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Mercredi, 18 Avril 2007
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La loi de l’éternel retour contre la loi
Pierre Le Vigan
Théoriciens :: Autres
La loi de l’éternel retour contre la loi
Auteur, notamment, d'une tétralogie érotique et de La mondialisation racontée à ceux qui la subissent, Hervé-René Martin écrit avec Eloge de la simplicité volontaire (disponible :: ici) un livre-essai-témoignage, brûlot assez inclassable, résolument talentueux et puissamment sincère. C'est du Guy Debord ou du Baudrillard (paix à son âme) mais beaucoup plus concret, beaucoup plus gai, et à peine moins brillant. Il y a aussi chez H-R Martin quelque chose du regard étonné et donc philosophique de Raoul Vaneigem. La thèse principale de H-R Martin dans la première partie du livre tourne autour de cette réflexion de Pier Paolo Pasolini : « Les hommes qui peuplaient l'univers paysan ne vivaient pas un âge d'or. Il vivaient ce que [Felice] Chilanti a appelé l'âge du pain c'est-à-dire qu'ils étaient des consommateurs de biens de toute première nécessité. C'est sans doute cela qui rendait leur vie pauvre et précaire extrêmement nécessaire, tandis qu'il est clair que les biens superflus rendent la vie superflue ». Nous en sommes là. Une société folle rend fou. Exemple : la société de marché décourage l'utilisation du lait maternel, gratuit, au profit du lait « pour bébé », payant et inadapté aux besoins de l'enfant, c'est-à-dire tout simplement dangereux. Autre exemple. C’est une scène dans un train : un homme téléphone et détaille devant ses voisins les détails de sa vie intime et de ses états d’âme. L’un des voisins se met à lire son journal à haute voix. Etonnement de l’homme au téléphone. Réponse du lecteur à haute voix : « Vous me donnez de vos nouvelles. Moi je vous donne des nouvelles du monde ».

La critique de la société de marché que fait H-R Martin s’appuie sur des exemples concrets mais aussi sur l’histoire de ce que Karl Polanyi a appelé la « grande transformation ». L’auteur montre admirablement comment le même mécanisme nous a fait passer de l’immigration puisée dans nos campagnes (nos grands parents et nos arrière grands parents) à l’immigration puisée dans le monde entier. Et il en tire toutes les conclusions. C’est le principe même du commerce mondial qui implique un échange inégal. Il faudrait 300 ans à un producteur de café colombien pour atteindre l’équivalent du revenu médian français annuel. Hostile à la société de consommation et donc aussi à l’idée de « consommer » des solutions – qui sont aussi souvent des produits marchands – l’auteur pense qu’il est préférable de « changer notre regard sur nous-mêmes et sur le monde ». C’est pourquoi même les « solutions » de l’altermondialisme, qui ne sont pas toutes stupides, et moins encore quand il s’agit d’un vrai antimondialisme, ne le convainquent guère.

H-R Martin recherche une pratique à opposer à une autre pratique, celle de l’accumulation capitaliste. Et toute pratique commence par soi. Elle commence par une disposition personnelle. « En 1846, Henry-D Thoreau fut emprisonné pour avoir refuser de payer l’impôt en signe de protestation contre la pratique de l’esclavage et la guerre d’invasion menée au Mexique par le gouvernement des Etats-Unis. Il ne voulait pas que son argent serve à des causes qui le déshonoraient ». C’est pourquoi Martin a décidé de ne plus travailler. Pour être précis, de ne plus travailler pour les autres, mais de travailler pour lui, en construisant sa maison, en vivant de la manière la plus autonome possible, au rythme de 10 à 12 heures par jour de travail, six jours sur sept. Du travail vraiment ? Même quand il écrivait des livres à raison de 16 heures par jour, il n’appelait pas cela un travail. Question de définition : c’était bel et bien un labeur, mais ce n’était pas un travail aliéné. Objectif : non pas sortir du système, – sortir complètement du « grand cirque » est impossible – mais vivre à la marge, là où, au moins on freine le plus possible la rotation de la machine folle, et où on peut lui envoyer des grains de sable pour en gripper le moteur.

Le monde est organisé pour ceux qui peuvent et veulent aller vite. Pour les autres le monde va de plus en plus lentement. Les exilés de banlieues mettent de plus en plus de temps à rejoindre le cœur des villes, attendent de plus en plus longtemps chez le médecin, ou à l’hôpital, mettent de plus en plus de temps à trouver un travail de plus en plus loin de chez eux. Avant, les pauvres avaient des commerces de proximité comme tout le monde, maintenant s’ils sont vraiment pauvres, s’ils n’ont pas les moyens d’avoir une voiture, il ne leur reste plus rien d’accessible, ou des épiceries où ils paieront chaque produit le double du prix. Cela leur coûtera cher d’être pauvre. « Salauds de pauvres » avait déjà dit Grandgil dans la Traversée de Paris. Alors, Martin a fait son choix. Préférer les épreuves à la misère. Acheter une vieille maison ? Trop cher. Il achètera un terrain. Et mettra une maison dessus. Le principe qu’il retient : une maison à ossature bois avec des murs en terre et paille. Avec quel maître d’œuvre ? Aucun. Simplement en s’entourant des conseils. On appelle cela de l’ auto-construction. Martin sera en quelque sorte le chef de chantier. Il va même devenir le principal ouvrier. Les fondations ? Elles ne sont pas toujours nécessaires. En tout cas, pas en béton. (voir Olivier Darmon, Archi pas chère. 20 maisons d’aujourd’hui à moins de 100 000 euros, éd. Ouest-France, 2006). L’objectif : faire le plus de choses possible soi-même et en faire faire le moins possible. Casser la dissociation schizophrénique entre produire et consommer. Sortir de l’imposture des « spécialités » et expertises : nombre de nouveaux métiers sont des inventions de l’hyperspécialisation et manifestent de nouveaux stades de la dépossession de soi-même que subit l’homme. Exemple de ces nouveaux métiers : coach parental (pour mieux élever ses enfants), médiateur dans les transports, conseiller en aménagement intérieur, visagiste, etc. Quel budget pour cette maison ? 70 000 euros, ce qui n’est pas négligeable, le terrain étant déjà acheté (dans la vallée de l’Aude, près du plateau de Sault, non loin des Pyrénées orientales). Mais le terrain est en pente – ce qui augmente les coûts de construction. Ce terrain étant découpé en deux parcelles, il est possible de construire deux maisons de moins de 170 m2 chacune et donc de se passer d’architecte. Mais le budget nécessaire est trop élevé : 100 000 euros. Il manque 30 000 euros. Martin décide de réduire un peu la surface au sol de la maison. Elle sera ainsi entièrement sur une dalle flottante et la partie sur vide sanitaire est supprimée. Et surtout, Martin décide de la construire en partie lui-même.

La maison sera construite en pin Douglass. En quatre jours la structure poteaux et poutres en bois est montée, sans le toit. Une partie des murs, les plus exposés au vent et à la pluie, seront en bottes de paille compressée entre deux rangées de liteaux. Les autres murs, est et sud, seront en torchis (terre et paille). Le torchis est moins isolant que la paille compressée utilisée seule, mais par contre il restitue mieux la nuit la chaleur accumulée le jour. Par contre, le torchis est beaucoup plus fatigant à mettre en œuvre.

Pour les enduits ce sera d’abord de la terre et de la paille séchées. Il en faudra quatre couches. Les enduits intérieurs sont finis en terre et sable. Les enduits extérieurs sont d’abord réalisés en terre, sable et bouse de vache, cette dernière servant à imperméabiliser le mélange en fermentant. Le mélange est le suivant : une dose de terre, 4 doses de sable (il est argileux), et de la bouse. Mais cet enduit s’avère ne pas bien résister aux tornades. Il le remplace par une couche d’enduit à la chaux. Des fresques sont réalisées sur la chaux aérienne fraîche (la chaux aérienne est un calcaire utilisé pur sans être mélangé au mortier). Le chauffage est assuré par un poêle à bois avec un récupérateur de chaleur en terre et en paille. Un drain agricole qui passe sous la dalle accumule la chaleur et la restitue une fois le poêle éteint. C’est là un chauffage par radiation plus économique que le chauffage par convection.

Ensuite viennent les aménagements intérieurs. Et notamment l’installation de l’électricité, où il faut se confronter à la norme NFC 15-100, et aux agents chargés de l’appliquer. Si l’installation n’est pas aux normes vous n’obtenez pas l’attestation de Consuel, organisme qui a le monopole de cette attestation de conformité (tout en étant privé), et sans cette attestation, l’EDF ne vous fournit pas en courant. « L’Etat et le marché sont consubstantiel » écrit H–R Martin, allant toujours des analyses de la pratique à de nécessaires généralisations qui permettent de comprendre la portée des expériences. L’Etat se nourrit des taxes qui sont d’autant plus importantes que la marchandisation étend son domaine. A mesure que la mondialisation s’étend, l’Etat national devient une coquille vide, une simple structure de régulation du marché non pas au profit du bien public mais du marché lui-même. Il ne reste plus que la scène d’un spectacle visant à distraire des enjeux essentiels.

Il faut pourtant vivre dans ce monde même si on n’est pas de ce monde. Martin va à l’enterrement d’un grand-oncle. L’incinération, nouvelle tendance hygiéniste. Les rituels liés à la mort sont de plus en plus technicisés. Ils perdent leur symbolique. Il s’agit d’être enterré « efficace » et « propre ». C’est, dit Martin, « un pas de plus franchi dans la barbarie ».

Martin veut cultiver ; il s’inspire de l’agriculture sauvage de Masanobu Fukuoka, sans machines, sans produits chimiques, sans désherber (ou très peu). La règle de Fukuoka est : « Hors ce qui est consommé, tout ce qui vient de la terre retourne à la terre ». Exemple : semer du trèfle blanc pour fertiliser, mettre de la paille sur les champs avec du fumier de volaille, limiter les parasites des plantes avec du purin d’orties.

Retour sur la maison. Un des murs les plus exposés aux intempéries, à l’ouest, n’a pas tenu. La paille n’a pas résisté à la pluie. Il faut la recouvrir d’un bardage en bois. Dans le même temps, Martin échange son travail avec des parts de production ou des heures de travail de voisins. C’est le principe des S.E.L (système d’échange local) où aucune monnaie ne peut être capitalisée. C’est d’ailleurs en un sens la première économie de marché non capitaliste et le seul vrai « marché libre » qui puisse exister.

Les S.E.L c’est l’un des sujets du scénario de Martin pour le film de Pierre Rabhi avec la collaboration de Serge Latouche Les objecteurs de croissance (voir aussi le documentaire de Pierre Carles Volem rien foutre al païs, 2007).

Dans une lettre à son ami l’économiste Michel Barillon, auteur, notamment de Attac, encore un effort pour réguler la mondialisation (dans lequel il reproche à Attac de se borner à critiquer le néolibéralisme en abandonnant toute perspective anticapitaliste), H-R Martin écrit : « J’ai l’impression d’être entré à l’envers dans mes livres ». C’est-à-dire que sa vie devient le livre. Il en conclut que critiquer le monde actuel ne nécessite aucunement d’en inventer un de rechange. C’est la vie qui s’en chargera. Il y a 70 ans, il fallait investir une unité d’énergie pour en produire 100, maintenant une unité d’énergie investie permet d’en récolter 17. Comme dit le professeur de physique suédois Kjell Aleklett : « La fête est finie ». Citant André Ponchon (Les champs du possible. Pour une agriculture durable, Syros, 1998), l’auteur constate dans sa pratique même que le « progrès » est un gain fallacieux de productivité. Il a essentiellement amené à remplacer des circuits courts par des circuits longs. De ces observations vient la radicalité de la critique de Martin – une critique constructive au propre comme au figuré. Il imagine ainsi une prière altermondialiste pour s’en moquer : « Seigneur, le monde n’est pas une marchandise, mais par pitié ne jetez pas les marchandises avec les méchants actionnaires, il en va de nos emplois et de notre mode de vie ». Et il commente : « Reste à savoir où peut bien se situer la frontière entre un monde plein de marchandises et un monde devenu lui-même marchandise ». Il poursuit : « Dénoncer d’une voix la marchandisation du monde tout en appelant de l’autre a toujours plus de croissance économique censée régler tous nos problèmes, autrement dit à une extension de la sphère marchande, relève à mes yeux d’un numéro d’équilibriste ». Une philosophie que résume son ami Pierre Rabhi : « Si tu manques du nécessaire, tu peux mourir, mais si tu es encombré de superflu, tu peux mourir aussi ». Et une remise en cause de la logique productiviste qu’avait initié le philosophe Ivan Illich et ensuite l’économiste François Partant.

Mais pour les pays pauvres ? C’est ici que Martin aborde une question de fond de la réflexion sur la décroissance. Une certaine théorie de la décroissance explique qu’il faut qu’il y ait décroissance dans les pays riches et croissance dans les pays pauvres. Objection de H-R Martin. Cela revient à ne pas comprendre qu’il ne peut y avoir décroissance que s’il y a décroissance de la mondialisation, décroissance des interdépendances économiques, décroissance des circuits longs au profit des circuits courts, décroissance des échanges mondiaux au profit des échanges locaux. En d’autres termes, il ne peut y avoir décroissance que s’il y relocalisation de l’économie. Mieux qu’une théorie de la décroissance, il convient de comprendre que quand quelqu’un « économise » quelque chose, c’est-à-dire a trouvé le moyen de ne pas consommer quelque chose, parce qu’il a pu s’en passer, parce qu’il a pu recycler un produit équivalent qu’il avait déjà, il ne contribue pas à la croissance. Il n’a pas dépensé, il n’a pas consommé : il a freiné le système marchand qui n’aime rien tant que la vitesse. L’économie d’abondance (pas pour tous) apparaîtra sans doute bientôt comme une parenthèse. Il faudra consommer ce qui sera produit près de chez soi. Et on travaillera nécessairement près de chez soi car les longs déplacements ne seront plus possibles. Inutile de dire que Martin ne croit pas que la technique nous sauvera de la technique, comme semblent le croire les savants qui ont décidé de recouvrir d’une bâche un glacier suisse (à Andermatt) l’été pour limiter son réchauffement donc sa fonte (ajoutons que ces travaux seront comptabilisés comme création de richesses et augmentation du Produit Intérieur Brut du pays concerné). Si la technique sauve le monde, « reste à savoir de quel monde nous parlons ? ».

La leçon de vie de Martin tient en quelques aphorismes : « Mieux vaut les épreuves qu’on affronte que la misère qu’on subit », « la vie ne nous impose que de renoncer à ce qui nous entrave », « j’opte pour la loi de l’éternel retour contre celle de la croissance infinie ». Il a cessé de prendre des photos. Dans une photo, il y a toujours deux personnages : celui qui est photographié, et celui qui photographie. Les photos doivent être portées en soi.

Question. Le monde décroissant, mieux, en décru de H-R Martin est-il irénique ? aseptisé ? « cool », pacifié ? On peut en douter quand on l’écoute. « Je crois que la marque insigne des temps modernes, qui auront produit les pires horreurs qui soient, est l’évitement du conflit ». Il s’agit de retourner au réel, et on pense aux non-conformistes des années trente, dont le diagnostic a été oublié – ce qui fera que l’addition sera plus chère. « La « grande prouesse de l’homme moderne, écrit Martin, aura été de virtualiser le réel ». De son coté, Albert Camus écrivait il y a un demi-siècle : « Le Français a gardé l’habitude de la révolution. Il ne lui manque que l’estomac : il est devenu fonctionnaire, petit bourgeois et midinette. Le coup de génie est d’en avoir fait un révolutionnaire légal. Il conspire avec l’autorisation officielle. Il refait le monde sans lever le cul de son fauteuil » (Carnets). Reste à espérer que le Français de demain ressemble non au personnage de camus mais à Hervé-René Martin.

notes

Hervé-René Martin, Eloge de la simplicté volontaire. Essai, Flammarion, 2007, 267 p., 18 E. (disponible sur librad.com :: ici)
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