| Guerre Vs DA’ECH | Questions à Jacques Borde |
Alors, qu’in fine, assez peu de critiques ont éclairé la vente annoncée (12 Md$US, tout de même) de F-15QA made in USA à l’Al-Quwwāt al-Jawiyya al-Imārātiyya al-Qatariya (QEAF), des voix commencent à se faire entendre, y compris, la semaine dernière, dans les contre-allées du SIAE du Bourget, pour que Paris n’honore pas le contrat Rafale à destination de cette même QEAF. Une mise au point s’impose afin que cessent les coassements anti-français de ces corvidés médiatiques (mais pas seulement…). 2Ème Partie.
« Nous ne sommes pas des héros. Il ne faut pas croire que nous n’avions pas peur. Nous avons résisté parce que nous en avions la possibilité : pas de famille, pas de travail. Et parce que nous aimions la France. Elle nous avait adopté. Mais il faut imaginer dans quel état nous étions. Pour ma part, je ne mangeais pas. Je n’arrivais pas à avaler, j’avais comme une boule dans la gorge. Je ne dormais pas non plus et si, par épuisement, je finissais par sombrer, je ne faisais que des cauchemars. À la fin de la guerre, je faisais quarante kilos ».
Arsène Tchakarian, survivant du Groupe Manouchian.
| Q. Avez-vous une réaction à l’arrestation de Taner Kilic, d’Amnesty international en Turquie ?
Jacques Borde. Non. Question sans grand intérêt géostratégique. En fait, Me. Taner Kilic, préside le directoire d’Amnesty international en Turquie. Au-delà, je n’ai aucune idée de ce que l’administration Erdoğan reproche à Me. Kilic et, pour tout vous dire, les aléas de ce lobby anglo-saxon m’indiffèrent au plus haut point.
Si la question sous intéresse reportez vous au Point presse du Quai d’Orsay du 16 juin 2017, repris sur ce blog.
En revanche, je tiens à saluer le fait, qu’à 100 ans passés, Arsène Tchakarian, le dernier survivant du Groupe Manouchian1, a été promu Commandeur de la Légion d’honneur, ce le 22 juin 2017. Enfin, devrait-on dire…
| Q. Pour revenir à notre sujet central, notre économies est-elle si dépendante du Golfe ?
Jacques Borde. Cela dépend des secteurs, mais au moment où s’est tenu le si emblématique Salon du Bourget, il semble opportun de (simple exemple) de rappeler :
1- que Emirates, avec pas moins de 142 exemplaires, totalise environ 40% du carnet de commandes de l’Airbus A380 ;
2- que lors de ce Salon là, aucune nouvelle vente d’A380 n’a été conclue. Alors même qu’Airbus a annoncé son A380plus.
| Q. Si vous me dites ça, c’est que vous avez une idée derrière la tête ?
Jacques Borde. Oui. Plusieurs choses en fait.
1- participer à la déstabilisation du Golfe, ou plus clairement, nous placer à la remorque de la politique régionale de Riyad, revient, à terme, à nous tirer une balle dans le pied ;
2- oubliez les fariboles liées à la nouvelle économie, aux énergies renouvelables, etc., les vrais chiffres de croissance sont dans le dur : le nucléaire, l’aéronautique et la Défense ;
3- et dans ces vrais secteurs porteurs, les clients sont en Orient, le Proche et le lointain. Alors parlons francs : arrêtons d’y foutre le bordel. Ou d’aider ceux qui y foutent le bordel…
| Q. Orient Proche et lointain, vous pouvez être plus précis ?
Jacques Borde. Oui. Que le duo fantasque de Riyad, Salmān Ibn-ʻAbd al-ʻAzīz Āl-Séʻūd et Mohamed MBS Ibn-Salmān Āl-Séʻūd, a effectivement des comptes à régler avec ses voisins ne doit pas nous faire oublier que ces deux-là ont une vision étroite de la géopolitique liée à la sorte de paranoïa qui habite la doxa wahhabî.
La table qu’ils risquent de renverser n’est pas que la seule table basse des quelques pétromonarchies composant le CCG2. C’est aussi :
1- la longue table que se partagent les pays ayant l’Islam en commun ;
2- la longue table réunissant l’essentiel de nos clients dans l’armement, l’aéronautique et le maritime.
Autrement dit : à la liste comprenant l’Arabie Séoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis (ÉAU), Koweït, Oman et le Qatar ; ajoutons l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, les Philippines, la Thaïlande. Et un beau morceau de la Chine, tant que nous y sommes.
Gageons également que si ces marchés se font durablement impacter par la crise du monde musulman que Salmān et MBS trimballent dans leur bagage, comme une Boite de Pandore estampillée du sabre de l’Islam3, l’Australie n’y échappera guère.
Ah, oui ! N’oublions pas l’Inde et le Pakistan…
| Q. Parce que ces deux-là aussi ?
Jacques Borde. Oui, évidemment. Je vous l’ai déjà dit je crois : Delhi prend pour acquise la projection (déjà entamée dans les faits) d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)4 au Jammu-Cachemire. Le Cachemire indien, qui va être le prochain front de djihâd de la terreur takfirî. Avec très certainement le front philippin en parallèle et de manière durable.
| Q. Avec quelles conséquences ?
Jacques Borde. Simple, les pays dont je viens d’énoncer les noms sont tous des clients des industries florissantes que je viens de citer : armement, aéronautique et maritime, nucléaire. Alors, je le répète : ne nous tirons pas aussi bêtement une balle dans le pied, au prétexte à court terme que l’Arabie Séoudite serait un bon client.
Ce d’autant plus que :
1- Riyad ne l’est pas tant que ça (Je vous recommande la lecture de Mauvais comptes de la France en Arabie Séoudite de nos estimés confrères Antoine Izambard & Vincent Lamigeon5) ;
2- tous les autres pèsent largement plus que le Royaume ;
3- suivre l’administration Salmān dans ses choix géostratégiques impactera, aussi sûrement que 2+2 font 4, l’économie de tous les autres.
| Q. Pensez-vous que l’apaisement de la crise entre Doha et Riyad arrangerait nos affaires ?
Jacques Borde. Oui. Je dirais même qu’il arrangerait les affaires de tout le monde. Mais, hélas, nous n’en sommes pas là.
| Q. Et pourquoi donc ?
Jacques Borde. Parce que si, d’un côté, les autorités d’Égypte, des Émirats et de Bahreïn ont quelque peu assoupli leur position, ça n’est pas de le cas de l’administration Salmān, qui, pour l’instant, campe sur ses positions.
| Q. Là encore, pourquoi donc ?
Jacques Borde. Pour deux raisons essentielles.
Primo, il est encore trop tôt pour que et MBS avalent leur Shemagh6, la crise est trop récente et les honest brokers7 à même d’aider à sa réduction ne se sont pas encore réellement mis en branle (même si le Koweït a tenté une médiation et si la Turquie, la France et la Russie ont timidement offert leurs bons offices). Essentiellement, en raison des signaux contradictoires nous venant de Washington avec :
1- d’un côté, le président américain, Donald J. Trump, demandant au Qatar de cesser de financer les mouvements extrémistes ;
2- de l’autre le US Department of State prônant le dialogue pour résoudre la crise ;
3- le complexe militaro-industriel ne se privant pas de vendre aux Qataris ses beaux F15QA.
Secundo, L’Iran, qui compte bien tirer avantage de cette crise intra-golfique, lui, s’est mis en mouvement comme un seul homme pour soutenir son voisin qatari. Ce qui, vous vous en doutez bien, n’est pas de nature à calmer les ardeurs des Séoudiens et surtout celle de Mohamed Ibn-Salmān Āl-Séʻūd, remonté comme un coucou suisse contre Téhéran et Doha.
| Q. Et, il a raison ?
Jacques Borde. Disons que, de son point de vue, il n’a pas tort. Comme l’a écrit, le directeur du Centre des recherches & des Études arabes & africaines du Caire, le Dr. Ahmad Youssef, « L’Iran est devenu le premier pays à aider et soutenir le Qatar, il saisit toutes les occasions pour s’opposer à son principal adversaire régional, l’Arabie Séoudite. Il saute sur l’occasion pour montrer qu’il est en position de force et qu’il est plus puissant. Mais ce n’est pas tout. L’Iran a aussi d’importants liens économiques avec ce petit émirat, surtout dans le domaine du gaz naturel. Il cherche donc aussi à protéger ses intérêts »8.
Comme toujours en pareil cas, chacun joue sa partition.
Notes
1 Ou FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée de Paris).
2 Pour Conseil de coopération des États arabes du Golfe Arabique ou Conseil de coopération du Golfe Arabique (CCG), il regroupe six pétromonarchies du Golfe Persique : Arabie Séoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis (ÉAU), Koweït, Oman et Qatar.
3 Qui orne le drapeau vert de l’Arabie Séoudite.
4 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
5 Challenges Mauvais comptes de la France en Arabie Séoudite .
6 Autre nom du keffieh séoudien.
7 Intermédiaires.
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