Pourquoi un nouveau livre sur la guerre d’Algérie en région parisienne et le 17 octobre 1961 ?

Parce que la décision de la présidence de la République, le 17 octobre 2012, reconnaissant officiellement la « répression sanglante » de la manifestation organisée par le Front de Libération nationale algérien (FLN) à Paris en 1961 pose un problème. Si le savoir historique a indéniablement progressé, les buts réels de la fédération de France du FLN dans le déclenchement de cette manifestation n’ont aucune visibilité. Le travail des historiens est parasité par le débat politique et émotionnel autour de ce drame. La manifestation du 17 octobre 1961 était pacifique sur la forme, mais ne l’était pas sur le fond. Il s’agissait d’une action de guerre subversive visant à provoquer la mort d’innocents sous les coups de la police. Le long silence de l’État français autour de la guerre d’Algérie en France a provoqué une focalisation de la recherche et de l’intérêt des citoyens sur le « régime de terreur » des pouvoirs publics et les « violences policières » laissant bien souvent dans l’ombre la réalité du terrorisme algérien à Paris (et surtout l’horreur de la guerre fratricide conduite contre les messalistes avec recours, dans certains cas, à des exécutions selon des procédés sordides allant jusqu’à des mutilations post mortem, comme la décapitation, ce qui n’est malheureusement pas sans rappeler des drames très récents). J’ai réuni dans ce livre un ensemble d’indices et de preuves démontrant la volonté du FLN d’obtenir une répression policière violente. Les responsabilités du FLN, une organisation pré-étatique autoproclamée, un parti aux visées totalitaires et portant en germes la nature dictatoriale du gouvernement algérien contemporain ne font quasiment plus de doute (car il ne faut pas s’attendre à un aveu des principaux responsables de la fédération de France du FLN). On ne peut pas parler de responsabilité à sens unique. « Répression sanglante » : oui (la théorie du « zéro mort » est inacceptable), mais provoquée par une organisation nationaliste dans un contexte de « guerre révolutionnaire » (terme qui apparaît dans les documents produits par la fédération de France du FLN).
De nombreux ouvrages d’historiens ont été écrits sur ce sujet et personne n’a posé la question sur cette responsabilité ?
La question est posée, mais les dirigeants de la fédération de France du FLN bénéficient du doute et… de la sympathie de quelques historiens. Raymond Muelle, Jean-Paul Brunet, Jean-Marc Berlière et d’autres ont déjà émis cette hypothèse. La recherche se heurte à l’absence de preuves archivistiques, mais celle-ci vient au contraire renforcer nos doutes. La clandestinité imposait précisément l’usage de consignes orales pour les ordres secrets d’une portée stratégique (et surtout, dans ce cas précis peut-être d’une décision dont les conséquences seraient en contradiction flagrante avec la mission historique de la fédération de France). On sait aussi que le mouvement indépendantiste indien était un des modèles des dirigeants algériens. Or, la doctrine non violente de Gandhi était claire : pousser le gouvernement britannique à la répression pour le discréditer aux yeux de l’opinion internationale… Les historiens qui monopolisent et instrumentalisent le sujet sont en réalité des manipulateurs de symboles. Ils ont fait progresser la connaissance d’un sujet resté longtemps tabou (notre dette à leur endroit est considérable), mais cette avancée n’aurait pu avoir lieu sans l’action militante de personnalité comme Jean-Luc Einaudi, qui a provoqué l’ouverture des archives. Leur démarche crée un capital de sympathie et de compassion en quelque sorte, en faveur du FLN : un rapport disproportionné entre les moyens d’un pouvoir colonial, arbitraire et violent, face à une organisation clandestine. Un discours victimaire, hérité en partie des films et ouvrages de propagande du FLN, qui se fondent, ne soyons pas naïfs, sur un fond de vérité. Propagande et historiographie se sont au fil des années entremêlées au point de forger une vérité historique. Cette historiographie cryptomilitante empêche les citoyens de comprendre totalement et sereinement les faits ; elle parasite le processus psychologique (et politique) du bilan objectif de notre histoire coloniale dépeinte comme un épisode honteux. Ce livre est malheureusement une démonstration des limites de l’historiographie du temps présent.
Une étrange victoire pour qui ?
Pour la police parisienne, victorieuse du terrorisme algérien, mais pas du nationalisme. La victoire réelle (donc politique) est revenue au FLN pour avoir su mener une guerre totale : une guerre et une stratégie en adéquation avec la mentalité totalitaire de cette organisation. Toutes les mythologies humaines mettent en scène un sacrifice : les victimes de la répression policière du 17 octobre 1961, la souffrance de leurs proches et leur mémoire sont devenus l’instrument de personnes qui défendent implicitement (et peut-être naïvement, par ignorance des enjeux) le totalitarisme et le terrorisme au sein même de notre démocratie.
1961. L’étrange victoire. FLN, terrorisme et instrumentalisation mémorielle, Rémy Valat, préface du lieutenant-colonel Raymond Montaner, ancien commandant de la force de police auxiliaire, éditions Dualpha, Collection « Vérité pour l’Histoire », 352 pages, 31 euros.