Merci, encore une fois merci de confirmer une intuition de toujours. Merci aussi et surtout au tribunal de Chartres, à son juge Michel Trioux et au procureur Bruno Revel.

Mille mercis pour un verdict clairvoyant et courageux : « sioniste » est bien une insulte, peut-être la pire, un mot qui a tué et qui tue… « Martyr », c’est en grec ancien : « témoin ». Pour cinq mois de geôle, dont trois en suspens (1), Kemi Seba nous offre cette Vérité. Après cinq siècles de chaînes matérielles et des millénaires de chaînes spirituelles, ce « témoignage » n’est pas cher payé. Les fils de l’Afrique savent faire de leur prison une tribune et un symbole…

On pourrait multiplier ici les différences de traitement, tartiner d’injustices, éclairer un droit au blasphème et à l’irrévérence proclamé mais refusé à certains : Ridicule Redeker, Salman Rushdie de substitution et sa muraille de barbouzes ou Dantec, opaque comme une seringue usagée, qui multiplie les : « grosses truies palestiniennes » sans jamais être inquiété. Ce serait vain, vous connaissez les plus flagrantes. Elles montent dans notre colère comme les eaux autour de la Nouvelle Orléans. « Pas de privilège, pour les ennemis des privilèges », nous répondrait un Saint-Just bouffi. Les outrances verbales de Seba peuvent froisser, mais il doit en jouer pour se faire entendre. Qui peut imaginer la même condamnation-éclair pour les caricatures danoises de Charlie hebdo qui ont frustré les foules musulmanes ?

Dans sa lettre de prison, le leader noir (nous empruntons cette formule à France 3) assimile le couperet judiciaire à une « décision raciste, négrophobe ». Ici, ce n’est pas le racisme « populaire », enfant violent des frustrations, de la précarité et des identités mal cernées, mal vécues. Ce ne sont pas non plus les sorties méprisables de Sevran ou de Frêche. C’est un impérialisme sournois, décomposant. Le « black », le « reunoi » (et d’autres…), est concentré dans le sport et la musique. S‘il s’essaye à la politique, cet éternel mineur doit être encadré dans une structure relais, dont SOS-Racisme est le prototype mais pas le vecteur unique… La France de Ferry et Jaurès théorisaient la mission « civilisatrice » des « blancs », celle de Sarkozy et BHL tirent toujours sur la corde coloniale. Les « valeurs » de l’Occident demeurent une norme universelle qui doit s’imposer à tous et partout…

C’est la croissance cancéreuse de l’Europe depuis Colomb qui étouffe les peuples, pas la France et l’Europe en tant que nation et civilisation. La branche militaire du Système qui tue les manifestants de Sétif ou d’Abidjan, a fusillé les ouvriers français à Fourmies. La branche économique du Système qui exploite la terre africaine et l’enfant asiatique, a délocalisé pour fuir l’hexagone… Nous aussi, nous portons un fardeau de cadavres, de haines et d’occupations. Pas de souffrances exclusives donc, l’échange ne doit pas se muer en compétition… Il faut accepter, comme logique et réciproque, que la condamnation de l’immigration comme phénomène doit s’accompagner de celle de la « françafrique » : ces réseaux qui quadrillent et pillent la terre noire. Notre faisceau n’est pas celui de cette « république » ou du fascisme. C’est un faisceau de cultures et de communautés, plus solide parce qu’elles s’appuient les unes sur les autres.

Quelques soient nos divergences sur le fond comme sur le forme, nos pensées « passe-muraille » vont vers Kemi Seba et ses deux frères embastillés avec lui : Héry Séchat et Konga. Nous adressons des pensées moins tendres à une « justice » qui, pour quelques mots, prive une fillette de quatre mois de son père. C’est sans doute pour le meneur kémite la condamnation la plus dure…

Terminons par un extrait (de 1934) de l’œuvre d’André Béton, médecin haïtien et conscience noire: "Nationaliste, j'admets tous les nationalismes, je suis avec ceux qui crient: l'Allemagne au Allemands, la France aux français! Mais je ne m'arrête pas là, j'ajoute l'Inde aux indiens, l'Afrique aux Africains.".