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Le Défi du contrôle des espaces frontaliers en Afrique

Communication du Pr. Charles Saint-Prot, directeur général de l’Observatoire d’Études géopolitiques (OEG) lors du Security Forum de Marrakech, Enjeux stratégique & nouveaux sanctuaires du terrorisme (10-11 février 2017). Texte reproduit in extenso. (Felix D. Sbirov)

Le défi que doit relever l’Afrique est celui de développement. Mais il n’y aura pas de développement global tant que les questions relatives à la sécurité ne seront pas régler. C’est l’affaire des États.

L’un des piliers de la pensée mondialiste est l’idéologie selon laquelle il faudrait abolir les frontières. Pourtant, comme le dit le philosophe Marcel Gauchet : « un pays qui n’a pas de frontière n’est pas un pays, c’est un terrain vague ». Il faut des frontières dans lesquelles s’exerce l’autorité d’un État au service du bien commun. L’État est très précisément le gardien des frontières.

Ainsi dans une Union européenne confronté aux dures réalités du moment, l’échec de l’espace de Schengen est patent. On voit bien l’inquiétude grandissante due au danger de l’absence de contrôle aux frontières. Cette inquiétude est forte dans de nombreux pays, à commencer par les pays du Groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, république tchèque, Slovaquie). Si la construction européenne suscite autant de réticences chez les peuples, c’est qu’elle a prétendu se faire contre les nations, contre les États et par conséquent contre les peuples réels.

Il est clair que la question de la sécurité aux frontières concerne tout particulièrement les pays africains.

Devant l’émergence de nouvelles menaces, le contrôle des zones frontalières est une question cruciale pour assurer la sécurité nationale.

Quels sont les risques ? Comment y faire face ?

Les risques concernent surtout les zones périphériques.

Depuis quelques années, la menace terroriste sur le continent africain est principalement sectorisée aux confins des pays, dans des périphéries qui sont caractérisées par leur immensité et par la porosité des frontières aussi bien terrestre qu’aériennes ou maritimes.

Des sanctuaires d’une dizaine d’organisations ou de mouvances terroristes – et aussi des groupes de trafiquants de drogue et d’armes qui leur sont liés – sont installés aux périphéries de la Libye, du Niger, de l’Algérie, du Tchad, du Mali, du Burkina-Faso, de la Mauritanie, du nord du Nigéria, du Cameroun, de la Somalie, du Kenya, de l’Éthiopie, du Mozambique, etc.

Il faut bien noter une prolifération de bandes terroristes et de trafics divers : armes, mouvements de capitaux suspects, êtres humains, drogue des maffias latino-américaine, souvent en cheville avec des groupes terroristes et/ou séparatistes dont le Polisario qui est un important facteur d’instabilité régionale.

A cet égard, il faut rappeler que le principe d’intangibilité des frontières tracées par la colonisation n’est évidement pas opposable au Maroc qui est une nation millénaire. Le Maroc a donc été en droit d’opposer le seul principe opérant en l’espèce : le droit du retour à son intégrité territoriale, qui est un droit reconnu internationalement.

Il est aussi notable que d’autres activités transnationales sont à déplorer, notamment la piraterie maritime.

Lors du Forum sur la paix & la sécurité en Afrique qui s’est tenu à Dakar les 15 et 16 décembre 2014, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian notait que « La menace terroriste n’a plus de frontière, les acteurs se multiplient et profitent de la fragilité des espaces frontaliers »

En effet, les groupes armés terroristes et criminels profitent de l’extrême difficulté des États à exercer leur contrôle sur certains espaces de leurs territoires. Naturellement, l’enjeu est de contrôler les espaces frontaliers pour isoler ces groupes, limiter leur liberté d’action et les réduire.

Il y a donc nécessité d’une meilleure gestion des espaces frontaliers au bénéfice de la sécurité.

Comment faire face aux risques ?

Qui peut le faire ? L’enjeu sécuritaire majeur étant le contrôle des frontières, cela renvoie au rôle de l’État S’il y a de nouveaux sanctuaires du terrorisme c’est précisément dans des zones où l’autorité de l’État est absente (zones tribales au Pakistan, de nombreuses zones de la région sahélo-saharienne…)

Sur ce point on ne peut – comme le FMI et d’autres institutions – exiger des États de l’Afrique de faire des économies, de réduire leurs dépenses, de baisser le nombre de leur fonctionnaires civils et militaires, et leur demander en même temps de sécuriser leur région.

Il semble contradictoire de demander aux États africains d’assurer leur fonction de sécurité et de contrôle de leurs frontières et, en même temps, prôner une idéologie anti-étatique qui s’oppose au principe de la sécurité puisqu’elle affaiblit l’État alors qu’il faut le renforcer.

Dès lors, il est vain de créer des états-majors intégrés, d’imaginer des initiatives internationales, d’épiloguer sur l’action qui pourrait être celle des organisations sous régionales, régionales et internationales, si on ne traite pas en priorité la question essentielle : le rôle et la capacité des États à répondre aux menaces.

Quand les frontières sont sécurisées par un État volontaire doté d’une armée efficace la menace est moindre. On le voit bien dans le sud du Maroc, avec le mur de protection mis en place dans les années 1980 au Sahara marocain d’abord contre la menace militaire des troupes algériennes, cubaines et d’autres pays du bloc communiste. Ce mur et les efforts considérables de l’armée marocaine a permis de sécuriser la région. Aujourd’hui la menace militaire s’est estompée du fait de l’effondrement du bloc communiste, mais le mur est un rempart puissant contre l’action des bandes terroristes et mafieuses à la frontière du sud marocain. Cette frontière bien sécurisée protège le Maroc et, il faut le souligner, l’Europe contre les flux des bandes terroristes.

Concernant le reste de l’Afrique, la principale question est la suivante : quels sont les instruments et les capacités des États pour le contrôle de leur territoire et de leurs frontières ?

Nous savons que les frontières des États africains sont les « angles morts » de la sécurité. Les forces consacrées à la protection des frontières sont trop souvent sous dimensionnés par rapport à l’immensité des territoires concernés et parfois la disproportion entre les moyens et ceux des criminels.

En conséquence, il faut des États plus forts et disposant de plus de moyens, humains et matériels, pour contrôler les espaces frontaliers.

Il faut adapter les forces de défense et de sécurité aux nouvelles menaces en ayant les effectifs nécessaires, en favorisant les synergies entre diverses forces : armée, police, douane, etc. Il convient aussi de se doter des moyens d’équipements et d’observation nécessaires.

C’est la première étape.

Bien entendu, chaque État ne peut se replier sur son pré carré puisque la menace est précisément collective. La seconde étape consiste à intensifier la coopération entres les États africains voisins, en particulier à travers des organisations sous-régionales.

L’objectif vise à consolider des coopérations interétatiques concrètes pour trouver des solutions. Il faut créer des partenariats spécifiques, par exemple le partenariat militaire de coopération transfrontalière du G5 Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad). Il faut travailler à des pratiques adaptées aux menaces, comme les patrouilles conjointes. Le renseignement est primordial dans ce combat, il faut donc améliorer l’échange d’informations entre les services de renseignements, de police, de justice ; Il est nécessaire de s’appuyer sur l’expérience et le savoir-faire de pays leaders en la matière, comme le Maroc. Dans ce domaine, comme dans d’autres, le retour du Maroc au sein de l’Union africaine est donc une chance pour l’Afrique.

Surtout, il est indispensables que les pays africains disposent de moyens techniques suffisants pour mieux surveiller leurs territoires: drones, avions, radar… Cela renvoie à la coopération avec d’autres acteurs étatiques comme les pays occidentaux, notamment la France qui a une expérience reconnue, une efficacité incontestable et un réel souci de l’avenir de l’Afrique.

Dans tous les cas, on en revient inexorablement à l’action et à la volonté des États. En effet, la coopération internationale n’est pas le résultat d’une mystérieuse main supranationale, elle résulte de la politique conduite par les États.

En conclusion, il convient d’affirmer que la fragilité étatique des pays africains n’est pas une fatalité. Comme l’a souligné ici le Premier ministre Moussa Mara, il ne faut pas moins d’État, mais plus d’État et mieux d’État.

Le premier défi consiste à renforcer les États dans leurs missions régaliennes, dont l’une des plus évidentes est leur devoir de protéger les territoires et les citoyens. C’est en sécurisant les frontières que les États africains se renforceront et c’est ce qui leur permettra de franchir un pas décisif vers la construction d’un avenir de paix et de développement.

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