Depuis le “J’accuse”, de Zola, le texte à vocation pétitionnaire demeure une sorte de spécificité française. Parfois inspiré, souvent ridicule, le genre, néanmoins, n’est pas forcément anodin, puisque révélateur de l’air du temps. Celui-ci plus que beaucoup d’autres, par exemple.
Jean-Marie Le Pen aurait-il pu signer ce manifeste appelant à une « vigilance républicaine » ? Il faudra un jour songer à le lui demander ; ce que n’ont manifestement pas fait ses instigateurs de l’hebdomadaire Marianne. De quoi retourne-t-il, au fait ? De bonnes questions, à l’évidence, même si singulièrement mal formulées. « L’attachement au principe républicain et, en conséquence, le refus de toute dérive vers une forme de pouvoir purement personnel confinant à la monarchie élective. » Fort bien. Mais le vocable de « république » peut recouvrir tant de réalités politiques différentes ; la « république », la « res publica », la « chose publique », donc, fit dire, à juste titre à Rousseau qu’à sa manière, la monarchie capétienne était aussi une « république »… Laquelle fut d’ailleurs, à l’origine, une « monarchie élective », Hugues Capet ayant été installé sur le trône par ses pairs. Quant à la Cinquième république, aujourd’hui si malmenée, elle n’était finalement rien d’autre qu’une « monarchie élective », tandis que deux, au moins, de ses augustes représentants, le général de Gaulle et François Mitterrand – ce n’est pas pour rien qu’ils étaient sous influence maurrassienne –, se conduisirent, de fait, en monarques républicains. L’homme visé par cette philippique, c’est évidemment Nicolas Sarkozy. Le tenir pour monarque républicain, c’est aller un peu vite en besogne, sachant qu’il serait plutôt comme une sorte de Triboulet qui se prendrait pour François 1er.
« Attachement aux fondamentaux d’une laïcité ferme et tolérante, gage de la paix civile »… Là encore, il convient de décrypter. La « laïcité » est un autre mot fourre-tout. Quelle « laïcité » ? Celle du Christ voulant que l’on rende à Dieu et à César ce qui, à chacun, lui revient de droit ? Celle des bouffeurs de curés de la Troisième république, plus “laïcistes” que laïcs ? Si l’expression « ferme et tolérante » paraît droit sortir d’un dictionnaire de clichés, sans même s’appesantir sur le fait que ces deux mots peuvent être donnés pour antinomiques, l’expression de « paix civile », elle, serait déjà plus « porteuse de sens », comme on dit. En effet, la France est un pays complexe, s’agissant d’une nation aux origines et à la substance indubitablement chrétiennes, mais qui est également, de longue date pluri-religieuse. Du temps de l’empire, gloire de cette même Troisième république, elle fut, entre départementalisation de l’Algérie, mandat tunisien et protectorat marocain, l’une des premières puissances musulmanes au monde. Quant à nos compatriotes juifs, ils arrivèrent chez nous dans les fourgons des légions romaines. Et ce sans même compter sur la longue présence, au Sud de la France, de colonisateurs arabo-musulmans, présence qui ne saurait se résumer à leur seule éviction par Charles Martel. Cette « paix civile », par la nature même de notre histoire commune, est fragile. Et Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, de la bousculer. Déjà, lorsque ministre de l’Intérieur, il suscite la création du CFCM, Conseil français du culte musulman, sur le modèle du Consistoire juif de France, jadis institué par Napoléon 1er. Ce conseil, une fois passé les effets d’annonce, est mort né. Pour trois raisons principales. La première, c’est que les Français de confession musulmane ne voulaient pas plus de ce bidule que les Français de confession israélite ne souhaitaient cet autre machin consistant à traumatiser les enfants de CM2 avec une Shoah dans laquelle ils ne sont pour pas grand-chose. La deuxième, c’est que si le christianisme est une religion a visages multiples, même tendant vers l’organisation, l’islam, lui, ne reconnaît pas de clergé ; donc pas de représentants officiels, à l’exception notoire du chiisme, dont les clercs ont calqué la leur sur celle du Vatican, exception culturelle qui fait dire à nombre de sunnites que leurs frères ennemis chiites sont des chrétiens déguisés. La troisième est plus prosaïque : le CFCM aurait éventuellement pu sortir de son impuissance et de ses blocages à répétition s’il avait été dirigé par un Maurice Béjart, par exemple, ce maître de ballet, Français de souche converti au chiisme. Tout cela parce qu’en l’état, jamais un Français musulman d’origine marocaine ne voudra obéir à un Dalil Boubakeur, dont les liens organiques d’avec l’Algérie sont plus que notoires. Et ne parlons même pas de leurs coreligionnaires d’ascendance tunisienne ou issus de l’Afrique noire. Mais allez expliquer cela à quelqu’un qui ne sait pas si Al Qaeda est d’obédience sunnite ou chiite, de plus persuadé que ces deux termes sont ceux d’ethnies différentes… Parallèlement, Nicolas Sarkozy, pensant “rééquilibrer” ses appels du pied à nos compatriotes de confession juive et musulmane, fait rentre-dedans au pape Benoît XVI, avec l’élégance qu’on sait… Et c’est ainsi qu’en voulant faire à nouveau entrer la religion en politique, on en vient à se brouiller avec les représentants des trois religions des enfants d’Abraham.
« L’attachement à l’indépendance de la presse et au pluralisme de l’information. » Bien sûr. Des médias vivant de l’argent des rois du BTP, des multinationales du luxe et des avionneurs marchands de canons, ça fait désordre… Cet attachement au pluralisme serait certes plus crédible, plus cohérent s’il allait jusqu’au bout de sa logique, soit la défense de journaux d’opinion – le nôtre, pour ne citer que lui, ou Tribune juive, toujours au bord du dépôt de bilan –, mais qui ne vivent – mal – que de leurs lecteurs et non point de la publicité, laquelle est, comme il se doit, aux mains et à la botte des groupes plus haut cités.
« L’attachement aux grandes options qui ont guidé, depuis cinquante ans, au-delà des clivages partisans, une politique étrangère digne, attaché à la défense du droit des peuples, soucieuse de préserver l’indépendance nationale et de construire une Europe propre à relever les défis du XXIe siècle. » Sur le fond, rien à ajouter ; pourtant, cette déclaration de principe serait sûrement plus mobilisatrice si elle se trouvait plus clairement rédigée. Traduisons : Nicolas Sarkozy, il l’a dit à la Maison blanche, se sent plus chez lui aux USA qu’en France, profitant d’ailleurs de ce voyage presque officiel – il n’était pas encore Président –, pour cracher sur la politique de ce que l’on pourrait qualifier, le concernant, de pays d’accueil, la France. Et c’est là où l’on touche à l’essentiel. Cette France, née du baptême de Clovis, malgré ses innombrables bouleversements institutionnels – depuis 1789, cinq républiques, six en comptant celle de Vichy, deux empereurs et trois rois –, doit-elle continuer à demeurer, malgré tout, la France ? Ou avoir comme vocation et indépassable horizon que de n’être plus qu’une énième étoile sur le drapeau américain ? Monsieur Bruni serait, paraît-il, l’homme de la rupture. Pour l’instant, cela ne saute pas aux yeux, au vu des chiffres de l’immigration, de la délinquance, des délocalisations et de la paupérisation du peuple français. En revanche, en matière de politique internationale, celle qui est à la fois la plus noble et la plus fondamentale, force est d’avouer qu’il aura tenu ses promesses électorales. Voilà pourquoi, à titre personnel, je ne serais pas gênée de mêler ma signature à celles, entre autres, de Dominique de Villepin, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan, Arnaud Montebourg, et même de ce vieux stalinien de Jean-Pierre Brard.