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De Villiers, une Démission qui fait sens &… débat [1]

« S’il devait en être autrement, si nous devions laisser en vain nos os blanchis sur les pistes du désert, alors, que l’on prenne garde à la colère des Légions ! ». Lettre (rapportée par Suétone) du centurion Marcus Flavinius à son cousin Tertullus à Rome & Exergue de Jean Lartéjuy, pour son livre Les Centurions (Presses de la Cité, 1960).

Si la missive de Flavinius manque de réalité. Les réaction qui suivent font bien état du discrédit du peuple pour Jupiter élyséen (sic)1. La cote de popularité d’Emmanuel Macron vient de perdre dix points d’un coup. Nous n’en sommes pas à la Roche tarpéienne2 mais, à force… 1ère Partie.

| D’Une mule à Marius3…

« Nous ne sommes pas exigeants, nous ne demandons pas de salaires mirobolants, ni de contreparties à tous les sacrifices que nous acceptons de faire pour la Res publica. Fidèles aux consignes du général de Lattre de Tassigny – ‘Ne pas subir’ -, nous ne nous plaignons pas. Fiers héritiers du savoir-faire militaire français, nous savons qu’avec des souliers troués, on peut marcher jusqu’en Russie, qu’avec des vieux fusils et des âmes exaltées, on peut reprendre une nations à l’occupant, qu’avec des taxis on peut repousser l’assaillant, que même avec du matériel désuet, obsolète ou défectueux, nous pouvons remplir notre mission. Nous le savons et nous nous sommes toujours efforcés de le faire. Sans rechigner car nous avons confiance dans nos chefs et dans leur discernement (…) Peu importe ce que certains peuvent penser en regardant nos troupes défiler fièrement ou en voyant les images officielles vantant nos équipements, nos armées sont en situation d’attrition sévère : elles ne peuvent pas renouveler et moderniser leurs capacités, elle ne peuvent pas les maintenir, elles peuvent seulement les voir fondre. La moitié de nos hélicoptères sont cloués au sol, nous n’avons pas les moyens d’engager nos chars Leclerc, nous envoyons des hommes en OPEX avec du matériel obsolète en sachant que cela peut leur coûter la vie, nous mettons en danger la vie de certaines sections en les forçant à prendre des itinéraires plus dangereux mais ‘plus économiques’… Sans parler de l’état des casernes et des véhicules. Sans parler des soldats obligés de s’équiper à leurs frais pour maximiser leurs chances de survie, ou pour minimiser leur chance d’y passer (…). La situation est donc déjà difficile à gérer, mais nous faisons de notre mieux, car nous savons que la sécurité de nos concitoyens dépend de nos actions au quotidien. Mais qu’en sera-t-il demain ? ».
Extraits de la Lettre d’un engagé au chef d’État-major des armées (CEMA) sortant.

| Imaginaire gaullien & com foireuse.

« Certes d’aucuns s’étonneront de cette ostentation du soldat dans un pays où le primat du civil, à juste titre, fonde le pouvoir. Mais ce serait là oublier qu’il existe aussi un imaginaire gaullien rebelle qui continue de sourdre dans les plis de la mémoire nationale quand l’enjeu de la sécurité apparaît, a fortiori dans une époque de tensions, sous-estimé. Le trauma de Juin 40 opère comme le spectre au-dessus du royaume de Danemark. C’est cet arrière-fond mémoriel qu’a su avec panache réactiver le général de Villiers mais cette réactivation eut été inopérante si le jeune Président, par la brusquerie inattendue de sa parole, n’avait lui-même créé les conditions de ce retour très politique de l’armée après un demi-siècle de discrétion publique. Dans ce contexte relativement exceptionnel, les propos du secrétaire d’État Castaner mettant en cause la loyauté de l’ancien chef d’État-major, qualifié pour la circonstance de ‘poète revendicatif’, loin de clore la crise viennent ‘réinfecter’ la plaie, ouvrant la voie à une communication gouvernementale marquée maladroitement au fer rouge du ressentiment. Tout se passe comme si par une ruse de l’histoire le soldat, nonobstant les freins de son statut, parvenait à subvertir la com’ jusque-là insolente du politique ».
Pr. Arnaud Benedetti, coauteur de Communiquer, c’est vivre (entretiens avec Dominique Wolton. Éd. Cherche-Midi, 2016), & auteur de La fin de la Com’ (éditions du Cerf, 2017).

| Rappel n°1.
« …du moment qu’on démolit l’armée, j’en suis ».
Léon Blum.

| Rappel n°2.

« Nous ne croyons pas un seul instant à la Défense nationale… les prolétaires n’ont pas de patrie ».
Maurice Thorez (PCF), à la Chambre des députés.

| Ouvrir enfin le débat.

La démission du chef d’état-Major des armées est « une décision courageuse mais surtout utile car elle va permettre d’ouvrir le débat nécessaire sur le financement de nos armées ». Car « la question n’est pas de savoir qui est le chef mais si les moyens opérationnels sont conformes aux objectifs politiques. Loin d’être polémique, ce débat, trop longtemps occulté, est indispensable et digne en démocratie ».
François Cornut-Gentille, député Républicain (LR).

| Fébrilité du chef de l’État.

« La démission du général de Villiers est un signal inquiétant, estime dans un communiqué. D’abord parce que le président de la République reproche à ce grand soldat de s’être exprimé librement devant les députés. (…) Ensuite parce que l’attitude du président de la République marque une fébrilité et un goût certain pour le pouvoir sans vis-à-vis. Enfin et surtout parce que la lutte contre les déficits ne devrait pas affaiblir la lutte contre nos ennemis (…) Il y a tant d’autres réformes structurelles à mener. Rogner le budget de l’armée et baisser notre garde alors que le monde est toujours plus dangereux et que le terrorisme est loin d’être éradiqué est une faute grave ».
Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat.

| Egos.

« Réduire le différend entre le chef des armées et le chef d’état-major à une simple querelle de chiffres, voire d’egos, revient à occulter l’essentiel. L’armée française arrive aujourd’hui au bout de ses forces, entre des engagements extérieurs qui dépassent allègrement le ‘contrat opérationnel’ fixé par le Livre blanc, une opération Sentinelle qui épuise les forces, et le fait que les derniers arbitrages de François Hollande en conseil de défense, dont le coût est estimé à 2,2 milliards d’euros en 2018 et 2019, ne sont pas financés. Les soldats français qui rôtissent par 50 degrés dans des blindés VAB hors d’âge au Mali, et qui cumulent plus de 250 jours d’engagement par an loin de leur garnison et de leurs familles, doivent rire jaune quand ils entendent le terme ‘effort’ seriné sur tous les tons par l’exécutif. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser la colère de Pierre de Villiers face aux députés »4.
Vincent Lamigeon, Challenges.

| Enchaînement fou.

« Je veux rendre hommage à un général très respecté et regrette cet enchaînement totalement fou avec cette sur-réaction d’Emmanuel Macron, qui a humilié le général de Villiers et la conduit à la démission. Cela ouvre une crise et cela appelle à l’autocensure. Cela veut dire que la parole ne peut pas être libre devant la représentation nationale alors que le Parlement doit justement contrôler l’action du gouvernement ».
Olivier Faure, président du groupe Nouvelle gauche (ex-PS).

| La grande muselée.

« On avait la Grande Muette, mais on a désormais la grande muselée. On reproche à de Villiers d’avoir fait part de ses inquiétudes devant la représentation nationale. C’est grave car cela veut dire que le Parlement ne peut pas contrôler l’action du gouvernement, juge La démission du général de Villiers est extrêmement grave sur la forme comme sur le fond. Outre que cela affaiblit nos armées, cela témoigne d’une forme d’autoritarisme d’Emmanuel Macron  (…). Vouloir être le chef est une chose, mais jouer au petit chef en est une autre. Quand on est chef de l’État, on ne marque pas son autorité sous cette forme. C’est la première grande faute d’Emmanuel Macron ».
Philippe Gosselin, député Les Républicains (LR).

| Faute politique & gâchis.

« C’est une faute politique de la part d’Emmanuel Macron, qui n’a pas pris la mesure de la qualité de cet homme d’une très grande loyauté et qui était très respecté par les militaires. Macron aurait pu régler cette affaire en privé mais là, il a choisi d’humilier de Villiers devant ses hommes. Cela fragilise le lien entre l’exécutif et l’armée et cela pose la question de la liberté de parole devant la représentation nationale ».
Annie Genevard, député Les Républicains (LR).

| Objectifs non garantis.

« En 2017, le budget de la Défense, tel qu’il a été voté, s’élève à 32,7 milliards d’euros (soit 1,78% du PIB), en augmentation de 600 millions par rapport à 2016. Macron a promis 34,2 milliards pour 2018 et s’est engagé à atteindre 50 milliards d’euros en 2025. Cependant, la Défense est confrontée à d’importants gels de crédits et le ministère est très endetté, donc ses objectifs ne sont pas absolument garantis pour l’heure. Le gouvernement a annoncé près d’un milliard d’euros de coupes immédiates dans le budget 2017 et Bercy a gelé 2,7 milliards de crédits ».
Nathalie Guibert, spécialiste Défense du Monde.

| Une armée encore sous le choc.

Estime le général Vincent Desportes, qui voit dans le départ du chef d’État-major des armées (CEMA) de Villiers « une crise de confiance extrêmement grave entre le chef des armées et une armée qui est stupéfaite, sous le choc »5.

| Devoir de vérité.

« Et il est du devoir du chef d’État-major, interrogé par des parlementaires, de leur dire la vérité sur l’état des troupes. Macron veut jouer au chef mais il se trompe de combat (…). Du reste, les industriels de la défense ont fait part, selon le journal L’Opinion, de leur mécontentement lors du discours du président de la République aux armées, la veille du défilé militaire du 14 juillet, face à l’effort de réduction de 850 millions d’euros des programmes d’équipements pour financer les opérations extérieures. Refusant d’applaudir au discours du président, ils ont quitté l’hôtel de Brienne sans participer à la garden-party »6.
Serge Federbusch, Contrepoints.

| Désaveu.

« La démission du chef d’état-major des armées Pierre de Villiers est un désaveu cinglant pour Macron, qui a trahi ses engagements budgétaires. Notre armée n’a plus les moyens de faire face aux menaces qui pèsent sur notre pays. Macron n’a pas supporté que cette vérité soit dite, même à huis-clos, face à une commission de parlementaires. La situation est grave ».
Vincent Goyet.

Notes

1 Par rapport au Iupiter Optimus Maximus capitolin des Anciens Romains.
2 En latin, Saxum Tarpeium ou Rupes Tarpeia ou encore le neutre substantivé Tarpeium. Nom(s) de la crête rocheuse située à l’extrémité sud-ouest du Capitole, à Rome. Lieu d’exécution capitale pendant l’Antiquité, c’est de là qu’étaient précipités, jusqu’à la fin de la République romaine, les criminels ; ceux qui souffraient d’une déficience mentale ou physique importante subissaient le même sort car on les croyait maudits des dieux.
3 Caius Marius, réforma l’armée romaine, entre 106 av. J.-C. et 104-103 av. J.-C. Attentif au fait que les trains des équipages constituaient une proie facile pour l’ennemi, Marius eut l’idée de faire porter à ses soldats leur propre équipement. D’où pour ce nouveau légionnaire le sobriquet de Muli Mariani (les mules de Marius).
4 Challenges.
5 France Info (19 juillet 23017).
6 Contrepoints .

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