Richard Descoings, qui eut largement le temps de contribuer à la démolition programmée de l'enseignement français avant de mourir dans des conditions troubles à New York, fut l'un des membres de l'oligarchie locale les plus intégrés à la stratégie cosmopolite qui, au fil des années, se met en place dans une Europe mondialisée. L'éducation est bien évidemment un élément fort du système, le coin par lequel il est possible de briser la machine antérieure, et de la remplacer par une autre plus adaptée aux fins poursuivies. Les éloges édifiants qui accompagnèrent l'annonce de ce décès, de la part des dirigeants politiques, mais aussi de tous ceux qui ont, de près ou de loin, un intérêt à ce que le déracinement de notre pays se poursuive, sans parler des idiots intoxiqués par les sirènes idéologiques de l'égalité et de la fraternité, comme dirait Ségolène, sont assez clairs pour que l'on puisse peser l'importance décisive d'un tel individu, et de sa malfaisance. Selon tous, il faisait « bouger les choses ». C'est tout dire. En lui se conjuguaient les deux facteurs décisifs du Nouvel ordre : le libéralisme mondialiste, « l'ancrage à l'international », comme on dit en langage technocratique, et le « métissage ». Autrement dit, les valeurs de la droite marchande, et celles de la gauche « culturelle » et bobo.
L'ancien ministre des affaires étrangère des USA, Condoleezza Rice, ne s'y trompa pas : elle choisit Science Po pour s'y exprimer, quand elle vint à Paris. Une forme d'adoubement, si l'on veut. D'ailleurs, le directeur de l'école ne fut-il pas, en 2009, lauréat du prix de la « Carpette d'or », médaille si convoitée dans notre pays, et qui récompense celles et ceux qui ont particulièrement contribué au remplacement de notre langue par l'anglo-américain ? Il était juste qu'il fût pour cela confirmé dans son rôle illustre, et stipendié en conséquence. Car l'on sait aussi que ses émoluements, 25 000 euros mensuels, plus les primes, dès lors qu'il faisait ses preuves, furent l'objet d'un scandale. Mais dans le royaume du libéralisme avancé, on eut vite fait de rétorquer que l'argent est un tabou bien français, qu'il faut abandonner, comme toute cette quicaillerie archaïque que sont l'excellence, la culture générale, la sélection des élites, notre langue nationale, et toute cette arrogance bien de chez nous qui nous porte à aimer encore ce que nous sommes.
Heureusement, avec un tel homme, le « progrès » ne pouvait que s'accélérer. On lui confia des missions, par exemple, de « vendre » la nouvelle réforme des lycées, par un jeu tout pipé de concertation, qui n'était qu'une habile opération de com. Avec Descoings, l'Ecole « light » à l'américaine faisait son chemin.
Mais son grand titre de gloire, aux yeux de l'oligarchie, fut de faire entrer des « jeunes » des zones d'éducation prioritaire, issue des banlieues, dans la prestigieuse boîte qu'il dirige. Pourquoi de banlieue, et non des zones rurales, où les écoliers « de souche » connaissent les difficultés de l'enclavement culturel, les obstacles dus à une pauvreté récurrente, le mépris des médias et d'une élite qui n'a d'yeux et d'intérêt que pour la « diversité » ? Allez savoir ! Toujours est-il que ces « jeunes » sont entrés par centaines, sans véritable sélection.
A priori, une telle stratégie paraît étrange. Comment des responsables politiques et administratifs, eux-même issus de Louis le Grand, d'Henri IV, de l'ENA, des Grandes Ecoles etc., peuvent-ils scier la branche sur laquelle ils ont assis leur pouvoir ? Redouteraient-ils la concurrence des nouveaux arrivants, au point de leur interdire toute compétence et excellence substantielles ? Car il est évident que ce recrutement ne saurait s'accompagner sans que le fond même de ce qui est transmis n'en soit nivelé vers le bas. On sait du reste que Descoings n'était pas le seul à oeuvrer dans ce sens car, de son côté, l'ambassade américaine s'évertue, depuis quelquers années, à alimenter des stages made in USA de postulants issus de l'immigration.
La destruction de la valeur et du sens même d'une institution scolaire qui fut, jadis, considérée comme la meilleure du monde, n'est pas sans avantage. En effet, humiliant du même coup ceux qui croient encore à la grandeur nationale en leur enlevant tout espoir de se raccrocher encore à quelque chose de tangible, démantelant par la même occasion une élite qui avait le mauvais goût de se sentir impliquée dans une histoire très ancienne, on empêche tout réflexe de sursaut qui viendrait d'en-haut. Le peuple étant conditionné, abreuvé de propagande et de sous-culture américanoïde, le basculement de notre civilisation dans un vaste espace transatlantique devenait un jeu d'enfant.
Certes, il ne faudrait pas s'exagérer la lucidité et les capacités critiques d'une intelligentsia qui a prouvé, depuis le putsch culturel de 68, qu'elle aussi pouvait subir la décadence et l'abêtissement. Notre « élite » politico-médiatique n'en est-elle pas issue ? Les étudiants de science po sont là pour illustrer ce qu'est la corruption intellectuelle et culturelle d'une jeunesse élevée dans un univers pavolovien de bisounours et d'arrasement critique. Hormis les grands boulevards du politiquement correct, on n'y connaît pas d'autre langage. Les interventions d'une multitude de « spécialistes », professeurs à Science Po, et hantant les plateaux télé, montrent bien à qui on a affaire : dans le meilleur des cas, à des idiots utiles, dans le pire, à des cyniques uniquement mus par l'intérêt.
Le problème donc que rencontre notre pays, au moment où sa simple existence semble compromise, est celui de son élite, qui l'a abandonné.
Et le lieu de cette mort, Nouillorque, qui rappelle d'autres turpitudes moins tragiques, n'est pas anodin. Tout un programme, pourrait-on dire.