Godefroy de Harcourt seigneur normand
L’édition originale de ce livre est parue en 1980 sous le titre La Saga de Godefroy le Boiteux. C’est une très bonne idée des Éditions du Lore de l’avoir réédité, avec une préface de Katherine Hentic, épouse Jean Mabire qui nous a quitté pour l’au-delà des mers le 29 mars 2006.
Ce livre est LE livre de la notion même, de l’esprit, de l’âme de nos patries charnelles, si chères à Saint-Loup (Marc Augier) et à Maît’Jean (Jean Mabire). Et la Normandie en est ici un prototype. Katherine Hentic n’a-t-elle pas écrit, dans la préface, « Les êtres qui ont bien servi leur patrie charnelle, méritent bien cette forme d’éternité qu’est le livre. »
Au cours des mille ans qu’a duré le fabuleux Moyen Âge, il est des dates et des faits marquants :
– Fin du Ve siècle – début du VIe siècle : la légende arthurienne, appelée aussi Cycle d’Arthur ou Cycle de la table ronde
– 1066 Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, devient roi d’Angleterre après avoir remporté la victoire d’Hastings
– 1226 Couronnement de Louis IX, futur Saint-Louis
– 1316 Mort de Louis X le Hutin qui vient de promulguer la Charte aux Normands leur garantissant leurs privilèges,-
– 1326, au Château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, Godefroy de Harcourt, fils de Jean III le Tort (même handicap) et d’Alix de Brabant, malgré un handicap qui lui vaut le surnom de Boiteux, est armé chevalier
– 1346 Bataille de Crécy en Ponthieu où Godefroid a pris le parti d’Édouard III, roi d’Angleterre, et où meurt son frère Jean, du parti de Philippe VI de Valois, roi de France
– 1356 Mort de Jean V, neveu de Godefroy, assassiné sur ordre du roi de France et mort la même année de Godefroy, fidèle à lui-même et à son cher Cotentin (Normandie).
Commencé par Arthur, descendant des Atlantes, ce Moyen Âge qui s’étend de 476 (disparition de l’Empire romain en Occident) à 1453 (chute de Constantinople) et dont l’Histoire devrait être enseignée dans toutes les écoles, se termine en Normandie par la mort de Godefroid de Harcourt (1356) pour se poursuivre en Bretagne (Jean de Montfort devient souverain de Bretagne en 1365 et Anne, duchesse de Bretagne#, née à Nantes en 1477, devint reine de France en épousant successivement Charles VIII en 1491 et Louis XII en 1499 et apporta la Bretagne en dot à la France dans cette époque dite moderne.
Katherine Hentic ajoute dans sa préface : « Que les léopards se dressent et rampent, on qu’ils regardent et passent, qu’ils soient deux, qu’ils soient trois, cela a déjà moins d’importance, ils ne sont pas encore vaincus, une certaine Normandie demeure et déjà exige d’exister telle qu’en elle-même ; toute patrie charnelle… »
Godefroy, troisième garçon de jean III de Harcourt et d’Alix de Brabant, est né avec une jambe plus courte que l’autre, ce qui lui vaudra le surnom de : « Boiteux ». « L’Ordre, pas plus que l’Église, n’admet dans ses rangs des infirmes (…) Godefroy a cependant été jugé digne par ses futurs pairs » d’être armé chevalier en 1326, comme ses deux frères l’ont été avant lui,
Il régnera sur son cher Cotentin au départ de son château de Saint-Sauveur-le-Vicomte. Depuis un siècle avant sa naissance, la Normandie est soumise au roi de France. Mais les îles au large du Cotentin, Jersey et Guernesey, restent sous le règne du roi d’Angleterre en tant que duc de Normandie. « Être Normand, avant d’être Français ou Anglais, ce sera l’honneur de Godefroy de Harcourt. Ce sera aussi son drame. » Car il n’est d’honneur sans fidélité. Et celle de Godefroy va osciller entre sa fidélité au roi de France et sa fidélité au roi d’Angleterre. Terrible alternative pour ce descendant de fiers Vikings !
« Godefroy de Harcourt n’a guère plus d’une vingtaine d’années quand il apprend que (…) Le dernier des Capétiens vient de mourir sans héritiers direct. La légitimité devient contestable. » En 1327, Isabelle de France, épouse de l’impopulaire Edouard II d’Angleterre, obtient du Parlement de le déchoir et de faire couronner son fils, qui vient d’avoir quatorze ans, sous le nom d’Edouard III. En 1328 Philippe de Valois est couronné à Reims et portera le nom de Philippe VI. « À ce roi de trente-quatre ans, sans prestige et sans éclat, on comprend que le jeune seigneur normand va un jour préférer son jeune rival, âgé alors de seize ans seulement : Edouard III. »
Une première guerre entre les souverains se dessine en 1339 qui prendra le nom de « équipée de Buironfosse » ; en fidèle vassal, Godefroy est du côté du roi de France, qu’il n’aime pas, mais qui est son suzerain. Mais « Edouard III décide de lever le camp pendant la nuit, même si lui aussi brûle d’en découdre (…) Godefroy de Harcourt (…) gardera de cette campagne une impression de désordre et de couardise. Il n’est pas près d’oublier qu’un seul lièvre a réussi à provoquer une véritable cohue dans les rangs français. Il a découvert, sur le champ de bataille, la discipline et la correction des Anglais. (…) Edouard III, lui, portai l’écu intégral de Normandie et d’Angleterre. Trois léopards contre les deux du prince Jean, fils du roi Philippe de France. »
En 1340, à Gand, Edouard III prend le titre de « roi d’Angleterre et de France » et ajoute sur son blason un semis de lys d’or aux trois léopards d’or. « Le Valois vient de subir une terrible défaite politique ». Edouard III le nomme « Philippe de Valois qui se dit roi de France ».Cette même année, une seconde guerre entre les deux souverains commence par une guerre navale. « Les bâtiments anglais, manœuvrant bien, ont détruit une flotte au mouillage qui ne peut appareiller et combattre au large. (…) Le Valois perd cent soixante six vaisseaux et près de quinze mille hommes. Ce n’est pas un revers, c’est un désastre. (…) Cela préfigure étrangement le massacre, survenu exactement six siècles plus tard (…) (3 juillet 1940), et entre les mêmes ennemis, à Mers El Kébir. » Le 25 septembre 1340, une trêve est signée. (…) Comme l’an passé, la bataille se termine sans bataille décisive. Les seigneurs qui espéraient un combat glorieux et profitable se montrent fort déçus ».
« Bien installé sur ses terres du Cotentin (…) Godefroy de Harcourt ne regrette certes pas de n’avoir point pris part à cette expédition (…) le seigneur de Saint-Sauveur-le-Vicomte songe d’ailleurs plus à l’amour qu’à la guerre (…) âgé de plus de trente-cinq ans (…) Il porte son regard Jeanne de Bacon (…) jolie (…) et riche ». « Il va subir l’humiliation d’un refus ». Jeanne lui préfère Guillaume Bertrand, sire de Bricquebec, fils de Robert Bertrand « Maréchal de France depuis cette année 1326 durant laquelle Godefroy le Boiteux a été armé chevalier ». Une haine de Normands naît entre eux. Godefroy « … ne se considère plus désormais, en son for intérieur, comme un vassal du roi Philippe VI de France et de son fils Jean, duc de Normandie. Il se sent déjà, après longue réflexion solitaire, un rebelle. »
Notre Godefroy de Harcourt, après un long hiver de réflexion, se rend à une grande partie de chasse dans la forêt de la Lande Pourrie, loin de son Cotentin où il se sent surveillé. Suivront d’autres réunions de « ceux qui sont désormais devenus des conjurés et reconnaissent pour seule autorité celle de Godefroy de Harcourt » qu’ils espèrent voire nommer duc de Normandie par Edouard III. La rapidité de réaction du Valois ne se fait pas attendre : « Le château de Saint-Sauveur-le-Sauveur est occupé par les troupes royales ». Godefroy de Harcourt quitte le Cotentin et gagne secrètement le Brabant, pays de sa mère.
« Ceux que tous leurs compatriotes auraient sans doute suivis, s’ils avaient été vainqueurs, deviennent maintenant des réprouvés, des hommes dont on se détourne avec pitié et même avec mépris. On ne leur pardonnera d’avoir échoué. »
Le 31 mars 1344, trois Normands, compagnons de sont condamnés à mort par la cour du roi Philippe VI et exécutés le 3 avril 1944 ; les trois corps décapités sont pendus par les pieds au gibet de Paris et leurs têtes envoyées à Saint-Lô pour y être exposées sur une roue en plein marché. Des peines de bannissement avec confiscation des biens sont prononcées à l’encontre de Godefroy de Harcourt et de ses amis fidèles Pierre de Préaux et Raoul Patri. Tout le clos du Cotentin est entré dans l’obéissance à Philippe VI.
Réfugié en Brabant dès le mois de mai 1343, Godefroy de Harcourt devient une légende. Pour Philippe VI, il incarne le Mal. En ce début du XXIe siècle, les exemples des vainqueurs prétendant incarner le Bien et considérant les vaincus, passés, présents et à venir comme l’incarnation du Mal sont nombreux. Nihil novi sub sole.
Dans sa quarantaine, exilé en Brabant, malgré son infirmité, Godefroy de Harcourt « ne s’est jamais senti si fort qu’en ce temps d’épreuve. (…) L’exemple des Flamands l’éclaire. À Bruges, à Ypres, à Gand, les tisserands et les drapiers se sont débarrassés de leur comte jugé trop favorable au roi de France et ont constitué une sorte de ligue urbaine indépendante protégée par le roi d’Angleterre. « Jacob van Artevelde anime ce mouvement et de plus en plus, le chevalier normand rêve de prendre l’agitateur pour modèle. Il recompose toute une Normandie idéale et irréelle de villes libres où des milices bourgeoises remplaceraient les troupes royales et où les bannières à léopards d’or flotteraient en place des étendards à fleur de lys. »
Début 1345, notre Boiteux débarque en Angleterre où Edouard III s’empresse de le prendre sous sa protection. Godefroy quitte un suzerain pour un autre. « À son image, la Normandie va se trouver désormais déchirée entre les deux rois, écartelée entre les lys et les léopards. »
Les hostilités reprennent. Elles commencent par la reprise de Château-Cornet à Guernesey. Elles se poursuivent par un débarquement en Normandie. Edouard III s’empare rapidement de l’ouest de la Normandie. Philippe VI monte une armée pour lui résister ; il est encore maître de l’est de la Normandie. L’armée anglaise, délaissant Paris, franchit la Seine et fonce vers la Picardie. Puis elle franchit la Somme au gué de Blanche Tache. Dans la Vallée-aux-Clercs, Edouard III l’emporte sur son rival Philippe VI. « Le camp choisi par Godefroy de Harcourt apparaît, dans ce sanglant crépuscule, comme le camp vainqueur. »
« Plus libre et plus seul que jamais », le Boiteux s’en retourne à Saint-Sauveur-le-Vicomte, en son clos du Cotentin.
En 1347, Edouard III s’empare de Calais. Godefroid rencontre le fils de Philippe VI, « ce Jean qui se dit duc de Normandie » puis le roi Philippe VI qui lui rend tous ses biens et le nomme capitaine souverain en Normandie.
Puis, vint la Peste, cette grande faucheuse… Philippe VI meurt en 1350. Son fils Jean lui succède. Charles de Navarre séduit Godefroy de Harcourt « de plus en plus enfermé dans la solitude hautaine de son château de Saint-Sauveur-le-Vicomte, remâchant les souvenirs de ses combats et de ses querelles ». Il choisit à nouveau le clan de la rébellion et s’allie à Charles de Navarre que le nouveau roi de France, Jean le Bon, va combattre avant de se venger sur les Normands. Godefroy est à nouveau banni et se rallie à nouveau à Edouard III. Il commence une nouvelle campagne, véritable guerre-éclair. Puis retourne dans le Cotentin où il rédige son testament léguant ses biens au roi d’Angleterre. À Poitiers, une bataille se termine par un nouveau désastre pour le roi de France. Puis, en 1356, Robert de Clermont est nommé lieutenant du duc de Normandie, dauphin de France. « Il a pour premier ordre de mettre Godefroy de Harcourt et ses partisans à la raison ».Une dernière bataille a lieu. La fin est tragique pour notre héros. Adossé à un arbre, dans sa cinquantième année, il va mourir, « au plein de sa force, l’arme à la main. »
« Godefroid le Boiteux mort, sa légende commence ».