir. En Italie cette situation a entraîné la création d’une nouvelle organisation : le Front National. Nous avons rencontré son principal dirigeant, Adriano Tilgher.
Question : Adriano Tilgher, qui êtes vous ? Quel est votre passé militant ?
Réponse : Je suis né à Tarente le 1 octobre 1947. Je préside actuellement le Fronte Nazionale Italiano. Je suis venu à la politique à la fin des années soixante, au sein de formations de la droite italienne.
En 1968, dans une optique de rupture avec les schémas de l’époque, fondés sur l’opposition des extrémismes, j’ai participé au mouvement étudiant, au nom de l’alliance de toute une génération contre la partitocratie et pour une Europe libérée de la logique des blocs soviétique et nord-américain.
En 1970, j’ai été parmi les fondateurs d’Avanguardia Nazionale dont je suis devenu le président. Ce groupe extraparlementaire sera impliqué dans tous les évènements politiques majeurs de ces années, du soit-disant coup d’état du commandant Valerio Borghese à la révolte de Reggio de Calabre, de la défense du droit à un enseignement non-partisan à la neutralisation de l’arrogance communiste alimentée par la connivence des forces de l’ordre et de la magistrature.
Dans les années 1980, j’ai animée l’édition italienne de la revue international Confidentiel qui avait aussi des éditions française et espagnole. Victime de la persécution judiciaire mise en place par la magistrature catho-communiste, j’ai été emprisonné pendant cinq ans, de 1982 à 1987, sous diverses accusations. Le procédé consistait, dès que j’étais innocenté d’un chef d’inculpation à me maintenir en détention sous une nouvelle imputation. Finalement, j’ai été innocenté de toutes les charges et indemnisé par l’Etat italien pour ces années de détention abusive.
J’ai adhéré en 1996, au Mouvement Social Flamme Tricolore de Pino Rauti. J’en suis rapidement devenu un des principaux dirigeants et un challenger direct de Rauti, ce qui a entraîné mon exclusion sous un prétexte fallacieux en juillet 1997. Par esprit de solidarité, environ 50 % des cadres et militants du MSFT ont quitté celui-ci et fondé avec moi le Fronte Nazionale. A celui-ci se sont depuis agrégés différents éléments du camp national qui n’avaient pas adhéré au mouvement de Rauti.
Question : Pourquoi avoir créé le Front National ?
Réponse : Mon adhésion au MSFT était dictée par la nécessité de réunir tout les éléments du camp dit « fasciste » trahi par le virage libéral de l’Alliance Nationale pour travailler à une grand transformation du mouvement. L’objectif étant le dialogue avec les couches sociales marginalisées par le processus de globalisation et leur représentation. Ce discours nouveau, cette confrontation sociale, face aux choix hyperlibéraux du néocapitalisme international, ne pouvait, ni ne peux, s’inscrire dans le prolongement historique de partis comme le MSI - ou comme le MSFT qui lui a succédé -, devenu la roue de secours de droite de la politique libérale-démocratique italienne.
Le Front National a repris la transformation interrompue par le MSFT, et accueille en son sein des déçus de la société civile lassés des partis historiques de droite, de gauche et du centre. Il s’est libéré du nostalgisme le plus primaire, et tout en revendiquant une continuité avec ce qui a caractérisé l’histoire du peuple italien, il veille à la transformation de son image, à la constitution d’un camp antagoniste.
Question : Quelle est votre force ? Quelles sont vos structures ?
Réponse : Le Front National est présent sur tout le territoire italien. Il a des sections dans plus de la moitié des capitales provinciales et dans de très nombreuses autres villes. Ses points forts sont Rome où il a recueilli 1,7 % des voix aux dernières élections, le Latium, les Abruzzes, la Molise à l’est de Rome et la Sardaigne.
Il est dirigé par une structure qui est constituée d’un Comité Central dont font partie actuellement les représentants de toutes les forces qui ont contribué à la constitution du FN et d’un Président National. Celui-ci est à la tête d’un organe collégial, le Bureau Politique.
Question : Quelle est votre position vis à vis de la Ligue du Nord ?
Réponse : La Ligue du Nord est indubitablement un mouvement neuf sur la scène politique italienne, avec lequel on peut envisager sur des thèmes précis d’engager des batailles communes. Au stade actuel, et compte tenu de l’évolution politique positive de la Ligue du Nord au cour de la dernière année, nous n’avons avec elle que deux points de désaccord fondamentaux : ses liens avec une certaine forme de capitalisme national et son discours autour de la sécession de l’Etat. Le premier point est essentiel car le capitalisme national n’est pas meilleur qu’un autre. Sur le fédéralisme, l’opposition est moins profonde. De fait nous croyons à une nouvelle réalité nationale, à l’avènement de nouveaux sentiments d’appartenance locaux et à la décentralisation administrative. Le fédéralisme de la Ligue va dans cette direction, c’est pourquoi un dialogue avec elle est envisageable.
Question : Quelle est votre position sur l’Europe et sur son unité ?
Réponse : Nous croyons profondément à l’Europe des peuples et des patries. C’est pourquoi nous sommes résolument opposés à l’Europe de Maastricht, qui est la tombe de l’Europe. Maastricht ne vise qu’à déléguer la gestion du pouvoir à un niveau supérieur, donc plus difficile à combattre : la Banque Européenne. S’il était difficile de reconquérir à la politique les Etats nationaux, les larges délégations concédées à la Banque Européenne compliquent encore la chose. La véritable Europe ne se conçoit que libérée des chantages financiers, des aléas du déficit public et de l’occupation par l’OTAN, c’est tout un continent qui s’étend de la Méditerranée à Vladivostok et assure son autosuffisance énergétique et alimentaire. L’Europe a un bagage culturel et historique unique. Pour faire échec au processus de globalisation des marchés et de la misère, il doit être prêt à s’assurer la disposition des ressources énergétiques de l’Afrique du nord.
Question : Vous avez apporté votre soutien à Ocalan et au PKK. Pourquoi ?
Réponse : Si nous sommes favorables à tous les mouvements de libération nationale, c’est précisément pour faire échec au schéma du gouvernement unique mondial et au processus de globalisation. Il n’est pas exact que nous ayons soutenu Ocalan et le PKK. Nos mots d’ordre consistaient à prôner un « Kurdistan libre » et à dire que « La liberté des peuples ne se juge pas ». Il se trouve que les artisans de cette bataille furent Ocalan et le PKK. Peu nous importent leurs prises de position.
Question : Y a-t-il encore des prisonniers politiques nationalistes en Italie ? Et dans l’affirmative, peuvent-ils bénéficier d’une amnistie et y a-t-il en leur faveur des campagnes de soutien ?
Réponse : Il y a encore des prisonniers politiques nationalistes en Italie, malheureusement ils sont presque totalement oubliés. On a tâché d’éliminer de la conscience des Italiens les causes véritables qui à la fin des années 70 et au début des années 80 ont conduit dans les geôles italiennes plusieurs milliers de jeunes gens. Nous avons apporté notre appui et nous coninuerons à soutenir des campagnes en faveur d’une amnistie généralisée qui rende leur dignité politique à des choix qui même s’ils étaient erronés d’un point de vue objectif furent accomplis de bonne foi, dans l’espoir d’atteindre un système corrompu et corrupteur.
Question : En France, on raconte que pendant les années de plomb, les nationalistes italiens ont été manipulés par les Services Secrets. Qu’en pensez-vous ?
Réponse : Les années de plomb furent une page obscure de l’histoire italienne, mais il n’est pas exact que les nationalistes italiens aient été instrumentalisés par les Services Secrets. Il est exact par contre que le système politique s’est défendu en utilisant les Services Secrets, lesquels ont mené des opérations abominables qu’on a ensuite attribué tour à tour aux mouvements subversifs de droite et de gauche. Rappelons qu’en Italie, on a fait la lumière sur les opérations et les activités des groupes terroristes, mais qu’on continue à garder le silence sur le gravissime phénomène des massacres.
Question : Quels sont les projets et les espoirs du Front National ?
Réponse : Le Front National aspire a être l’expression politique du malaise croissant qui accompagne le processus de globalisation dans toutes les classes sociales. Il veut être le bastion et l’alternative au parti unique libéral-démocratique représenté par le centre-gauche et le centre-droit. La doctrine du FN s’ancre sur trois libérations : nationale, sociale et culturelle. Sur ces bases, nous aspirons à recueillir les suffrages des 40 % d’abstentionnistes italiens.
Question : Avez-vous des rapports avec un mouvement politique français ?
Réponse : A part avec vous, nous n’avons aucun contact en France.
Note : On désigne en Italie sous l’appellation « années de plomb » les années 70 et le début des années 80. Cette période fut marquée par l’action de groupes armés contre l’Etat italien (à gauche principalement - mais pas uniquement- les Brigades Rouges, du côté nationaliste les Noyaux Armés Révolutionnaires) et par des attentats aveugles et extrêmement meurtriers (nommés les « massacres d’Etat ») effectués par les Services Secrets italiens pour déconsidérer la lutte révolutionnaire armée.