Trois raisons de voter Trump
Des dizaines de millions d’Américains s’apprêtent à voter Donald Trump. Derrière ce choix étrange aux yeux des Européens, il y a de vrais motifs qu’il serait périlleux d’ignorer ou de croire exotiques.
Le croyez-vous ? Près de 50 millions d’Américains vont voter Donald Trump. Dans le pays le plus puissant de la planète, dans l’un des berceaux de la démocratie, d’immenses foules s’apprêtent à cocher le nom d’un homme réputé entre autres pour sa démagogie, son sexisme, sa xénophobie, ses mensonges, son ignorance. D’un homme qui a fait fortune dans des métiers connus pour leurs pots-de-vin (promotion immobilière) et leurs liens avec la mafia (casinos).
Vu d’ailleurs, ce choix paraît insensé, comme le résume une carte croquée par un fameux dessinateur canadien, Michael de Adder. Tous les pays y sont coloriés en vert, à l’exception des Etats-Unis restés blancs. La légende comprend trois couleurs. Le vert indique « pense que Trump est fou », le rose « pense que Trump ferait un bon président » et le blanc… « pas encore décidé ». Mais le pire, c’est que les Américains ont trois bonnes raisons de voter Trump. Et que ces bonnes raisons ne sont pas propres à l’Amérique.
Bien sûr, des millions d’Américains préfèrent Donald Trump parce que c’est le candidat républicain et qu’ils sont eux-mêmes républicains. C’est la logique de parti. Mais le milliardaire à mèche va tellement dans l’excès que cette explication ne saurait suffire à expliquer sa popularité. Sa personnalité et sa posture (plus que son programme !) ont joué un rôle majeur dans son succès aux primaires et vont lui attirer des électeurs qu’on imaginerait plutôt hésitants.
La première raison du succès de Trump, la plus évidente, est son rejet du système politique . Un système incarné jusqu’à la caricature par son adversaire Hillary Clinton , brillante avocate, épouse d’un ancien président, ex-sénatrice, ex-ministre de l’administration Obama, militante dans une fondation créée par son mari qui mélange joyeusement fonds privés et intérêt public . Donald n’est certes pas un vilain petit canard surgi de nulle part. Mais il n’a jamais été élu et jamais vécu « inside the beltway », le périphérique qui entoure Washington.
Fort de cette virginité (politique), le baron de l’immobilier peut soutenir que « nous allons assainir le marais qu’est Washington et le remplacer par un nouveau gouvernement, du peuple, par le peuple et pour le peuple. » La rhétorique va droit au coeur de millions d’Américains. Dans un pays très fédéral comme les Etats-Unis, la capitale est toujours suspecte d’abus de pouvoir. Depuis la crise financière, elle est de surcroît soupçonnée de ne pas avoir su réparer l’économie, voire de l’avoir cassée. Et la série télévisée « House of Cards », bien plus trash que l’ancienne « West Wing » , n’a guère redoré l’image de la politique nationale.
Au-delà de Washington, les Américains doutent de leur establishment politique, économique, médiatique – et Donald Trump s’appuie sur ce doute en dénonçant un système « truqué ».
Outrés par le personnage, les journaux s’acharnent sur lui. Pour la première fois depuis sa création en 1982, le quotidien « USA Today » a pris parti en conseillant à ses lecteurs de ne pas voter pour lui. Le vénérable mensuel « The Atlantic », fondé en 1857, appelle à voter Clinton, alors qu’il avait toujours évité de s’engager – sauf en 1964 pour Lyndon Johnson et surtout en 1860 pour Abraham Lincoln. La convergence des avis risque de renforcer Donald Trump, car elle alimente l’idée du complot. Selon un sondage YouGov, à peine 23 % des pro-Trump font confiance aux journalistes et aux experts qui vérifient les propos des politiciens (« fact checking ») contre 89 % des pro-Clinton. Et 83 % des électeurs du candidat républicain estiment qu’une victoire de Clinton viendrait… de la fraude.
Cette défiance profonde de dizaines de millions d’Américains vient au moins en partie de la deuxième raison du vote Trump : la peur. Une peur instinctive qui s’est emparée de ce qui fut antan le coeur battant du pays et qui l’est de moins en moins, à savoir les hommes blancs de la classe moyenne . Parmi les non-diplômés, ils seraient deux fois plus nombreux à voter Trump que Clinton. Contrairement à ce qui est parfois avancé, ce ne sont pas les plus démunis qui sont tentés par le magnat. Quelle que soit la couleur de leur peau, ceux-ci votent d’abord Clinton – par exemple dans les villes affaiblies par la concurrence étrangère. Les partisans de Trump se recrutent plutôt parmi les « petits Blancs » qui craignent de perdre le peu qu’ils ont – un emploi fragile, une maisonnette. Pour eux, la menace vient de partout. Des produits chinois, des immigrés mexicains, des Noirs, des femmes, des machines voleuses d’emploi. Et Trump est le seul à vouloir lutter contre ce nuage de menaces.
Mais cela ne suffit pas. Des électeurs républicains bon teint, qui n’ont rien à craindre, vont aussi voter Trump parce que c’est un battant. Un couple new-yorkais aisé, qu’on voyait mal s’accommoder du candidat star de la télé, raconte ainsi cette histoire. Dans les années 1980, la ville de New York voulait faire refaire la patinoire de Central Park. A deux reprises, elle a confié le contrat à l’entreprise offrant le plus bas prix… avant de faire faillite. Après 13 millions de dollars de pertes pour la ville, Trump a proposé de régler l’affaire en six mois pour 3 millions de dollars. Le chantier a été achevé en quatre mois pour une facture finale moins élevée. Moralité : « Il faut quelqu’un comme ça à Washington. » Peu importe que les PDG devenus gouvernants n’aient pas brillé par leur brio politique, de Silvio Berlusconi, en Italie, à Thaksin Shinawatra en Thaïlande.
Rejet des élites, peur du déclassement, envie candide d’efficacité publique… Finalement, êtes-vous si sûr que les électeurs de Trump sont très éloignés de ce que l’on peut voir, entendre et redouter en Europe ?
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