Nous admettrons, avec à peu près tout le monde – ce qui suffirait pourtant à prendre la question avec les pincettes du scepticisme – que la période gaulliste ait plané au-dessus des misérables et dérisoires préoccupations des pékins, parfois tentés de devenir des veaux. Avec le général, avec le Grand Charles, on en avait pour notre argent, qui était encore compté en francs. Il avait le verbe épique, qui donnait encore, entre un coup d’Etat fumeux et un référendum loupé, l’impression de renouer avec les icônes de notre petite enfance, dessinées et coloriées sagement dans nos manuels cartonnés de primaire, les Clovis, les Jeanne, les François premier, les Louis et même l’autre Charles, le magnum. Entre temps, les Français n’avaient pas encore pris la mesure de la décadence de leur pays soudain ivre d’une américanisation pourtant vilipendée. Leurs enfants la vivraient. Et nous sommes en plein dedans.
Pour la saisir, il ne faut pas forcément la mesurer du haut des cimes, car la dégénérescence se déguste d’abord dans les détails. Prenons par exemple tel chanteur de variété, médiocre, fraudeur du fisc. Le personnage serait sans intérêt pour le mélomane, et même l’entomologiste, si, pour des raisons tordues (sincérité ? désir d’une publicité à bon compte ?), il n’avait suscité quelque remous dans la médiasphère, laquelle branle souvent pour peu. Ce monsieur préfère donc, pour ses enfants, Miami au 93. C’est son choix, comme dirait l’autre.
Cependant, c’est bien là le problème. Non que M. Pagny ait eu l’audace très relative d’exprimer ses « idées » - que risque-t-il, du moment qu’il n’ose pas avouer qu’il n’installerait pas sa progéniture dans le quartier du Marais ? -, mais justement qu’un tel choix puisse être proposé comme l’unique option aux Français, et, a fortiori, qu’on fasse mine de considérer l’alternative comme l’expression d’un choc entre deux partis absolument antithétiques.
Il n’en fallait pas plus pour qu’une certaine droite de la droite ait pour le sémillant baladin les yeux d’une groupie énamourée.
Le goût pour Miami, ville immortalisée par maints feuilletons qui sont aux écrans de télévision ce que sont les déjections produites lors d’un concert de Florent, est, pour sûr, largement partagé par le pèlerin cathodique et le people moyen, dont on connaît l’excellence du quotient intellectuel, footeux et brailleurs confondus. On sait que le « Monde » maintenant, où se mêlent politiques et showbiz, aime claquer ses billets dans la patrie faisandée de l’oncle Sam, comme il est certain que ces donneurs de leçon ne s’avisent pas de frotter leurs moutards à Mohamed ou Ali (sauf quand c’est pour les caméras, ou qu’Assam a le cul cousu d’or).
Et du côté du 93, devinez quoi qu’on rêve ? De Miami, pardi ! Avec ses plages, ses dollars, ses fesses réchauffées et sa vulgarité franche et chiante. Un goût de mafioso…
Alors, où est la charge subversive d’un tel propos, dénoncé ou applaudi comme raciste ? En fait, Pagny, ce révolutionnaire de pacotille, n’enfonce-t-il pas une porte ouverte ? Une porte abattue par le virage précipité d’une « élite » médiatique, de gauche et de droite, qui opte maintenant pour le libéralisme sécuritaire, et devient moins hypocritement cynique ? Le choix que Pagny voudrait nous imposer avec le talent qui est le sien, n’est-il pas ce qu’on cherche à nous faire avaler depuis quelques années, qu’il est préférable de se donner aux Américains, par peur d’un islamisme aussi fantasmé que réel ?
Ce dilemme est, bien entendu, un piège. Les bandes malfaisantes de banlieue sont le produit nuisible d’une américanisation de l’Europe, dont les marqueurs sont une immigration de masse, voulue pour des raisons économiques et sociales et une idéologie universaliste, humanitariste, multiculturelle.
Il faut donc rejeter autant Miami que ce qui se passe dans le 93. Il ne s’agit pas pour nous, Français, Européens, de troquer le chébran pour le baragouin de cow boy, ni l’Arabe ou le Noir du ghetto francilien pour le Blanc abruti de l’american way of life. Il nous suffira d’être nous-mêmes.