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Verdi, patriote oublié ?

L’opéra de Giuseppe Verdi n’est plus à présenter. De son célèbre Requiem contenant le fameux Dies Iræ, ou les adaptations de Shakespeare, tout le monde connaît au moins un air ou le nom d’une de ses œuvres. Cependant, la question du politique dans les canons verdiens est plus subtile à appréhender. Fait connu en Italie et en général chez les amateurs du cygne de Busseto, l’action patriotique du compositeur autour du Risorgimento est néanmoins demeurée dans l’ombre de son portrait aux yeux du grand public ou a été oubliée. Pourtant, l’on ne peut pleinement apprécier Nabucco ou La bataille de Legnano sans connaître leur dimension patriotique ; occulter l’intention risorgimentale qui les a engendrés revient à se contenter d’admirer la face émergée d’un iceberg. Né en 1813 et décédé en 1901, Verdi a vécu tout l’Ottocento ainsi que les trois phases du Risorgimento, jusqu’à être élu député du premier parlement national du jeune Royaume d’Italie sur l’insistance du Comte de Cavour. Toute sa vie, il fut confronté au délitement de la nation italienne soigneusement entretenu par les puissances impériales européennes, notamment la France et l’Autriche, qui redoutaient l’émergence d’une force politique concurrente à la leur. C’est sa révolte contre l’écartèlement de l’Italie que Giuseppe Verdi consacra son art opératique, jusqu’à l’unification du moins.

Va, Pensiero

L’opéra de Verdi se caractérise par deux éléments principaux. Le premier, c’est qu’il refusa, à l’inverse de Wagner, d’élaborer une doctrine. L’œuvre de Verdi se voulait héritière du bel canto, propre à la tradition italienne, disant d’ailleurs de son confrère allemand qu’il choisissait « invariablement et inutilement la voie inexplorée, essayant de voler là où une personne raisonnable marcherait avec de meilleurs résultats », ce qui ne l’empêchait néanmoins pas d’apprécier l’univers wagnérien et d’en regretter la disparition. Verdi demeurait cependant un pragmatique ; ses œuvres ne sont pas caractérisées par la recherche d’une mystique ou la résurgence de valeurs païennes ; si Wagner était pangermaniste, Verdi n’était pas « panitalianiste » pour autant ; son patriotisme était celui d’une nation mutilée par l’impérialisme de puissances étrangères, au point que la noblesse même qui régentait les États italiens en était l’émanation.

De fait, l’opéra verdien ne fait pas apparaître de panthéon romain. Il est profondément enraciné dans la vie nationale populaire italienne d’alors, et eut la spécificité de se faire le héraut du peuple italien, notamment dans le fameux Va, pensiero dans Nabucco qui narre la chute de Babylone, qui fut pressenti comme hymne national après être devenu le chant de ralliement des patriotes italiens. Verdi y exprime la tristesse d’un peuple déraciné qui contemple avec amertume son ancienne patrie dont il est dépossédé. Suona la tromba, chant de guerre qu’il rédigea suite à la commande de Mazzini sur la base d’un texte de Mameli dont le but était d’en faire la Marseillaise italienne, affirme l’engagement politique et patriotique de Verdi. La bataille de Legnano, elle, représente totalement l’aspect allégorique que Verdi voulait attribuer à son œuvre pour en faire un écho de la situation contemporaine de l’Italie. Bataille qui vit l’affrontement de la Ligue Lombarde contre l’empereur Frédéric Barberousse et la défaite de ce dernier, l’opéra voulait bien entendu faire un parallèle avec la domination autrichienne du Nord de la péninsule. Le chœur d’ouverture et les serments présents dans les différents actes de l’opéra témoignent d’ailleurs de la volonté de Verdi de soutenir le mouvement de résistance face à l’occupation de l’Autriche. Son style mélodramatique combiné aux évènements du Risorgimento fit affirmer plus tard à Gramsci que le mélodrame  était « un roman populaire en musique.» De nombreuses œuvres de Verdi furent d’ailleurs frappée par la censure ; qu’il s’agisse d’Ernani pour lequel il dut batailler contre les autorités autrichiennes afin de conserver le titre italianisé au prix de quelques compromis sur d’autres parties du texte, ou encore Stiffelio qui fut « châtrée » par la censure pour reprendre le mot de Verdi. Comme le disait Pierre Milza, « simplement, Verdi n’avait ni l’étoffe d’un combattant ni la vanité de se prendre pour un héros. Son combat pour la liberté et pour la patrie italienne, il le menait sur la scène. »

Viva Verdi

 En ce sens, le combat politique de Verdi se déroule presque uniquement sur le plan culturel. En tant que romantique, Verdi s’inscrit dans la lignée d’Alessandro Manzoni mais aussi de la réaction romantique européenne contre le désenchantement du monde provoqué par la modernité. D’une part en puisant largement dans l’Antiquité ou le Moyen-Âge comme cadres de ses œuvres, d’autre part en contribuant lui aussi à lier le romantisme italien au Risorgimento. Le romantisme y trouvait ainsi sa pleine expression politique et révolutionnaire ; s’opposant à la doxa rationaliste héritée des Lumières, mais aussi l’exaltation des sentiments, notamment de nostalgie face à la pensée mécanique du monde moderne, Verdi le transforma en fer de lance de la lutte culturelle pour l’unification. Bien que républicain, l’on sait que Verdi donna un accord, au moins tacite, pour que son nom devienne l’acronyme du ralliement des patriotes ; les cris et graffitis « Viva Verdi » s’entendant réellement comme « Viva Vittorio-Emmanuele Re DItalia », de même qu’il accepta la demande de Cavour d’être élu à la première législature de l’Italie unifiée comme garant avant tout. Verdi démontrait qu’ainsi il considérait l’unité nationale supérieure à ses propres aspirations politiques.

Toutefois, Verdi ne siégea guère longtemps et démissionna dès la mort de Cavour, ni ne participa aux sessions du Sénat malgré sa nomination à vie dans la haute-chambre. L’ouvrage Verdi et son temps de Pierre Milza fait ainsi part de l’épouvante et l’exaspération du compositeur qui vit les dérives inhérentes au parlementarisme poindre très tôt dans la vie institutionnelle italienne, n’hésitant pas à s’insurger suite à la demande sénatoriale de justifier de ses titres universitaires et musicaux : « Ce que je sais, c’est que je ne mettrais jamais les pieds au Sénat. Pas même pour  prêter serment. » Accusant les parlementaires, et plus généralement le pouvoir des partis, de procéder au « transformisme » de la Chambre basse dans une lettre à Clara Maffei, entendant par-là que les majorités se faisaient et se défaisaient au gré des passions démagogiques ou les vues électoralistes des représentants de la Nation, la critique verdienne n’est guère éloignée de celle que l’on trouva ensuite en France à l’encontre des instables IIIe et IVe Républiques, où les enjeux idéologiques et nationaux furent sempiternellement éclipsés des débats parlementaires. Sa propre attitude paternaliste vis-à-vis des employés de sa villa, son amitié réelle et sincère avec Cavour, laissent supposer que Verdi aurait certainement été machiavélien ; soit en faveur d’un despotisme éclairé, ou tout du moins d’une véritable aristocratie (entendue en son sens premier) qui s’appuie sur le peuple pour lutter contre les ambitions d’apparatchiks et autres politiciens carriéristes. C’est cependant vers le retour à la composition et l’abandon de thèmes patriotique que Verdi se dirigea jusqu’à la fin de sa vie, adaptant notamment quelques pièces de Shakespeare comme Otello, où le maestro se fit désormais la voix du décadentisme. De fait, l’œuvre verdienne demeurait connectée à la vie politique de l’Italie ; s’il n’y avait plus de sens à se faire le héraut de l’unification, Verdi se fit celui des désillusionnés par la nouvelle caste politique au « patriotisme d’antichambre », pour reprendre l’expression de Malaparte.

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