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La longue agonie du Parti communiste français
Le XXIIIè congrès du Parti communiste français s’est déroulé sans surprise : les 900 délégués ont renouvelé leur confiance à la direction sortante et ont réélu à sa tête Marie-George Buffet pour la 3ème fois consécutive depuis 2001... avec 92,2 Þs voix contre 8,7% pour la liste “alternative” conduite par André Gérin, député-maire de Vénissieux au non des “identitaires”. Un non-événement en sorte.
Aujourd'hui, il n'y a qu'une seule constatation qui vaille : après douze ans de “mutation”, après cinq années de participation gouvernementale, le Parti communiste français est à l'agonie. Si la direction du PCF peut se féliciter d'avoir sauvé le groupe parlementaire communiste à l'Assemblée nationale en 2002 et si le 29 mai 2005 elle a permis au PCF de se retrouver depuis de très nombreuse années dans le camp des vainqueurs, cela n'enrayera pas le processus en cours. Comment se propose-t-elle de redresser la situation ? Ou est-elle tellement sourde et aveugle qu'elle persévérera jusqu'à la complète disparition du Parti ?
Depuis les années 90, avec l'effondrement du bloc communiste, le Parti communiste français est en pleine dérive. Deux phénomènes se sont nourris l'un de l'autre : la perte de repères idéologiques et la sclérose de l'appareil, qui s'est recentré autour de ses permanents et de ses élus. L'appareil en est venu à s'auto-reproduire et à défendre ses intérêts propres. L'effondrement des pays de l'Est a accéléré le processus. Au lieu de tirer le bilan de l'expérience de l'Union soviétique, de réfléchir aux raisons de l'effondrement, et de mesurer les conséquences de sa disparition pour élaborer une stratégie politique dans des conditions nouvelles, les dirigeants du PCF se sont contentés de reprendre à leur compte certaines thèses anti-communistes (cf Livre Noir du Communisme) jusqu'au moment où ils se sont rendus compte qu'ils étaient en porte-à-faux : comment continuer à être communiste quand on défend publiquement l'idée que le communisme est une vaste entreprise criminelle ?
La contradiction était de taille. Ils se sont alors lancés à corps perdu dans la recherche d'un nouveau dogme. Il fallait substituer une nouvelle idéologie au marxisme, qui puisse servir de boussole à la mutation. Ses promoteurs ont recherché une articulation à quelques idées généreuses, tout en gommant les références au marxisme et à la classe ouvrière jusque dans le vocabulaire. Cela a donné naissance à la proclamation d'un humanisme bêlant teinté de thèmes à la mode - anti-racisme, féminisme, anti-homophobie, écologie. -, et à la dénonciation sans analyse de certaines absurdités manifestes de notre temps. Mais sans remettre en cause les fondements même du système, le capitalisme. Ce conglomérat ne constitue évidemment pas un ensemble idéologique cohérent sur lequel s'appuyer pour proposer un changement de société. Quant aux perspectives, elles se sont révélées à la hauteur du corpus idéologique : dépassement du capitalisme et autogestion, en mettant l'homme au centre des préoccupations, le tout sur fond de « révolution informationnelle ». à défaut de révolution tout court.
On pourrait sourire et parler de tentative malheureuse. Mais elle répond à une réalité sociologique et à une volonté. La réalité sociologique, c'est que les cadres du Parti - ses permanents, ses dirigeants, ses élus - ne sont plus issus de la classe ouvrière. Ils revendiquent toujours un passé ouvrier, en prétendant sans crainte du ridicule être cheminots, tourneurs-fraiseurs ou conducteurs de travaux. Or, pour la très grande majorité d'entre eux, ils n'ont jamais travaillé. Leur parcours est généralement linéaire : permanent de la JC ou de l'UEC, passage éventuel par une collectivité territoriale ou comme assistant parlementaire, avant de devenir permanent ou d'être élu. Ils sont donc issus d'un même moule, d'un même milieu protégé. Ils n'ont jamais été confrontés aux réalités économiques et sociales. Leur univers mental et politique n'est plus celui de la classe ouvrière mais de la petite bourgeoisie. Ils en ont donc déduit que la classe ouvrière n'existait plus : ils ont même tenté de le théoriser ! D'où leur volonté de transformer le Parti, de l'adapter à ce qu'ils sont, les héritiers réformistes d'un parti révolutionnaire.
Parallèlement au marasme idéologique, il y a eu le cassage du Parti. Le Parti communiste français est, à ma connaissance, le seul parti dont les dirigeants ont volontairement sabordé l'appareil militant. Pour quelles raisons ? Très certainement pour prévenir les résistances à la mutation. Personne ne prétend que les réunions de cellules étaient très palpitantes. Mais l'organisation en cellules d'entreprise ou de quartier, outre qu'elle faisait l'originalité et l'efficacité du Parti, permettait des discussions, des débats, des échanges de vue. Or, les promoteurs de la mutation ont eu peur des résistances : les communistes à la base risquaient de renâcler, voire même de s'opposer, aux tentatives de transformations impulsées par le haut. Plutôt que de faire face à une opposition, la direction a donc préféré détruire l'appareil militant et se replier sur une structure restreinte, vers une espèce de syndicat d'élus. C'était oublier que l'influence du PCF a toujours été liée à sa capacité à défendre ses convictions et à l'efficacité de ses militants. Un Parti communiste sans idéologie révolutionnaire et sans militants n'est plus qu'une coquille vide !
L'Humanité Dimanche a été un des premiers laboratoires de la mutation. La vente de ce journal, chaque semaine, était un moment fort de la vie des cellules. Cela permettait de rencontrer régulièrement les adhérents, de discuter avec les sympathisants, et de maintenir la présence du Parti. Quand la direction de L'Huma a décidé - avec le succès que l'on sait - d'en faire un nouveau Libé, les cercles de diffusion ont été bazardés, ainsi que le réseau des correspondants de L'Huma. Pour de nombreux communistes attachés à cet aspect de la vie de leur parti, cela a constitué une véritable rupture : nombreux sont ceux qui ont cessé de militer. A l'époque, la direction du Parti n'a rien fait pour les retenir. Elle souhaitait qu'ils laissent la place au nouveau militant dont elle avait forgé le profil idéal, le militant à la carte de type associatif, un « bo-bo » généreux prêt à s'engager sur des batailles ponctuelles.
Les directions de sections et de fédérations ont alors expliqué aux communistes que tout ce qu'ils avaient fait durant les années précédant la mutation relevait du suivisme et que l'organisation en cellules était dépassée. Il fallait changer, supprimer les cellules archaïques pour des réseaux dynamiques réunissant communistes et non-communistes - le but ultime étant d'arriver à ce que les non-communistes définissent la politique des communistes.
La direction du Parti s'est alors résolument lancée sur de nouveaux terrains, non plus politiques mais sociétaux, pour être en phase avec le « mouvement social ». Mais les camarades étaient toujours sollicités pour verser aux souscriptions et pour servir de piétaille lors des batailles électorales. Débats creux et absence d'analyse politique ont découragé les communistes auxquels on ne proposait plus aucune perspective concrète. Peu à peu, ils ont déserté les réunions inutiles où l'autosatisfaction remplaçait les analyses.
Dans le même temps où les communistes désertaient, la direction du PCF n'a pas réussi à attirer les militants qui devaient se substituer à la « vieille garde ». Par contre, elle a mené tambour battant une politique de promotion des cadres insolite, en mettant à la direction du Parti et en faisant élire des « personnalités » non-communistes.
Si l'on rajoute à cela le mépris à peine dissimulé de ces nouveaux dirigeants pour leurs “camarades”, les déclarations à l'emporte-pièce du secrétaire national, les coups médiatiques fumeux comme le défilé Prada ou la rave-party place du Colonel Fabien pour fêter les 80 ans du PCF, on comprend mieux que le divorce entre les attentes des militants et la direction du PCF était inévitable. L'hémorragie des adhérents communistes, comme des électeurs, n'est pas née de rien.
En parallèle du cassage de l'appareil militant, la direction a mené le bradage des possessions du PCF. Pour subvenir à ses besoins financiers, elle n'a pas hésité à vendre, morceau par morceau, les biens du parti. Elle a vendu les biens immobiliers évidemment, mais également d'autres pans du patrimoine. Qui sait par exemple que le fonds photographique de L'Huma a été vendu à une des plus importantes agences photographiques de la place de Paris ? Les gens qui ont pris cette décision se sont bien gardés d'en faire la publicité.
Les années 90 ont vu l'aggravation - poussée parfois jusqu'à la caricature - d'un autre phénomène, la notabilisation des élus. Les élus se sont peu à peu coupés de la masse des adhérents du Parti. Ils sont devenus des petits notables, jouant de leur position pour peser dans les discussions politiques internes. Calquant leur comportement sur celui des élus socialistes et des élus de droite, ils ne rendent plus de comptes, ni à leurs camarades ni à leurs électeurs. Les élus ont pris un poids considérable dans le Parti, ce qui dénote une véritable dérive. Au lieu d'être au service du Parti et des luttes, ils se sont érigés en dirigeants, pesant de tout leur poids pour transformer le Parti en un outil visant simplement à assurer leur réélection.
Autre phénomène, le développement de véritables réseaux clientélistes. Pour maintenir leur pouvoir, élus et permanents ont développé des clientèles, en truffant tous les échelons de leurs obligés, y compris leur propre famille. C'est ainsi qu'au Parti, il existe de véritables dynasties familiales. On est le fils ou la fille de, le mari ou la femme de. On obtient un poste ou un emploi parce que l'on est dans les petits papiers d'un ou d'une telle. Nominations et promotions se font sur les appuis et la capacité à savoir redire avec conviction le credo du moment. Une stricte orthodoxie, conjuguée à un suivisme sans faille, constituent une voie de promotion assurée. Ce qui se traduit inévitablement par une médiocrité qui étonne toujours ceux qui ne connaissent pas son mode de fonctionnement. Mais une telle politique des cadres a toujours un coût. A promouvoir des permanents et des élus médiocres, sans envergure, et rarement travailleurs, non seulement le Parti se discrédite vis-à-vis de l'extérieur, mais il le paye au prix fort. Le manque d'analyse politique, les décisions à courte vue, les stratégies à court terme sont la conséquence de l'indigence intellectuelle des dirigeants.
Cette médiocrité des permanents et des élus a des répercussions. Par exemple en perdant des villes. Mais par manque d'initiative et de perspectives, ils les gèrent sans grande différence avec les autres partis politiques, et qui plus est sans générosité et sans courage. Les élus communistes sont devenus les loyaux gestionnaires du système. Étant communistes, ils sont persuadés qu'ils ne peuvent pas se tromper : ils sont devenus encore plus sourds que les autres aux attentes des habitants parce qu'ils croient faire le bien. Ce qui est vrai dans les villes, l'est à chaque niveau : conseils généraux, conseils régionaux, Assemblée nationale, Sénat.
Élus et permanents du PCF partagent le même travers. Ils sont complètement coupés des réalités économiques, sociales et politiques actuelles. Enfermés dans leur bulle, gonflés de leurs certitudes, ils ne comprennent rien à la société qui les entoure. La meilleure illustration en est la participation gouvernementale : les dirigeants du PCF se sont persuadés que le peuple était majoritairement d'accord avec la politique libérale de la gauche plurielle. De nombreux communistes ont dénoncé les compromissions des ministres communistes et ont prévenu que le suivisme vis-à-vis du Parti socialiste se paierait cher. C'est très exactement ce qui est arrivé : les 3,37 % de Robert Hue aux élections présidentielles ne sont pas un accident de parcours, ni l'échec d'un homme. Ils sont le résultat de la cécité politique de la direction du Parti. Le PCF a été sanctionné par le peuple parce qu'il ne le représente plus et qu'il ne défend plus ses intérêts. Et au lieu de leur servir de leçon, ce résultat plonge les dirigeants dans l'incrédulité et la consternation. Les explications oiseuses fusent : nous n'avons pas su gérer notre participation gouvernementale, les gens ne nous ont pas compris, c'est la faute de l'extrême gauche, etc.
La direction du PCF n'a pas tiré les leçons de ses échecs. Si elle ne défend plus la mutation, elle reste enferrée dans une situation dont elle est incapable de se sortir.
Elle est actuellement focalisée sur les prochaines échéances électorales. Plutôt que de réfléchir à comment redresser la barre, elle perd son énergie en tractations politiciennes. Après le refus catégorique de l'extrême gauche à ses propositions d'alliances aux élections législatives, elle se retrouve dans un tête à tête avec le Parti socialiste. Or, elle est en position de faiblesse pour négocier des places. Son seul horizon se borne désormais à limiter la casse en préservant un maximum de postes d'élus pour assurer la survie de l'appareil. Elle place ses espoirs dans les prochaines élections présidentielles, en misant sur une hypothétique victoire du Parti socialiste qui ouvrirait la voie à une non moins hypothétique participation gouvernementale des communistes.
Comme lors des précédents congrès, la préparation du dernier congrès a donné lieu à de mini-coups de force : les mutants ont très systématiquement éliminé à chaque niveau de discussion - conférences de sections et conférences fédérales - les opposants (ex : procédure d’exclusion engagé contre Maxime Gremetz, député d’Amiens). Ce congrès a été la réédition des deux précédents, l’opposition du parti a été laminée et a été écartée des instances dirigeantes. La direction du Parti continue dans la voie qu'elle a forgée : la longue agonie du PCF et à terme, sa disparition.
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Niveau 2 :: La Lettre « Les Nôtres »
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Niveau 3 :: Résistance Hors Serie
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