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II - Droits de l'Homme : l'usurpation démocratique
Cyrille Rey-Coquais |
Théoriciens :: Autres
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Du délit de penser au crime d’être. Basée sur une hypertrophie du droit subjectif, la police de la pensée bénéficie de l’indifférence de la plupart de ceux qui la subissent et d’un effet de routine chez ceux qui l’imposent. Dans une totale confusion du moral et du politique, avec toujours plus d’intensité depuis le siècle des « Lumières » et le procès de Nuremberg, à l’histoire qui faisait le droit se sont substituées les lois qui disent l’histoire.
Je n’entrerai pas dans les détails normatifs de la pyramide du germanophone Hans Kelsen (1) ; un système moniste supranational voué à l’unité morale du genre humain. Ces normes visent à établir la paix perpétuelle. Qui a priori avouerait ne pas vouloir atteindre ce niveau ultime, se démarquer d’une telle noblesse humaniste, qui a fortiori oserait demander à qui elle profite ? A moins de vraiment vouloir connaître la réponse à coups de bombes sur le râble.
Sachons que cette théorie - dont en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme ne fut qu’une étape supplémentaire - est la transcription de l’utopie wilsonienne, la super lex mercata, plus que jamais d’autorité.
Elle eut notamment pour adversaire le philosophe et juriste allemand Carl Schmitt (2) qui, s’appuyant sur le jus publicum europaeum et le rôle de l’Etat pour la souveraineté des peuples, en prédisait la caducité technique car, contradictoire de son énoncé, elle subordonne des intérêts étatiques particuliers à une éthique universelle autoritaire que l’on peut résumer par, « la liberté, oui, mais seulement pour les amis de la liberté ! ».
La liberté, équilibre de notions mystérieuses, inscrite désormais dans un droit artificiel messianique, dont on sait qu’elle peut être imposée transnationalement par les démocraties qui en sont exclusivement détentrices. Aux risques de la mutilation, de la mort, de l’anéantissement, de sa privation pour ceux qui la refuseraient ! En dépit des principes de réalité, transcrits par les droits romain ou germain, coutumier ou organique, suivant les époques, voire canonique que l’Eglise par réaction sécularisa dans sa doctrine sociale. Quant aux amis, ils seront traités comme de tous temps en fonction de facteurs relevant de la capacité de maîtrise de la puissance (faire et refuser de faire) et ceux relevant de sa capacité d'action sur autrui (faire faire et empêcher de faire).
Pour les autres, les ennemis, lorsqu’ils seront économiquement, puis militairement contraignables, au nom « des droits de l’homme » ce sera le bellum justum, ce pivot de la légitimation d’ingérence agressivement défendue, entres autres ardents thuriféraires du dogmatisme kelsénien qu’Habermas (3) perfectionna, par le nouveau ministre des Affaires étrangères (quasi intégrées) français, Bernard Kouchner. Ce dernier y rajoutant le vocable humanitaire qui vaut son pesant de riz.
Notons au passage qu’en droit international la guerre n’a désormais aucune chance de ne pas être juste, car elle a fini logiquement par se doter de son argument préemptif . Et non pas préventif… La préemption s’affirmant au delà de la prévention : elle est de priorité légale quand la seconde doit se parer de légitimité. Invasion et guerre font donc l’objet d’une préemption comme si elles étaient de vulgaires terrains communaux. Résultat : expropriations à l’échelle mondiale par décret d’intérêt général supposé ou fabriqué.
Flagrant exemple que la Serbie !
Coupables d’avoir défendu le Kosovo (4), territoire emblématique de leur nation historique contre des séparatistes ethnico-religieux structurés, financés, armés en sous-main par les Etats-Unis, les principaux défenseurs du pays furent recherchés, emprisonnés, jugés par la justice internationale. Milosevic jusqu’au « suicide ». Quant à jauger de sa gravité, le crime contre l’humanité se réfère au préalable à une question contextuelle d’organisation, de propagande, de victimisation, de mensonges au nom des droits de l’homme ; le fait des futurs vainqueurs, avant même qu’il ne s’accomplisse.
L’été bosniaque de 1992 en fut le prélude mécanique. Izetbegovic, au pouvoir à Sarajevo, propagea des rumeurs d’atrocités commises par les Serbes, dont il reconnaîtra dix ans plus tard que, parfaitement infondées, elles avaient pour objectif de précipiter les bombardements de l’OTAN. L’ancien sympathisant nazi (tiens, tiens!), bénéficia néanmoins de toutes les courroies de transmission médiatiques. Au premier titre desquelles, Kouchner –décidément- le French Doctor (utilisons son titre de la presse pour abrutis) propulsait sa carrière sur la base d’une campagne publicitaire doublement truquée. Pour mieux conditionner l’opinion, son texte accusait les Serbes « d’exécutions en masse » sur fond de mirador et barbelés, dont il ne vînt à l’idée de personne sur le moment qu’ils eussent pu être insérés frauduleusement – en provenance d’une autre époque bardée de sentimentalité. Réduite au pathos omniprésent qui prévaut désormais sur la raison dans la judiciarisation du monde, l’histoire va au tribunal comme la sensiblerie va aux pleurs : question de glandes, me direz-vous ! De fait, et c’est d’une effroyable simplicité, le crime contre l’humanité s’apparente à un crime de lèse-majesté qui ne dit jamais son nom.
Comme l’avait très bien dénoncé Carl Schmitt, la civitas maxima, ce cosmopolitisme agissant par autoréférence à une sorte de téléologie morale deviendrait par la légitimation des rapports de puissance autant prétexte qu’alibi à l’exercice hégémonique (5).
Concoctées par des groupes de pression industriels et financiers, relevant d’un droit national privé, les lois d’extraterritorialité Helms-Burton et d’Amato-Kennedy, par exemples, approuvées coup sur coup par le Congrès américain en 1996, en assènent par l’absurde une preuve spectaculaire : elles prescrivent aux entreprises ressortissantes d’Etats tiers un comportement conforme à la législation états-uniennes sous peine de sanctions. Ainsi que la violant, se substituant à la Charte des Nations Unies ; dans ce cas-là, à l’article 41 de son chapitre VII qui traite des prises de mesures coercitives non militaires pouvant entraîner l’interruption complète des relations économiques et diplomatiques.
En conséquence, de nombreuses entreprises de tous pays ont été officiellement menacées, inquiétées, sanctionnées par la justice nationale des USA dans le cadre des embargos décrétés unilatéralement contre Cuba, la Lybie, la Birmanie, l’Irak, l’Iran...
Comme on le voit ; les intérêts privés sont obligés de procéder par l’intermédiaire d’institutions politiques dont ils contrôlent vertu et représentativité. Pour parodier le langage des technocrates mondialistes, c’est ce que j’appellerais, une corporate corruption, de même que, par opposition aux limites frontales des régimes dictatoriaux ou référendaires, la nature des démocraties parlementaires relève de ce totalitarisme intégré, aux prémisses duquel les grands auteurs russes du XIXe siècle, pourtant maltraités par l’autocratie tsariste, furent épidermiquement réfractaires. Sous couvert d’un droit international aux présupposés démocratiques, à la fois vecteur et expression de la planétarisation, il se révèle donc impossible de dénier aux ambitions particulières le postulat général.
En effet, et par expérience récente, de la collectivisation du monde à sa vente à la découpe, il n’y a qu’un pas pour une même marche. Allègrement franchi lorsque le mur de Berlin tomba en 1989. Ce fameux rideau de fer, séparant des paradigmes complémentaires, n’existait apparemment plus entre des nations coalisées de part et d’autre dans une résurgence parodique de la Sainte-alliance faisant suite, en son temps, aux guerres de religions européennes. Or, cette indispensable barrière d’acier allait être, toujours au nom des droits de l’homme, remontée. Non seulement entre des systèmes, mais plus encore en leurs intérieurs mêmes.
A tel point que nul dans le projet de « remodelage du monde», en particulier de son Moyen-orient et du berceau de l’histoire mésopotamien, nul (et en premier lieu ses planificateurs) dans cet ahurissant Shaping the World ne pouvait en distinguer les considérations physiques de son aspect éthique. En termes de contenu, au delà d’une motivation géostratégique brute, évidente ; s’agissait-il de bouleverser les territoires, d’éliminer, de déplacer les populations ou de changer les régimes pour permettre l’accès à une panacée démocratique ad hoc ? Ou, plus bibliquement, était-ce la tentation de modifier l’humanité ? Changer l’homme, régénérer l’histoire ? Pour quoi et pour qui ?
Si l’on a vu, qu’en amont, les intérêts privés déterminaient, non seulement le droit international, mais aussi les conditions de son application, c’est évidemment que cette source en espère un retour sur investissement - en aval. Je ne saurais assez insister sur le fait que la puissance émettrice s’identifie à un cadre national, lui même assez fort pour imposer une règle mondiale et y déroger. Et, ce réussissant, paraître constituer une fin en soi, présenter une solution technique dépolitisée pour l’avènement d’une Jérusalem terrestre au dogme et au modèle desquels l’humanité ne se soustrairait qu’au prix de la déshumanisation. Bien sûr, ce totalitarisme libéral étouffera sous la finance, comme le communiste meurt de la matière. Mais quand et comment ?
A la suite d’une kyrielle grandissante d’universitaires anglo-saxons, Francis Fukuyama, l’auteur de l’ouvrage «La Fin de l’histoire», revient sur la théorie légèrement pacotille qu’il y tenait, en assimilant désormais les néo-conservateurs bushistes aux soviets de Lénine (il se garde de faire allusion à leurs financements ou soutiens respectifs qui sont de même provenance). Cette repentance «soft», où il affirme aujourd’hui que les pays ont besoin d’un Etat pour « défendre l’ordre, la propriété et les droits fondamentaux des citoyens », pourrait être qualifiée de retour partiel à l’histoire. Ne nous leurrons pas ; le politologue nippo-américain, ne fait que réagir sentimentalement, empiriquement, pragmatiquement à la partie émergée de l’échec de la pax americana.
Les inflexions données aux règlements internationaux ne seront donc dans un premier temps certainement pas foncières, ne marginaliseront pas les groupes de pression communautaires autistes et fautifs, auteurs du modèle et fauteurs du trouble, bien au contraire. Porteuses d’un « pieux mensonge porté aux mensonges », encore planquées dans les bunkers droits-de-l’hommistes, voire écologistes, qui sait, bientôt nationalisants, ces oligarchies de la démocratie héréditaire font d’ores et déjà valoir qu’elles sont dépositaires des idées et capitaux fluctuants par quoi le système est validé subséquemment à leur présence.
Comme le serpent, à force d’avaler sa queue, rencontre sa tête, d’ores et déjà, sous couvert de diversité culturelle, de polycommunautarisme, et non plus de ce métissage ou de ce multiculturalisme qu’elles invoquaient sans les intégrer, elles se trouvent contraintes de convoquer en permanence un Nuremberg II qui puisse réaffirmer la loi idéologique du vainqueur, car «le droit en soi n’existe pas et la force seule l’établit » (Saint Loup in « Le Boer attaque »).
D’ores et déjà quelques anthropologues ou historiens du droit, généralement bien timides, soulignent l’empiètement du légal sur le moral ; taisant encore l’humanité sous tutelle, bâillonnée, menottée, réduite aux crimes contre elle-même, stoppée sur un sillon défectueux telle qu’en un disque rayé. Appropriée par une mémoire partiale ou militante, l’histoire devenue sectaire d’elle-même est enfermée sous un glacis pandoréen qui subit des fuites importantes : ces fameuses concurrences mémorielles - dont on observe qu’elles commencent à se détruire les unes les autres. Point besoin de faire appel à Dumézil ou à Eliade pour comprendre qu’actuellement les lois contraignent la nature sociale dans une hyperstructure idéologique toujours plus répressive.
Cet artifice, que la Terreur française de 1793 ébaucha, accentue son emprise depuis la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à devenir ce mythe qui réclame sa croyance comme Moloch son nouveau-né. Une théogonie patiemment échafaudée sur un entrelacs d’erreurs et de mensonges enchaînés les uns aux autres par cette fuite en avant dont l’affolement annonce l’abîme : s’il y a des vertus politiques, je n’en connais point d’historiques ; de même que raisons de faux témoins ne sont pas raison. Pour illustrer ce propos, d’un exemple parmi mille autres, me revient en tête l’échantillon (sic !) d’armes de destruction massive présenté par Colin Powell à l’assemblée générale des Nations Unies pour légitimer l’invasion de l’Irak, avant de la faire légaliser. La loi consensuelle (?) repose sur des contrevérités desquelles mécanisme et fréquence évoquent bien davantage qu’une propagande, un prosélytisme. Elle a évacué les deux autres piliers du droit que sont (notamment d’après Bourdieu) la coutume et l’habitus, par le sacre universel des droits de l’homme, dont on comprendra aisément ne serait-ce que par l’étymologie, qu’il envisage le sacrifice réel des humains au nom de leurs droits virtuels ou supposés. Une liturgie extrêmement alambiquée pour justifier des rapports de force que l’histoire n’a pas fini de ressasser.
Uniquement un retour total à l’histoire, basé sur l’analyse et la raison, permettrait de revenir aux droits des Etats sans lequel l’Etat de droit, tant invoqué par les démocrates, ne peut exister. Et c’est justement eux, les unitaristes empêtrés dans leurs paradoxes, qui sursautent aujourd’hui au simple écho d’une lapalissade si peu bruyante : ils craignent que le substrat des peuples condamnés n’y ressuscite.
Pourtant, la dialectique marxiste de lutte des classes, assourdie par l’échec encore plus que par l’usage communiste, avait été de longue traite recyclée en celle exponentielle des droits catégoriels. Au nom desquels, nous ne le répéterons jamais assez, s’engouffrent tous les textes réglementaires supranationaux - la soumission des droits internes aux droits externes garantissant par ailleurs la résorption de tous les ordres juridiques étatiques dans l'ordre international devenu souverain au sein d'un Etat mondial dépolitisé. De même que Fernand Braudel conceptualisait la «ville-monde», permissive de circulations et transferts, nous devrions maintenant parler d’un «monde-monde», sans issue, à la maintenance duquel s’affairent les états godillots, de simples gouvernorats à qui sont dévolus maintien de l’ordre et collecte des impôts. Ceci malgré les effets de manche auxquels nous avons assisté lors des dernières élections présidentielles françaises qui, tous, faisaient accroire la primauté de l’identité nationale, du territoire charnel, de la patrie physique.
Est-ce que les discours suffisent ? Nous le constatons déjà ; non ! Car, à la déresponsabilisation externe, répond en interne la tyrannie des minorités formelles, infiniment concurrentielles, par qui le social vaut le religieux et le religieux, sécularisé, ne survivant que par tolérance démocratique. La lobotomisation des nations continuera donc de s’exercer à plein par l’épanchement de la conscience collective coutumière dans un hédonisme aseptisé, atomisée en autant de droits qu’il y a d’individus (6).
C’est aussi par hypnose consumériste que près de 2.500 ans après Aristote, la démocratie se résume de nouveau par ce fameux syllogisme que le philosophe posa, lui, pour en démontrer l’absurdité : «ceux- là qui sont égaux sous un rapport quelconque le sont sous tous les rapports». Barbarie nivelante, proscrite du réel, sous l’égide de laquelle l’abstraction juridique, toujours plus abstraite, maintient néanmoins son pouvoir d’éviscération des civilisations. En leurs propres noms. Dichotomie perverse de la démocratie qualifiée récemment par l’écrivain Alain Soral «d’ère du mensonge absolu» et que nous pourrions décliner en tridimensionnel ; ère, aire, air, absolus dans les mensonges.
1 - Hans Kelsen (1881 Prague, Tchéquie – 1973 Orinda, Californie), juriste israélite. Alors que sa théorie positiviste impliquait la présence au sommet de la pyramide d’une hypothétique Grundform qui participait de l’avènement juridique du Nouvel ordre mondial duquel l’idée normative de puissance était absente, il changea son fusil d’épaule en reconnaissant la qualité juridique des lois national-socialistes en 1960 dans sa « Théorie pure du droit », éd. française à la Librairie générale de droit et de jurisprudence.
2 - Carl Schmitt (1888 Plettenberg – 1985 Plettenberg, Allemagne), intellectuel catholique, Professeur de droit à l’Université de Berlin, emprisonné en 1945, chassé du corps professoral, il nous a laissé une œuvre abondante dans les domaines de la philosophie du droit et de la politique. Alain de Benoist vient de lui consacrer un ouvrage : « Carl Schmitt actuel » aux éditions krisis.
3 - Jürgen Habermas (1929 – Düsseldorf, Allemagne) sociologue pluridisciplinaire rattaché à „L’école de Francfort“, l’ex Institut de recherches en sciences sociales fondé en 1923 par le philanthrope Felix Weil, où officièrent Marcuse, Adorno, W. Benjamin, Horkheimer. Tenant d’un technicisme néo-marxiste, il théorise un Patriotisme constitutionnel délivré de l’Etat-Nation, le seul apte à intégrer les minorités et d’en promouvoir les particularismes. Un syncrétisme désincarné, extra-historique, soumis à une abstraction supérieure encore une fois indéfinie : le titre de son dernier livre encore non traduit en français - «Die Zukunft der menschlichen Natur. Auf dem Weg zu einer liberalen Eugenik?“ (2001), L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ? – indique à lui seul son influente forfanterie.
4 -Le nom même de Kosovo signifie «champ des merles» : il est ce lieu de bataille, européen chrétien par excellence, où s’affrontèrent les armées serbes et ottomanes en été 1389. Il fut caractéristique de la communauté internationale qu’elle n’invoquât pas en l’occurrence le statut minoritaire des Serbes…
5 - Les résolutions de l’ONU laissent particulièrement rêveurs à ce sujet. La 1483 de mai 2003 concernant l’Irak étant un sommet du genre : à la poursuite d’objectifs humanitaires virtuels et sécuritaires artificieux, le langage diplomatique subit une véritable implosion.
6 - Je reviendrai plus spécifiquement dans la 2e partie de ce texte sur l’antagonisme de ces droits catégoriels qui transforment au nom de l’altérité «les autres en enfer», dont on constate qu’ils visent l’éradication des protections de droit naturel : famille, justice, église, hiérarchie, nation, auxquelles bien que de concepts différents les groupes constitués n’ont pas su déroger à moins de chaos et de disparition. |
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