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Phosphore blanc (occidental) Vs Chlore (syrien) [1]

Deir ez-Zor & Raqqa sont désormais les deux front principaux du djihâd. Mais la guerre Vs la terreur takfirî est, aussi, celle des mots. Une lutte (souvent) acharnée & parfois douteuse. Paris n’étant pas le dernier endroit où les dommages collatéraux d’un langage parfois (mais pas toujours) mal maîtrisé sont les plus durs. 1ère Partie.

« Seuls les morts ont vu la fin de la guerre ».
Platon.

| Q. Que pensez-vous de la nomination de la Française Catherina Marchi-Uhel pour diriger l’équipe chargée d’enquêter sur les crimes de guerre en Syrie ?

Jacques Borde. Oui, j’ai vu ça. Et, en toute franchise (et en dépit des qualités de professionnelles de l’intéressée dont je ne doute pas), je trouve ce choix malheureusement inapproprié.

| Q. Une raison à cela, je suppose ?

Jacques Borde. Pas une, plusieurs.

1- pourquoi en Syrie seulement ?
2- le choix de Mme. Marchi-Uhel, ensuite. Rappelons que si elle a été en poste au Cambodge, elle a également été juge au Kosovo et au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Lieu où le travail de la justice (dite) internationale, comprendre occidentale, a été entachée de graves manquements.
3- le fait que Catherina Marchi-Uhel soit… française. Il n’échappera à personne que la France est partie prenante à la Guerre de Syrie, et ce de manière particulièrement controversée. Ce qui me fait dire que la France ne devait pas œuvrer au sein d’une entité juridique supposément dévolue à dire le droit quant aux crimes de guerre commis en Syrie.

Quelque part, on ne peut pas être juge et partie. Parlons là d’un trop évident principe de précaution.

| Q. Donc, un choix regrettable, selon vous ?

Jacques Borde. Un choix discutable, en tout cas. la France, par ses engagements géostratégiques et certaines de ses alliances au Levant, a perdu beaucoup en crédibilité. De toute évidence, Paris n’est plus l’honest broker dont la justice des hommes a besoin pour enquêter sur les crimes commis sur ce front du djihâd au Levant. Je vous rappelle, notamment, les propos de Laurent Fabius à propos du groupe terroriste takfirî Jabhat an-Nusrah li-Ahl ach-Chām1, dont il estimait que les membres faisaient du « bon travail ».

L’ONU compte plus de 190 États membres. Largement de quoi éviter de recruter des personnels dont le travail risque – à tort ou raison, là n’est pas le problème – d’être remis en cause à tout moment.

Rappelons, aussi, que l’Occident à l’art de s’attacher les services des gens peu recommandables.

| Q. Vous pensez à qui ?

Jacques Borde. À Lavdrim Muhaxheri, notamment. Un des chefs d’Al-Dawla al Islāmiyya fi al-Irāq wa al-Chām (DA’ECH)2 qui aurait été tué lors d’une opération conjointe russo-syrienne dans la région d’Idlib. Muhaxheri aurait travaillé à la mission de… l’OTAN au Kosovo, et avant cela en Afghanistan. Et, ça, ça n’est pas moi qui le dit, mais l’Espresso, citant des sources au sein des Renseignements italiens.

Muhaxheri, également connu sous le nom d’Abu Abdullâh al-Kosova, a « eu le temps de travailler à la base américaine de la KFOR de Bondsteel (Kosovo), et avant cela, pour l’OTAN en Afghanistan », écrivaient nos confrères italiens.

| Q. Vous dites qu’il est mort ?

Jacques Borde. Apparemment, oui. Muhaxheri, aurait été éliminé en Syrie, du côté d’Idlib, au cours d’une opération conjointe des Vozdushno-Kosmicheskiye S’ily (VKS)3 et du groupe des forces spéciales Tiger d‘Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS)4, croit savoir le site grec pronews.gr. Mais qui ne cite pas ses sources.

Mais, de son côté, le ministre des Infrastructures du Kosovo, Lutfi Zharku, a rendu visite à sa famille à Kacanik pour lui exprimer ses condoléances. Le président de la communauté musulmane de Kacanik, Florim Neziraj, en a fait de même. Après avoir annoncé la mort de Muhaxheri, Neziraj a déploré le décès d’un « grand soldat musulman ».

Bigre !

| Q. Et ce Muhaxheri, c’est un vrai terroriste ?

Jacques Borde. Oui, Muhaxheri a été baptisé le « boucher » pour avoir décapité des chrétiens, des chî’îtes et des alaouites sur des vidéos de propagande de DA’ECH. Le US Department of State a même porté son nom sur sa liste des terroristes en 2014.

| Q. Sinon, vous persistez toujours à douter de l’imminence de frappes chimiques syriennes ?

Jacques Borde. Oui, et pas qu’un peu.

Si, du côté du Pentagone, on ne se prive pas de nous dire que « le régime de Bachar el-Assad semblait préparer une nouvelle attaque chimique », de sérieux des doutes sont permis. Comme l’a écrit sur son blog Richard Labévière, « Toujours est-il que chaque fois – chaque fois – chaque fois que l’armée gouvernementale syrienne reprend l’avantage dans la reconquête de son territoire national, une nouvelle attaque chimique est aussitôt attribuée au ‘régime de Bachar el-Assad’, sans qu’on puisse sans conteste en prouver la paternité »5

| Q.Mais pourquoi, nous refaire le coup des attaques chimiques, si ces accusations ne tiennent pas la route ?

Jacques Borde. Nécessité fait loi. Et ce pour plusieurs raisons :

1- d’une manière générale, ralentir la progression des forces régulières syriennes, en les incitant à une salutaire prudence ;
2- empêcher le plus longtemps possible l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS), nous dit encore Richard Labévière, de « reprendre le contrôle des quelques 700 kilomètres de frontière avec l’Irak ». Option qui « constitue le vrai cauchemar du Pentagone et signerait une nouvelle défaite américaine dans la région. Cette longue bande désertique qui court à partir de la frontière syro-jordanienne, le long de l’Irak – cap nord – au fil de la vallée de l’Euphrate conditionne un futur couloir stratégique décisif pour l’avenir de la région. Ce ‘corridor’ permettrait d’opérer une liaison opérationnelle entre l’armée syrienne et les unités irakiennes chi’ites alliées permettant de relier Téhéran à Beyrouth, via l’Irak et la Syrie »6.

Une éventualité parfaitement à la portée des troupes de Damas et qui « fait frémir Israël, la Jordanie et les pays du Golfe, au premier rang desquels l’Arabie Séoudite… »7.

| Q. Du coup, comment caractériseriez-vous la position des Occidentaux que nous sommes vis-à-vis de la Guerre de Syrie et des horreurs qui y sont commises quotidiennement ?

Jacques Borde. La position des Occidentaux, Français y compris, n’a rien de bien original. C’est de la géopolitique pure. Nous sommes tous acteurs, à des titres divers, du Grand jeu au Levant. Avec ses morts et des horreurs….

| Q. N’est-ce pas la raison de tenter d’y injecter une dose de justice ?

Jacques Borde. (Soupir) Ce qu’en l’espèce, nous faisons, c’est segmenter un dossier global. C’est de la cosmétique instrumentalisée ad usum Occdentali. Et seulement ça.

Si j’ai bien compris, une équipe de juristes va se pencher sur les crimes en Syrie. Entendez par là : à 99% ceux perpétrés (nous dit-on) par le camp présidentiel, avec quelques vilains terroristes takfirî que l’on ira cueillir dans la nasse créée et alimentée par les pétrodollars golfiques.

Désolé, c’est exactement, ce que nous avons fait en Yougoslavie, pour filer ensuite les deux-tiers de l’ex-Fédération yougoslave en gérance à des crimes organisés locaux et à des assassins de l’acabit de Lavdrim Muhaxheri.

Du coup, les chiens ne faisant pas des chats, c’est à se demander quel visage nous comptons donner à cette justice.

| Q. Pour vous, il n’y a pas de crimes de sang commis en Syrie ?

Jacques Borde. Si, évidement. Mais sur quoi va-t-on réellement se pencher ? Et pourquoi seulement la Syrie…

| Q. À vos yeux, il faudrait un mandat plus large ?

Jacques Borde. Évidemment. Sinon pas de mandat du tout. Quid des crimes commis en Irak ?

Quid des frappes aériennes au phosphore blanc liées à la Bataille de Moussoul ? Mossoul et ses environs soumis aux seules frappes de la coalition occidentale et exempts de raids de l’Al-Qūwāt al-Jawwīyä al-Arabiya as-Sūrī (FAAS)?

Quid de l’indécente guerre des Séʻūd au Yémen ?

Mettons fin à ce double langage sur ces guerres. À cette chape de plomb univoque et équivoque à la fois…

| Q. Qui accusez-vous de double langage ?

Jacques Borde. Le camp occidental.

Une frappe au chlore attribuée à Damas ne peut pas être labellisée crime de guerre, d’un côté ; et, de l’autre, des frappes au phosphore blanc attribuées à la coalition reléguées dans la rubrique négligeable des dommages collatéraux. Que les Occidentaux s’empressent d’oublier avec de vagues excuses.

En fait, on nous (re)fait le coup de Tchernobyl et de son nuage radioactif s’arrêtant gentiment à nos frontières. Jusqu’à la frontière syrienne9, ceux qui combattent DA’ECH ne sont que de sympathiques jeunes gens et de gentils pilotes nourris aux droits de l’Homme et ne larguant leurs bombes que sur d’odieux djihâdistes assoiffés de sang. Passé dans cette partie de la Syrie où l’Al-Jayš al-’Arabī as-Sūrī (AAS) et ses alliés combattent âprement les assassins takfirî, ce ne sont que bains de sang, massacres, et barils de chlore et de sarin fauchant des civils par centaines.

Franchement, de qui se fiche-t-on ?

[à suivre]

Notes

1 Ou Front pour la victoire du peuple du Levant, ou de manière abrégée Front an-Nosra.
2 Ou ÉIIL pour Émirat islamique en Irak & au Levant.
3 Ou Forces aérospatiales russes. Créées le 1er août 2015 suite à la fusion de la Voïenno-vozdouchnye sily Rossiï (VVS, armée de l’Air) avec les Voïenno Kosmicheskie Sily ou (UK-VKS, Troupes de défense aérospatiale.
4 Armée arabe syrienne.
5 Richard Labévière .
6  Richard Labévière .
7  Richard Labévière .
8 Force aérienne arabe syrienne.
9 Plus, bien sûr, les fronts locaux tenus par les proxies de Washington.

 

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