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Dimanche, 27 Septembre 2009
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Et in arcadia ego
Claude Bourrinet
Théoriciens :: Autres
Et in arcadia ego
J’interroge la nature et je lui demande une signification, un sens, une réponse à maintes questions essentielles. Je crois saisir parfois des paroles, ou plutôt des intuitions, des « logiques », des forces. Mais souvent, comme une évidence brutale, me frappe en plein cœur cette vérité universelle : « Je n’ai absolument rien à dire, rien à révéler, rien à signifier ».

Il faut passer son chemin.

Il suffit de poursuivre sa promenade.

L’évidence belle

Le monde existe, dit-on. Je veux parler de celui que je n’ai pas toujours rencontré, et dont l’écho me parvient par différents instruments de transmission, plus ou moins élaborés, plus ou moins modernes. Si l’on ne croyait pas ce qu’on nous affirme, l’existence perdrait une bonne partie de sa matière d’être.

Et les mathématiques ont remplacé le bon Dieu. La statistique a valeur de credo. Le concept a voilé le monde. J’ai en moi la présence intemporelle d’un ciel étoilé au-dessus de ma tête (quand l’ai-je regardé pour la première fois ? quand l’enfant songe-t-il qu’il y a, au-delà du regard de la mère, un œil énorme et noir, taché d’étincelles formant parfois d’énigmatiques figures géométriques, qui observe avec distance tous les fourmillements de ce bas étage ?), mais au fond ce n’est qu’une vision, et par intermittence un faisceau d’hypothèses cosmologiques.

On m’a appris beaucoup de choses.

Et à mesure que je vieillissais, le champ de ma connaissance s’est rétréci, et le monde s’est réduit, rongé par l’incrédulité. Et mon horizon s’est rapproché de moi, coupé par telle colline, par telle cime d’arbre, par tel pré battu par le vent, et la voûte céleste n’a plus été qu’un espace que délimitait la disposition des choses physiques autour de moi, microtopographie à l’échelle d’un pays, d’une campagne, d’une terre ignorée de la plupart des six ou sept milliards d’êtres humains qui grouillent sur la Terre, et de bien plus d’êtres animaux qui courent, rampent, volent, nagent, et dont l’univers, pour presque tous, n’est souvent que l’ouverture plus ou moins tragique, en tout cas physiologique, de leurs besoins et de leurs sens.

Nous avons trop cru à nos propres histoires.

Je veux revenir à la sensation de ce qui me touche, comme le vrai monde, comme la tapisserie de mon existence, que je file chaque moment de mes éveils, et même quand je songe au creux de mon sommeil.

Aussi a-t-on la première manifestation d’une foi, certes naïve, comme toute foi, d’ailleurs propre à tout ce qui vit.

Je me déplace à bicyclette dans un coin de France, par exemple en Xaintrie, dans l’Ouest du Cantal.

La lumière imprime une histoire au paysage, ses variations modulent sa personnalité selon la masse des nuages, l’intensité du ciel et les errances du soleil qui projette, serrés et verticaux, des rayons implacables, ou, obliquement, tamisés par des ombres. Et puis la bicyclette évolue à travers les taches de clarté – ou leur absence.

Surprises, admiration, éblouissement : vol des hirondelles, avec leurs ailes « futuristes » et leur ventre blanc, leur navigation aérienne gracieuse et parfaite, les échancrures sur des coulées de forêt, les collines, les gorges de la Dordogne, et puis les herbes, les fleurs, leur proximité, la jouissance de la vue – couleurs, formes – il n’est pas besoin de connaître le nom, et puis nulle hiérarchie, pas de noblesse, l’ortie est belle, tel champ, tel sentier, telle maison etc.

Jouissance esthétique que je tire de certains fragments de nature : une certaine disposition de formes et de couleurs. Surtout de formes. Ces formes et ces couleurs ne sont pas vraiment dans la réalité, c’est mon cerveau qui les agence. Toutes les formes et les couleurs que je rencontre ne produisent pas en moi cette jouissance.

Elles peuvent être présentées aussi de façon artificielle, dans des œuvres artistiques ou utilitaires. Ces productions humaines isolent et développent les traits que j’ai privilégiés dans la nature et qui m’ont procuré cette jouissance. Pourquoi je les ai privilégiés, je l’ignore.

La jouissance esthétique n’est pas liée à l’être de la nature, mais à une vision intérieure, à une certaine disposition de mon esprit. La Beauté ne peut être qu’ordre, fût-il brisé. L’œil ordonne. L’œil donne l’ordre.

Reste à définir la jouissance face à un l’unicité élémentaire, au-delà ou en deçà des formes et des couleurs (qui lui donne cependant son existence). Face à telle fleur, tel arbre, tel rocher, une émotion naît : cela est, face à moi, dans une énigmatique, opaque et évidente présence.

Cela dépasse la jouissance esthétique

Quelle est la part de « réel » et d’ « imagination » ? En admirant la nature (certes travaillée, mais là n’est pas la question), n’admiré-je pas ma propre vision, la beauté que je porte au fond de mon « âme » (faute d’un terme plus adéquat), et qui serait ce que sont les traces d’une perfection dont j’aurais le souvenir ? Cette beauté existe-t-elle par elle-même ?

Pourtant, si elle est si « artificielle » (si peu « naturelle »), pourquoi cette ivresse des sens ?

L’animal, en nous, participe de cette beauté.

Personne au demeurant ne peut dire si les animaux n’y sont pas insensibles.

Pour moi, je ne pense pas que l’humanité soit si différente du reste des existants.

Je veux mettre le divin au plus près du monde, derrière l’opacité lumineuse des êtres.

Présence de la Mort

Qui chantera encore les aubes ? Le monde d’Ulysse était vaste et les hommes peu nombreux. Devant eux s’ouvraient des horizons frémissant d’aventures inouïes. Les merveilles attendaient des découvreurs avides, et les atrocités avaient le charme des contes enfantins. Polyphème faisait trembler, et il nous est si proche ! si enfoui dans les antres de nos monstres intimes ! et si vrai ! Plus authentique que nos automobiles et nos avions à réaction… Les errances d’Ulysse, c’est la découverte sauvage de nos étonnements.

Nous avons délaissé les ébahissements d’enfant.

La fiction est définitivement déconsidérée, sauf à la donner comme jeu sans conséquence.

Néanmoins, l’art qui se mire en soi-même comporte plus de dignité que les niaiseries qui font semblant d’offrir à croire, et que ce déversement actuel de sensiblerie plébéienne. Le baroque arborait ontologiquement un vide propice à l’héroïsme de la volonté. Le néant contemporain ouvre béant le puits sans fond des névroses, auxquelles se mêlent des mensonges sur la vie. On invente non pour dévoiler mais pour masquer. Le verbe s’enroule mécaniquement, comme un thyrse, autour de dogmes médiocres.

On doit aller au cœur cruel du monde, directement, ou bien construire avec méthode l’enveloppe ironique de notre impuissance à vivre.

Les deux se rejoignent.

On voit, mais l’on ne voit pas. Et qu’importe qu’on soit ici plutôt que là ? Invoquer le hasard, qui, comme l’on dit, fait bien les choses. Avoir confiance dans le fatum : on devient ce qu’on est. Encore faut-il se reconnaître, c’est-à-dire se connaître de nouveau, sous un autre angle. Là est l’angle d’attaque, la méthode. Arpenter le champ d’existence pour savoir ce qu’elle recèle.

L’Eternité dans l’instant saisit comme l’élan ivre de la grive.

Mais la campagne est la présence permanente de la mort vraie, en pâture parmi les haies et dans les porcheries rances. Les arbres chutent, fauchés par la rage hurlante des tronçonneuses et au cœur des bosquets rôdent des gueules insatiables.

Si nous condensions tout notre jugement sur le fardeau douloureux que doit subir l’humanité depuis l’aube des temps, nous ne cesserions de déplorer la marche des choses, et la discussion s’arrêterait là. Qu’il y ait des guerres, des destructions, des atteintes fort déplorables à l’intégrité physique, morale ou identitaire de gens, innocents ou non, que peut-il y avoir de nouveau à cela ? Il faudrait d’ailleurs élargir notre évaluation de ce genre de malheur à l’ensemble du monde vivant. La cruauté s’impose dans l’univers, dans le règne animal, dans celui des végétaux aussi, bien que nous ne soyons pas certains que les plantes ressentent cette souffrance qui nous rend les bêtes si proches de nous, et même dans le royaume minéral, sur la terre comme au ciel, on voit des masses montagneuses s’insurger et faire éclater la croûte terrestre, les fleuves raviner les sols, les gaz ronger les métaux les plus durs, et les galaxies, les soleils, les planètes se dévorent, les trous noirs avalent des monstres intersidéraux, les comètes errent comme des spectres pitoyables, les météores s’écrasent sur nos têtes. Si tout cela gémissait de concert, la vie serait insupportable. Mais n’est-ce pas cette musique universelle qu évoquait Pythagore, et que nous n’entendions plus, à l’entendre sans cesse ?

Il ne faut pas se leurrer : la mort est partout en cette Arcadie. Et in Arcadia ego. Les vaches paisibles, rouges sous l’ombrage des frênes et des chênes, ces insectes virevoltants, ces fleurs et ces herbes foisonnants, ces arbres immenses, ces nuages mêmes dans ce ciel si bleu, sont livrés à l’anéantissement, les uns brutalement enlevés dans des bétaillères en direction d’abattoirs innommables, les autres tronçonnés, arrachés, brûlés, la plupart évaporés, dévorés, torturés.

Et dans les villages d’ici, les enterrements connaissent plus de succès que les baptêmes.

Et pourtant le calme des dieux s’abat sur l’instant.

Partir du nihilisme

L’homme ne devient pas homme au moment où il prend conscience de soi, mais à celui où le monde devient étrangement incompréhensible, et soi-même étant homme, dans le sein de ce monde projeté au-delà de l’entendement. Le Moi n’est pas né du désir, mais du malaise, et parfois de la terreur.

L’époque veut cela que tout point d’appui analytique – et de salut possible – repose sur l’individu.

Le paradoxe est qu’il n’existe pas, sinon comme ombre. La seule perception qu’on en ait est un vide, un trou noir, une illusion. C’est en lui cependant que s’inscrit l’esprit du temps. Ses failles, ses contradictions, ses vanités cristallisent les failles, les vanités, les contradictions du siècle. Et ses douleurs sont ceux de tous.

Ce monde est le nôtre. Nos réactions sont la mesure de ce qui nous assaille. La nature de notre vision épouse l’objet, qui la conditionne.

On projette sur l’Humanité les heurs et malheurs de l’individu qui, réduit à sa seule dimension, la médiocrité, est un confus mélange de soif de survie, coûte que coûte, et conséquemment, de peur de la mort ; d’aménagement bourgeois des jours, et de compassion sur soi-même et sur autrui, lorsque ce dernier est réduit à une entité ; de paresse intellectuelle et d’une débrouillardise sournoise et égoïste ; d’une muflerie cosmique et d’une sentimentalité dégoulinante ; d’une arrogance pédante et d’une ignorance abyssale de ce qui n’est pas de son monde. Et, tout compte fait, il est d’une fragilité extrême car il est l’alpha et l’oméga de son regard. Pour lui, qui voit la mort comme l’aboutissement d’une progression biologique, tout est marqué du signe de la vacuité. Au-delà d’une rhétorique creuse et bien-pensante, il serait bien en peine de savoir pour quoi exister. La force des choses a transmué l’absolu en idéologie, et, désormais, la légitimation de l’existant n’est qu’une bulle, dont le centre ectoplasmique est l’individu, et qui crève quand il revient au vide, qu’il n’a jamais quitté, comme un tourbillon avalé par les profondeurs noires d’un lac.

Mais c’est pourtant de lui qu’il faut partir.

Tout ce que l’ego a d’insupportable, d’importun pour autrui et surtout de mensonger : il empêche de saisir le monde ; et je veux parler autant de l’ego imaginaire que de celui qu’on croit réel, de celui qui hante les romans ou les écrits plus ou moins autobiographiques. Le noyau du monde ne se saisit, ne s’effleure que dans la réception pure de sa forme, ce qui passe par l’abolissement systématique et raisonné de soi.

Penser est mouliner des idées et s’y dissoudre. Au demeurant, l’opération comporte souvent plus d’imprécation que de fond, et il y aurait dans l’affaire plus de chance de récolter du vent que de pain.

L’œil ritualisé

« Ne pas penser », c’est soudain voir. La pensée se moque de la « pensée », car penser, c’est peser, et c’est recueillir dans la paume tout le poids des choses, c’est d’abord sentir.

Depuis trop de siècles, la « pensée » n’est qu’éther arraisonnant le sol. Depuis, la terre a la consistance des nuages. Nubes n’est qu’à un doigt de néant de nugae.

Que je juge des choses, par exemple, d’un paysage, que je le voie même, dépend d’un certain nombre d’habitudes mentales, dont les racines de certaines peuvent m’être inconnues, et dont d’autres relèvent de l’Histoire de l’art et de la littérature. En tout cas est engagée une appréhension qui est loin d’être naïve, même si mon émotion est brute.

Seul le présent est éternel. Et par l’Innocence.

Que l’institution d’une vérité de l’intellection ou de la perception, de la perfection même, provienne du souvenir intimement enfoui au fond de notre être – quelle que soit la définition de ce dernier – qui resurgit à la lumière, je ne saurais l’induire de mon expérience ou le déduire de principes ou de réflexions.

Il reste que l’acquiescement total et fruitif au réel – concret ou abstrait- est mystérieux et se manifeste comme une rencontre avec ce que l’on sait de façon immémoriale, avant même que l’on fût né.

Ce qui est vrai traverse l’homme et ne se révèle qu’à la seconde même où celui-ci le rencontre. « L’éclat même des idées pures l’éblouit et le précipite à la renverse : et fit rei non transitoriae transitoria cogitatio. »

Je me recueille en moi-même comme dans un cloître.

J’ai reçu l’ennui provincial comme une grâce. Summa in carne sanitas, in anima tota tranquillitas.

Car la clarté, il y en a suffisamment, même pour l’imbécile, autant que d’obscurité. Et le laisser-aller peut aussi bien mener dans la lumière que dans l’ombre.

Tout est vie.

Pourquoi écrire si l’on possède la fin de l’écriture ? « Tu ne chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé ». C’est le retour sur l’évidence vraie que je veux toucher, comme un diamant enduit de charbon que l’on frotte méticuleusement pour faire jaillir les clartés. Ainsi, rejet du sentimentalisme ; rigueur inhumaine.

Clarté grecque.

Forme fragmentaire presque inévitable.

Il serait infiniment préférable de ne pas lire, à peine écrire, et de ramasser sa pensée sur ce qui nous advient, non pas d’exceptionnel (qu’y a-t-il d’exceptionnel à vivre ?) mais de banal, de commun, devant qui nous passons, quand c’est ici le tissu véritable de notre existence.

Nous devons renoncer à la jouissance de l’action, qui s’est réfugiée dans l’exercice commercial ou le sport. La guerre, la grande politique ou la diplomatie sont devenues des auxiliaires du grand marché. L’action est production généreuse d’énergie animale et investigation pratique de la sphère existentielle. Elle n’advient que si elle s’inscrit dans une mémoire identitaire. Or, l’Histoire est devenue vaine, remplacée par la gestion, la posture ou la gesticulation ; or, la politique a été débarrassée de sa dose mortelle pour se muer en gouvernance ; or, les grands conquérants sont discrédités comme monstres sanguinaires par des lilliputiens de supermarchés effrayés par tant de violence.

Evidemment, l’impossibilité de l’action n’empêche pas qu’il y ait des gens qui agissent.

L’univers est un temple, mais il est si vaste, et ses confins si indéfinis, qu’on se perd et qu’on oublie qu’il est la demeure des dieux, qui sont finis.

C’est pourquoi l’on a créé des temples plus petits, pour soutenir l’imagination, et que l’on a élaboré des rites, pour se souvenir.

Chaque jour suscite son cérémonial, son mécanisme sacré immémorial. Se lever de telle façon, manger de telle autre, se laver ainsi, faire l’amour, ou ne pas le faire, haïr de cette façon, louer de cette manière … ; ce sont des gestes et des habitudes apparemment naturels, qui passent pour tels, mais qui sont des signes, et qui inscrivent le corps dans l’univers abstrait. A partir de cette nomination se fonde une identité, un lieu dans l’univers. Etre, c’est résider, car signifier et relier l’homme au cosmos par la voie étroite du quotidien.
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