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L’écologie durable selon Alain de Benoist, Le salut par la décroissance ?
Béatrice Péreire |
Théoriciens :: Autres
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On aura beau retourner la question dans tous les sens : notre planète commune demeure un univers «fini» dans lequel une croissance économique infinie ne saurait se concevoir. Ceux qui l’ont peuplée, ceux qui la peuplent, et surtout ceux qui la peupleront un jour, n’auront d’autre choix que de tenir compte de cet inévitable préambule, à moins de penser contre le bon sens le plus élémentaire.
Il est bien dommage qu’Alain de Benoist soit plus écouté ailleurs qu’ici ; c’est ainsi. Bref, que nous dit son dernier essai, Demain, la décroissance, de la sorte sous-titré : « Penser l’écologie jusqu’au bout » ? Simplement ceci : le lien organique liant l’homme à la terre s’est peu à peu délité. Avec l’arrivée du christianisme, qui, d’une certaine manière, a fait de la flore et la faune, une sorte de concession perpétuelle, de fait désacralisée, sur laquelle l’homme pouvait régner en toute liberté. Avec celle du cartésianisme, encore, qui, ayant fait table rase des mystères ancestraux, a transformé notre monde en cire vierge, destinée à être à volonté remodelée, exploitée sans vergogne, puisque ne s’agissant au final, que d’une banale mécanique, destinée à être en permanence ajustée. Là, il serait trop facile, et tellement convenu, d’accuser l’auteur d’anticatholicisme primaire. La preuve en est qu’il rend grâce, à plusieurs reprises, à saint François d’Assise, ami de la nature et de ces créatures qui, à défaut d’âme, ont néanmoins un cœur, tout comme, derrière un vieux chêne, il y a toujours un esprit qui sommeille. Comme par une sorte de bienvenu hasard du calendrier, le Pape Benoît XVI lui répond, presque en écho, dans ce texte intitulé, Famille humaine, communauté de paix : « L’humanité s’inquiète aujourd’hui à raison de l’équilibre écologique de demain. Il est important que les déclarations à ce sujet soient faites avec prudence, en concertation avec des experts et des gens de sagesse, sans pression idéologique à tirer des conclusions hâtives, et par-dessus tout dans le but d’atteindre un accord sur un modèle de développement durable capable de garantir le bien-être de tous tout en respectant les équilibres environnementaux. Si la protection de l’environnement nécessite des dépenses, celles-ci devraient être justement distribuées, en prenant en compte les différents niveaux de développement de pays divers et le besoin de solidarité avec les générations futures. » Joliment vu.
Soit, à quelques détails près, ce que prône Alain de Benoist dans son livre. Ne pas céder aux prophètes de malheur. Mais également regarder le monde tel qu’il est. Le réchauffement climatique est certes réel. Mais est-il seulement dû à l’activité humaine ? Après tout, les pets des vaches et les éruptions volcaniques, phénomènes que les hommes ne sauraient régir, sont au premier rang des pollutions scientifiquement constatées. Il n’empêche, nous rappelle l’auteur, que le stock d’énergie fossile, gaz et pétrole, a mis trois cent millions d’années à se constituer et que nous, monde occidental, en avons déjà dépensé plus de la moitié en moins d’un siècle. Certes, il peut exister d’autres gisements à exploiter. Mais cela conduira à mieux reculer pour mieux sauter. Certes, on peut miser sur le nucléaire. Mais quid des déchets, legs douteux abandonné aux générations futures, alors même que les stocks d’uranium ne sont pas inépuisables non plus ? Certes, il sera toujours possible de trouver d’autres énergies ; mais le génie humain, lui aussi, n’est pas infini.
Ces problèmes vont se poser avec d’autant plus d’acuité que ce monde occidental n’est plus le seul à vouloir maintenir ou accéder à un mode de vie dépensier : d’autres pays émergents voudraient à leur tour avoir leur part d’un gâteau qui, tel que chacun sait, ne peut produire plus de parts que de raison. La Chine et l’Inde ont désormais des exigences énergétiques qui, jusqu’alors, leur étaient inconnues. Et pourquoi refuser à l’un ce que l’on accorderait à d’autres ? Le sujet est d’autant moins anodin qu’il n’en finit plus de susciter guerres et conflits. La bataille de l’énergie est à tous les étages, dans les pays producteurs – l’Irak – ou convoyeurs – l’Afghanistan. Et si, humanisme égalitaire oblige, tous les pays du monde voulaient accéder au mode de vie des seuls Américains – mais, celui-ci n’est pas « négociable », rappellent-ils à chaque tentative de sommet mondial de l’environnement –, il nous faudrait au moins cinq Terres supplémentaires pour que chaque petit humain puisse enfin rouler en 4X4 et prendre l’avion dès qu’il lui chanterait, pour passer Pâques aux Seychelles. Et c’est là où cet ouvrage est le plus passionnant, non point dans ce qu’il décrit, mais dans ce qu’il laisse entrevoir. Soit un monde de demain dans lequel l’énergie, et l’eau, deviendront denrées rares. Dès lors, à l’exception de technologies légères, et peu gourmandes, – celles de l’Internet, par exemple –, c’est toute la mondialisation en cours qui devra être remise en question, non point pour cause de panne idéologique, mais tout simplement pour pénurie de kérosène. Les pommes chiliennes, rapatriées par avion de Santiago, et vendues moins chères que celles du paysan du coin, pourraient bien disparaître, pour être tout bonnement vendues là où elles auront été produites. Tout comme ces poissons péchés en Islande, rapatriés par bateau au Maroc pour y être vidés, avant d’être ensuite revendus à Rungis, en Île-de-France… Après les délocalisations, induites par le pétrole pas cher, les relocalisations obligées, explosion programmée du prix du baril oblige ? Nous n’y sommes pas encore, mais nous avons déjà un pied dedans.
Alain de Benoist ou l’éloge de la frugalité, voilà qu’elles sont les pages les plus hautes de cet essai… La simple intelligence aurait pu nous conduire à imaginer qu’une croissance infinie s’en irait fatalement percuter le mur des réalités. Celle-là ne suffisant pas, ce sont ces réalités qui, tôt ou tard, nous ramèneront à plus de raison. À un monde dans lequel «l’être» comptera peut-être plus que «l’avoir». Un monde dans lequel nous réapprendrons éventuellement à revivre comme «avant», avec les avancées technologiques du «demain», peut-être plus légères et moins néfastes pour la nature, à initier un autre cycle, tel que cela s’est souvent vu dans une histoire de l’humanité qui est tout, hormis linéaire. Sans culte du perpétuel mouvement, sans envie d’aller toujours plus vite pour aller toujours plus loin, pour aller chercher ailleurs ce que l’on a souvent ici. Un monde dans lequel on prendra à nouveau le temps de vivre et de réfléchir, de voyager de «l’intérieur», comme si cette société frénétique, issue des révolutions technologiques, du charbon jusqu’à l’omniprésente téléphonie mobile, n’avait été finalement qu’une banale et courte parenthèse. Écrit de la sorte, ça a l’air un peu bête. À y mieux penser, cela l’est sûrement un peu moins. Ce d’autant plus qu’on ne prend jamais assez le temps de regarder les oiseaux et passer les saisons. D’où ce salutaire essai qu’il convient, justement, de prendre le temps de méditer.
Demain, la décroissance ! Penser l'écologie jusqu'au bout, 200 pages, 16 €, e/dite.
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Cet article a été précédemment publié dans les colonnes de National-Hebdo |
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