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Karl Popper

Wikipédia et la théorie de la conspiration

Oublions les menaçantes et coutumières polémiques, et essayons d’apporter des nuances et des délicatesses dans les lignes qui vont suivre.  Or voici ce qu’on trouve entre autres dans les trente glorieuses pages de Wikipédia sur la théorie de la conspiration.

Karl Popper, dans son livre sur la société ouverte, lui-même inspiré par Bergson (beau-frère du fondateur de la Golden Dawn), et qui a si mal inspiré qui l’on sait, indique :

« … les conséquences de nos actes ne sont pas toutes prévisibles ; par conséquent la vision conspirationniste de la société ne peut pas être vraie car elle revient à supposer que tous les résultats, même ceux qui pourraient sembler spontanés à première vue, sont le résultat voulu des actions d’une personne intéressée à ces résultats ».

Très d’accord. La note Wikipédia ajoute :

« Karl Popper voyait dans les théories du complot une « sécularisation des superstitions religieuses » où « les dieux d’Homère, dont les complots expliquent la guerre de Troie, y sont remplacés par les monopoles, les capitalistes ou les impérialistes ».

Très comiquement on ajoute ici :

« Popper remarque par ailleurs que les personnes les plus désireuses d’amener le paradis sur terre sont les plus enclines, une fois au pouvoir, à adopter des théories du complot pour y expliquer leur échec. »

Mais alors, justement, la mondialisation et la construction de l’Europe, clairement voulues pourtant par certaines élites (Wikipédia cite même le vieux Rockefeller et ses provocations) n’ont pas amené le bonheur sur la terre. Et ce sont elles justement qui voient des théoriciens conspirateurs partout, et des réseaux dangereux menacer leurs agissements vertueux !

Philippe Corcuff avait remarqué, sur Médiapart, à propos de chasseurs de « théoriciens de la conspiration » ou de praticiens de la « théorie du complot » :

« La critique, souvent juste, du conspirationnisme de Meyssan conserve malheureusement des traces des schémas complotistes. Sans entrer dans des délires du type de Meyssan, elle contribue elle-même, par petites touches, au climat conspirationniste contemporain qu’elle dénonce. »

Puis Wikipédia se rapproche de la vérité :

« C’est ainsi que sans souscrire eux-mêmes au conspirationnisme, les philosophes Antonio Negri et Michael Hardt soulignent, dans leur livre Empire sur la mondialisation, que les théories du complot ne doivent pas être rejetées par principe :

« […], nous n’entendons pas suggérer qu’il existe un petit opérateur derrière le rideau, un magicien d’Oz qui contrôlerait tout ce qui se voit, se pense ou se fait. Il n’y a pas un point de contrôle unique qui dicte le spectacle. Celui-ci, toutefois, fonctionne généralement « comme » s’il y avait effectivement un tel point de contrôle central […], le spectacle est à la fois dispersé et intégré. […], les théories de conspiration gouvernementale et extragouvernementale pour un contrôle mondial – qui ont proliféré ces dernières décennies – doivent être reconnues comme justes et fausses tout ensemble […] : les théories de conspiration constituent un mécanisme grossier mais efficace pour approcher le fonctionnement de la totalité. Le spectacle de la politique fonctionne « comme si » les médias, l’armée, le gouvernement, les sociétés transnationales, les institutions financières mondiales, etc. étaient tous consciemment et explicitement dirigés par une puissance unique, même si, en réalité, ils ne le sont pas. »

Wikipédia donne ensuite une meilleure explication, presque libertarienne, et liée au développement effarant de notre Etat moderne et de son despotisme tocquevillien :

« Pour un premier courant, c’est l’« excès d’institution » qui provoque le développement des théories du complot. Timothy Melley (Université de Miami), spécialiste de la culture populaire, parle d’une « agency panic »: il voit dans le conspirationnisme l’expression d’une crise de l’individu et de son autonomie, ainsi que son angoisse face au pouvoir croissant, technocratique et bureaucratique, des administrations. Il considère en outre la théorie du complot comme un élément essentiel de la culture populaire américaine de l’après-1945 »

Chez Lord Byron (Manfred), on appelle les démons les agences.

Dans mon livre sur internet (publié en 2000, republié depuis), je rappelle ce fait :

« Un style paranoïaque ne fait pas référence à une maladie mentale. L’historien des idées Richard Hofstadter remarque qu’un paranoïaque voit une conspiration dirigée directement contre lui-même là où un paranoïaque politique voit une conspiration visant des millions d’autres individus, une nation tout entière voire l’humanité tout entière. Le même phénomène a actuellement lieu en France où l’ensemble du processus européen ou de la mondialisation est tragiquement vécu par des esprits de gauche et de droite. »

Ceci dit, nier les agences du système US et leur rôle effectif un peu partout dans le monde, c’est être végétal ou imbécile ; ou en faire partie. La mafia aussi, rappelle Guy Debord, aime expliquer qu’elle n’existe pas.

On est bien d’accord ici et j’ai rappelé dans mon livre sur littérature et conspiration la vision de Rothbard. La théorie de la conspiration c’est, selon ce grand libertarien, l’interprétation de l’histoire qui ne convient pas aux élites et au système média. Je le cite en anglais pour qu’on ne m’accuse de rien :

« It is also important for the State to inculcate in its subjects an aversion to any outcropping of what is now called “a conspiracy theory of history.” For a search for “conspiracies,” as misguided as the results often are, means a search for motives, and an attribution of individual responsibility for the historical misdeeds of ruling elites.”

J’ai montré aussi que Tocqueville ne croit pas en la théorie de la conspiration dans sa lettre essentielle et ignorée au marquis de Circourt (lettre du 14 juin 1852, œuvres complètes, tome VI). Mais Tocqueville remarque aussi que l’histoire moderne ne donne plus de rôle aux hommes : tout est soumis à la fatalité ou aux choses, ou au hasard, ou à rien du tout.

Tocqueville :

« Les historiens qui vivent dans les temps démocratiques ne refusent donc pas seulement à quelques citoyens la puissance d’agir sur la destinée du peuple, ils ôtent encore aux peuples eux-mêmes la faculté de modifier leur propre sort, et ils les soumettent soit à une providence inflexible, soit à une sorte de fatalité aveugle.»

Les historiens conspirent… Dans notre société on se fait traiter de tout quand on cherche une explication. La recherche d’une explication devient la théorie de la conspiration. Et si en effet on est accusé de théorie de la conspiration parce qu’on conteste la version nulle officielle, c’est qu’on déjà en plein fascisme. Lisez et relisez le Raico sur la nécessité de guerre pour les présidents américains. Pour un président américain (voyez Donald), être, c’est faire la guerre. Ne pas être, c’est ne pas la faire.

Wikipédia ajoute que finalement, oui, peut-être, après tout, pourquoi pas, la théorie de la conspiration peut avoir du bon. Et sans citer Max Weber qui inspire les lignes suivantes, on ajoute bravement :

« Pour Pierre-André Taguieff, les théories du complot, très médiatisées sur Internet, dans certains jeux (comme Deus ExHalf-LifeIlluminatiMetal Gear) ou films (comme X-FilesPrison BreakEnnemi d’État), répondaient à un besoin de « réenchantement du monde », selon l’expression de Peter Berger : elles participeraient d’une reconfiguration des croyances et d’une sublimation du religieux sous une forme sécularisée. Insistant sur la déstructuration culturelle plutôt que politique ou religieuse, le sociologue voit le terreau de développement des théories du complot dans la postmodernité : relativisme cognitif (Raymond Boudon), fragmentation en néo-tribus et en sous-cultures (Michel Maffesoli), dévalorisation des « canaux officiels de communication » (politiciens, médias), confusion accrue entre l’image et le réel ».

C’est ce qui explique le succès de Dan Braun ou d’Umberto Eco, auteurs de conspirations bien improbables. Mais j’ai montré dans mon livre sur la conspiration que les romans de conspiration de Chesterton, de John Buchan ou de Jack London illustrent et expliquent aussi très bien notre siècle et ses énormes transformations, révolutions, etc. Ces livres reflétaient aussi les préoccupations de leurs auteurs, toutes trois différentes. Chesterton plutôt chrétien médiéviste, Buchan impérial et bien british, London gauchiste et révolutionnaire.

Et je rajoute ces trois lignes de Wikipédia :

« La théorie du complot serait donc un palliatif face à l’annihilation de l’individu par des institutions trop présentes, ou à l’inverse face au vide provoqué par la vacance des institutions. Dans les deux cas, elle est une réaction à la perte du sens ordinairement assuré par un ordre social bien régulé. »

On navigue entre fiction et réalité, comme dans une pièce shakespearienne. C’est Lovecraft qui a raison une fois pour toutes : c’est la peur qui domine l’homme. Il y a ceux qui ont peur du système, et ceux qui ont peur de ceux qui ont peur du système.

Sources

  • Nicolas Bonnal – Internet – La Nouvelle Voie Initiatique (Lien)
  • Nicolas Bonnal – Internet ; les grands auteurs et la théorie du complot (Kindle_Amazon)
  • Popper – la société ouverte et ses ennemis
  • Timothy Melley – Panic agency
  • Murray Rothbard – A libertarian manifesto
  • Tocqueville – Correspondance ; Démocratie, II, première partie, chapitre XX
  • Wikipédia – article théorie du complot

Les livres de N. Bonnal sont disponibles chez:

  • AVATAR Diffusion (lien)
  • Amazon France (lien)

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