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Mercredi, 11 Août 2004
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L’avenir de la Russie dépend de notre volonté
Alexandre Dugin
Théoriciens :: Douguine
Les politiciens en tant qu’hommes de spectacle et charlatans – Quel est le lien entre Dugin et Noukhaev ? – Eurasisme et atlantisme – Qui remplacera Koutchma ? – Il n’y a pas de communistes dans le KPRF – Comment faire revivre le Nord ? – Le manque de volonté de l’« élite » russe – Est-il possible de construire l’« Internationale eurasiste » ? – L’espace post-soviétique en tant qu’espace des catastrophes – Quand reviendront les scientifiques russes ? – Pax Eurasiatica dans le Caucase – Quelles perspectives pour Jirinovsky ?

Le leader du Mouvement Social-politique pan-russe « Eurasia », Alexandre Dugin, répond aux questions des lecteurs de SMI.RU.

Q : Alexandre Gelevich, je voudrais connaître vos prévisions concernant le futur proche. Existe-t-il même un avenir pour la Russie ? A propos, la position d’EURASIA au sujet d’un soutien radical au président Putin n’est pas claire pour beaucoup de nos citoyens patriotiquement orientés. Putin abandonne nos frontières, et il semble qu’il ne restera bientôt plus rien de la Russie. Où est la récompense pour votre soutien à Vladimir Vladimirevich [Putin] ? (Aleksey Kochetkov, Kamensk-Ural)

AGD : C’est une question complexe. Je pense que l’avenir de la Russie est maintenant mis en question. Nous avons reçu un coup très sévère de la part de la civilisation alternative, rivale. Et cela produira forcément des effets. Nous avons été le perdant de la « guerre froide ». Peu importe comment – par la force ou par la ruse, par la compétition économique ou le combat idéologique – nos adversaires l’ont emporté sur nous. Et bien sûr les plans des vainqueurs ne prévoient aucun avenir pour la Russie. Non que nous ayons été vaincus par un « peuple mauvais ». Les vainqueurs sont les vainqueurs, peu importe qu’ils soient bons ou mauvais. Dans de tels moments historiques de désespoir et de tristesse il y a toujours ceux qui choisissent le privilège de la collaboration, et ceux qui ne cèdent pas. Nous, EURASIA, appartenons à la dernière espèce. Nous comprenons que dans les plans des vainqueurs – et ce sont des plans sérieux – nous sommes privés de tout avenir. Mais nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir et même plus pour défendre cet avenir.

L’avenir de la Russie dépend de notre volonté, de notre détermination, de notre esprit. Ainsi je veux remarquer que les stratégies frontales – opposition, nostalgie, restauration – sur lesquelles beaucoup ont compté depuis la fin des années 80 ont finalement échoué. La gravité de la situation n’a jamais été reconnue dans toute son étendue. Nous avons gaspillé nos forces dans des chocs futiles et des querelles internes. Nous avons compris qu’il est nécessaire de prendre une voie différente. Les actuelles autorités russes se trouvent dans un statut d’otages – otages de la politique étrangère et intérieure. Devant le peuple et l’histoire ils sont obligés de combattre pour l’avenir russe, mais c’est justement ce que les vainqueurs – les Etats-Unis, les mondialistes – tenteront d’empêcher à tout prix. C’est la tragédie des autorités, la tragédie personnelle du président Putin. Ni la condition de notre société, ni les qualités subjectives du président ne sont celles qui sont requises pour commencer aujourd’hui une révolte contre le vainqueur, la sortie vers une nouvelle trajectoire historique. Pour ce but il n’existe de ressources ni matérielles, ni spirituelles. Par conséquent c’est un chemin très difficile que nous devrons suivre.

Le président doit être aidé, il doit être soutenu dans ces directions qui sont orientées vers la renaissance de la Russie. La politique étrangère russe ne peut pas réussir dans les circonstances présentes. Pouvez-vous comprendre ce que font les vainqueurs lorsqu’ils prennent une ville ? Peut-être se rassemblent-ils poliment autour des vaincus et distribuent une aide humanitaire ? Non. Ils pillent, tuent et violent. C’est la loi de la guerre. Rappelez-vous le psaume : « Sur les rivières de Babylone » … « Bénis soient ceux qui écraseront tes bébés sur un rocher … ». Cruel, n’est-ce pas ? Mais telle est la guerre. Dans le psaume cela fait référence à une guerre spirituelle. Dans la vie matérielle les images sont transformées en chair sanglante. Et qu’est-ce qui vous fait croire que la « guerre froide » est finie ? Ce qui se passe dans la politique internationale est l’holocauste de la Russie, le démembrement de notre corps stratégique et géopolitique, et cela continuera et ne s’arrêtera jamais avant que les « anneaux de l’anaconda » se soient resserrés autour de Moscou. L’Occident, les Etats-Unis agissent selon la logique du « vae victis ». Et ils ont raison de leur point de vue. C’est leur géopolitique, leur impératif. Mais on ne peut pas blâmer pour cette situation celui qui est parvenu au sommet de la puissance dans une période aussi dure.

Q : Pourquoi les eurasistes n’ont-ils pas encore de mass média régulier, même sur l’Internet ? Pourquoi l’un des meilleurs projets intellectuels des années 90, la revue « Elementy », est-il mort ? Comment peut-on participer aux activités de votre organisation, si l’on vit en-dehors de la Russie ? (Valentin Smilga, Boston)

AGD : Nous publions le journal « Revue Eurasiste », nous prévoyons de republier « Elementy », un jour prochain nous allons ouvrir un portail analytique quotidien (geopolitika.ru). Il est possible de participer aux activités d’EURASIA à partir de n’importe quel point du monde. L’Internet permet de coordonner n’importe quelle activité. Nous avons beaucoup de matériels dans des langues étrangères (particulièrement en anglais : http://eurasia.com.ru/english.html), les affiliés à EURASIA s’organisent dans divers pays. Il y en a en Angleterre, en Italie, en Autriche, en Espagne, en Israël, au Pakistan, en Australie. Il est possible d’apporter une aide financière et technique (traductions en d’autres langues, conception de livres, de magazines, de sites, relations publiques pour soutenir nos projets, matériels pour le journal, organisation d’interviews dans les médias, etc.). Nous attendons vos propositions.

Q : Il y a quelques jours au Baltschug Hotel à Moscou la Fondation Konrad Adenauer a donné une réception privée, à laquelle étaient aussi invités Brzeszinski and Kohl. Devant l’audience (et dans les couloirs) ils ont parlé ouvertement de la stratégie adoptée par Washington, de la pleine subordination de la Russie aux préoccupations américaines, concluant qu’il n’existait pas d’autre issue pour le Kremlin. Comme le secrétaire de presse Sergueï Ivanov tentait de faire une objection, Brzeszinski, un connaisseur de la psychologie russe, rétorqua sur-le-champ : quoi donc, allez-vous aller contre la volonté du suprême commandant en chef ? Et Ivanov s’arrêta soudain. Aucune objection particulière ne fut soulevée par quelqu’un d’autre, nous étions « matés » – les invités acquiesçaient en inclinant la tête. Le manque de volonté, la nature molle et servile de notre « élite » sont frappantes … Et tout cela au moment où le monde se dirige clairement vers la guerre. A votre avis, un appel massif à la force de patriotes capables est-il possible sous l’actuel président ? (Nikolai Volkov, Moscou)

AGD : Ce que vous décrivez est très naturel. Il est naïf de s’attendre à une attitude différente envers le camp vaincu. Toute objection dans une telle situation est complètement insensée. L’autorité du pays vaincu, par définition, ne peut pas avoir de « partisans ». En ce moment il n’y a pas de force au monde qui pourrait être capable de jeter un défi sérieux aux vainqueurs, aux bâtisseurs du « Nouvel Ordre Mondial ». Pour provoquer une révolte dans un camp de concentration – c’est ce que le monde entier est maintenant devenu, sous le dur talon du mondialisme américano-centré – on doit penser à un plan dans les détails, établir un système de communications, trouver des points de convergence entre les différents groupes de détenus, parmi lesquels il y a aussi une quantité de contradictions. Et vous parlez d’« objections », de « servilité » !?

Nous vivons de mythes, cette monstrueuse réalité qui nous est tombée dessus n’est même pas approximativement reconnue. Brzeszinski n’est pas simplement un vieux Polonais russophobe, c’est un des leaders des forces d’occupation, leur idéologue. Faire des « objections » à de telles gens est inutile, et le « patriotisme » ne se réduit pas à des objections. Tout est beaucoup plus sérieux. Grâce à Dieu, cette situation commence progressivement à être reconnue. Grâce à Dieu, le malaise s’accroît. Vous voyez, il n’y a pas longtemps les citoyens russes applaudissaient joyeusement chaque crachat, chaque coup reçu par l’Occident. « Un appel massif à la force de patriotes capables » – cette formule n’est pas très claire pour moi. Même maintenant il y a des patriotes. Un autre problème est qu’ils n’ont pas de fondations, de stratégie et de philosophie solides. A ce propos, c’est exactement le problème aussi avec ces patriotes qui se trouvent pour le moment en-dehors de l’autorité. Et cette désorientation naturelle des patriotes est encouragée et aggravée par l’activité des provocateurs …

D’autre part, toute agitation patriotique en Russie, même si sa dimension est faible, est immédiatement bloquée par les Etats-Unis. On nous a confisqué le droit à l’« agitation », au patriotisme infondé et gênant. Les troupes américaines sont dans la CEI, regardant méchamment vers l’espace de la Fédération Russe. Tout est beaucoup plus sérieux. Ainsi ni ouvertement ni secrètement, ni dans les structures de pouvoir, ni dans l’opinion publique, nous ne sommes prêts à une confrontation dure.

Q : Que peut faire votre « mouvement » pour recouvrer les possessions maritimes de la Russie ? Parmi elles, les mers de Grumant (Spitzberg), de Béring, d’Okhotsk, de Barents. (Diev, Omsk)

AGD : Aujourd’hui en Russie il est impossible de résoudre directement toute question liée au renforcement de notre puissance – spatiale, stratégique, maritime ou terrestre. Le mouvement EURASIA, qui est actuellement en train de devenir le parti EURASIA, pense qu’il est nécessaire de partir du point principal – de la formulation explicite d’une Idée Nationale, d’une idée eurasiste, capable de consolider la société – l’élite et les masses – autour d’un mouvement uni, vivant, politique, vers la renaissance de notre puissance. Aujourd’hui ce ne sont pas seulement les mers du Nord qui sont en question, aujourd’hui l’existence même de la Russie souveraine est en question.

Nous faisons les plus grands efforts pour inverser ce processus de dissolution. Concrètement : nous sommes convaincus que rien ne peut être fait sans une claire stratégie eurasiste de politique intérieure et étrangère pour la Russie dans le monde nouveau. Les conditions externes nous sont extrêmement défavorables. Nous avons pleinement élaboré cette stratégie, elle est résumée dans nos matériels programmatiques (voir par exemple « La vision eurasiste »). Nos idées ont déjà gagné des appuis considérables dans d’importants secteurs de l’Etat. La diffusion de plus en plus large des idées a lieu pas à pas. Le parti EURASIA lui-même est appelé à se transformer en instrument pour la réalisation des idées patriotiques eurasistes. Les gens avec lesquels nous travaillons occupent parfois des postes stratégiques importants dans la structure politique de la Russie. Mais même les patriotes convaincus – souhaitant sincèrement récupérer les mers, les forêts et les rivières, en même temps que notre esprit, notre dignité, notre gloire et notre grandeur – n’arriveront à rien s’ils ne veulent pas s’unir, s’ils ne veulent pas agir en harmonie, s’ils ne veulent pas être armés d’une idéologie claire et concrète. Aujourd’hui il n’y a simplement pas de place pour les solutions faciles. Seul le modèle élastique et multi-faces de l’eurasisme est capable de donner à la Russie une chance de renaissance. Dans cette direction aussi nous devons travailler. Pour les mers russes …

Q : Quel sens cela a-t-il de créer un parti qui, selon vos paroles, ne participera pas activement au processus électoral ? Prévoyez-vous de prendre part aux élections pour la Douma, et si oui, dans un bloc avec quelles forces ? Qu’est-ce qui vous relie, vous, patriote de Russie, à Mr. Noukhaev, sponsor des gangsters tchétchènes ? Après le net virage pro-occidental de la politique présidentielle, votre activité – si l’on en croit les médias – est devenue proche de zéro. Demeurez-vous toujours un supporter de Putin, ou pensez-vous qu’il ne répondra pas à vos attentes géopolitiques ? Quelles qualités sont-elles nécessaires, à votre avis, pour une politique réussie au niveau fédéral ? Et pensez-vous posséder ces qualités ? (Anton, étudiant au MGIMO [Institut d’Etat de Moscou pour les Relations Internationales], Moscou)

AGD : La question de transformer le Mouvement EURASIA en parti EURASIA signifie déjà certains changements dans nos plans. Le processus de construction politique dans le cadre du Mouvement EURASIA a prouvé que le mouvement a des traits de masse et qu’il répond à un besoin réel. Pour parler honnêtement, sa dimension – particulièrement au niveau régional – est allée bien au-delà de nos attentes. De plus, nous sommes suffisamment déçus par les partis fédéraux. Par conséquent nous avons pris la décision de participer activement au processus électoral. Mais la forme de cette implication n’a pas encore été définitivement décidée. Je n’exclus pas une coalition avec d’autres forces centristes patriotiques. Les questions concrètes seront claires dans l’année, alors que le parti doit être déclaré officiellement, c’est une question complexe. Après sa déclaration, le paysage politique changera quelque peu. Ensuite des perspectives plus concrètes de coalitions et d’alliances seront visibles.

Nous sommes liés à Noukhaev par l’approche eurasiste concernant la solution du problème caucasien. Nous sommes convaincus que le problème tchétchène ne doit pas être résolu seulement par la force, mais aussi par une solution politique. Cette solution politique, d’une perspective purement théorique, peut être soit le nivellement complet des traits nationaux tchétchènes (c’est-à-dire un génocide direct), soit la séparation politique de la Tchétchénie (sur une base démocratique ou islamique-fondamentaliste), soit le projet eurasiste – qui suppose le rejet d’un Etat autonome par les Tchétchènes, en même temps que la préservation d’une autonomie ethno-culturelle brillamment exprimée fondée sur les valeurs de l’islam traditionnel et de la géopolitique eurasiste.

De notre point de vue, les deux premières solutions sont inacceptables. Il y a une troisième solution. Penchent pour cette solution, du coté russe, à la fois nous (EURASIA), et nos adhérents dans les structures d’autorité ; du coté tchétchène, pour cette troisième solution penchent Kadyrov (Tchétchénie du Nord) et Noukhaev (Tchétchénie du Sud). Il est donc absolument naturel que ayons un dialogue politique et idéologique actif avec eux. Dans le livre « Vedeno ou Washington ? », Noukhaev proposait un concept harmonique d’évolution eurasiste dans la région caucasienne. Nous ne connaissons rien de plus raisonnable et de plus réaliste (et en même temps idéaliste, au sens positif du mot) en Tchétchénie du Sud. Cela définit notre dialogue. C’est logique : les milieux russes pro-wahabites maintiennent des relations avec Khattab, avec le SPS [Soyuz Pravih Silyh; Union des Forces de Droite], avec l’atlantiste Maskhadov, les faucons du Ministère de la Défense penchent pour la première solution, alors que les eurasistes défendent le projet eurasiste. [voir le discours de H.A. Noukhaev, lors de la Conférence « Menace islamique ou menace envers l’Islam ? » et « Notre avenir dans notre passé lointain »]

Quant à notre activité, au contraire, elle s’accroît régulièrement. De nos jours la confusion est dominante dans les médias russes. Il se passe ici un processus tourmenté de changement de paradigme. Ils n’ont pas encore compris ce qui est politiquement correct et ce qui ne l’est pas. Je peux imaginer que beaucoup se sentent rassurés, supposant à tort que la claire position patriotique des eurasistes dévie quelque peu de la ligne officielle en politique étrangère. Presque chaque jour je donne des interviews, je participe assez souvent à l’enregistrement de programmes de télévision, mais de cette masse seuls de misérables fragments sont publiés. Ce n’est pas de la censure au vrai sens du mot, c’est la crainte de l’eurasisme comme prétendant sérieux au rôle d’idéologie nationale. Et il est aussi difficile de passer de la célébration stupide de l’Occident à la diffusion d’une information patriotique. Ainsi il arrive que dans les médias russes le pourcentage de patriotes soit inversement proportionnel au pourcentage parmi nos garçons combattant en Tchétchénie. Les avancées tactiques du Président en politique étrangère sont présentées par les médias comme la stratégie finale, non sujette à révision. Ils voudraient simplement considérer l’Occident comme quelque chose de bon. Mais cela n’arrivera pas, cela contredit les lois fondamentales de la géopolitique. Dès qu’il deviendra impossible de ne pas voir la véritable attitude des Etats-Unis envers la Russie, les thèmes eurasistes dans les médias deviendront extrêmement réels. C’est inévitable.

Nous restons des supporters de Putin. Nous considérons certainement que la politique étrangère après le 11 septembre aurait pu être plus adéquate, et nous sommes convaincus que la mode pro-occidentale dans notre société et dans notre élite politique est encore forte. Cela peut être déplaisant, mais une fois de plus je veux dire que les coups tactiques du Kremlin ne peuvent pas être considérés comme un rejet de la géopolitique eurasiste en tant que telle. C’est bien plus l’agonie dans les relations publiques de ces forces politiques pour lesquelles il n’y aura pas de place dans la nouvelle Russie eurasiste.

Je pense que la politique est la continuation de l’esprit. Si l’esprit est malsain, la politique aussi est malsaine, si l’esprit est pur, la politique aussi est pure. Nous avons une fausse image du politicien en tant qu’homme de spectacle, charlatan ou bureaucrate. En Russie il y a un gouffre entre la politique et les idées ; nos politiciens changent de philosophie comme on change de vêtements. C’est historiquement compréhensible, mais une telle approche est condamnée. Nous avons besoin d’une politique d’idées et des politiciens adéquats. Je suis sûr qu’une nouvelle sorte de gens doit entrer sur la scène politique. Ce n’est pas simple et il y a une énorme résistance due à l’inertie. C’est aussi une question de savoir-faire. J’ai donné un cours de « Philosophie de la politique », étant familiarisé avec le savoir-faire de ce processus. A vrai dire, je m’occupe de politique sous une forme ou sous une autre depuis le début des années 80 … c’est-à-dire que je suis l’un des plus anciens politiciens russes … Cependant c’est seulement maintenant que j’ai décidé de prendre une responsabilité personnelle. Je supposais auparavant que mon rôle se limitait à générer des idées politiques. Mais, comme on l’a vu, déjà dès la première étape ces idées ont été déformées jusqu’à être méconnaissables. Une expérience de vingt années dans la politique russe m’a finalement conduit à apparaître dans le rôle d’un leader avec l’appui de nombreux collaborateurs et de nombreux partisans convaincus qui m’ont donné leur confiance. Et il y en a environ un millier …

Q : Mr. Dugin, vous avez précédemment exprimé un certain enthousiasme pour l’orientation « eurasienne » du Kremlin du président Putin. Mais Moscou a été de plus en plus pro-occidental et pro-américain dernièrement. Comment expliquez-vous ce glissement ? Voyez-vous toujours le président Putin comme quelqu’un qui peut-être influencé par la pensée eurasiste ? Merci. (Wayne Allensworth, Fort Worth, Texas, US)

AGD : J’ai déjà répondu à cette question dans les observations précédentes. Je noterai seulement qu’entre les orientations politiques pro-américaine et pro-européenne il y a une différence essentielle. Une politique pro-européenne fait partie de la stratégie géopolitique eurasiste. L’Union Européenne a une culture commune avec les Etats-Unis, mais des préoccupations différentes. L’Europe a une culture différente (parfois antagoniste) vis-à-vis de la Russie mais des préoccupations similaires (particulièrement dans le secteur de l’énergie). L’union stratégique de la Russie avec l’Europe est importante à la fois pour l’Europe et la Russie, mais est inacceptable pour les Etats-Unis. Cette image composite définit le cadre de la stratégie géopolitique de Moscou. La pensée eurasiste est l’avenir de la Russie. D’après un sondage effectué par le VCIOM – que je cite souvent – 73 % des Russes considèrent la Russie comme une civilisation eurasienne-orthodoxe autonome. Putin est le président du peuple. Il ne peut pas ignorer un tel choix des Russes. Il doit assumer un lourd héritage, des cadres mal adaptés à l’exécution de la mission historique qui lui a été assignée. Mais tout cela peut être surmonté. Le président de la Russie-Eurasie ne peut être qu’eurasiste. C’est un postulat géopolitique. Mais, étant donné la difficile situation externe, nous devons difficilement nous attendre à une déclaration formelle. Et cela est également correct d’un point de vue tactique.

Q : Comment évaluez-vous l’inquiétude du gouvernement russe concernant l’évolution politique de la Géorgie ? (Beso, Tbilissi)

AGD : L’espace post-soviétique est l’espace des catastrophes. D’un point de vue géopolitique, ici tout est clair : l’affaiblissement du pôle stratégique eurasien – l’eurasisme – signifie automatiquement le renforcement de l’anneau (l’« anneau de l’anaconda ») stratégique atlantiste (américain). L’expansion de l’OTAN vers l’est, l’introduction de contingents américains dans les pays de la CEI – toutes sont des étapes d’une stratégie uniforme. Une stratégie dirigée contre la Russie-Eurasie. Ce n’est un secret pour personne. Et la Russie n’a pas de réponse directe. Comment ne pas se sentir inquiet concernant les prochains mouvements de ce python au sang froid ? Pourtant on ne peut pas mettre tout le blâme sur le seul Chevardnadze. Il a contribué à la victoire de l’atlantisme antérieurement aussi, en désorganisant l’URSS. Il continue à faire cela aujourd’hui. L’orientation politique de Chevardnadze n’a pas beaucoup changé depuis l’époque de la perestroïka. Ainsi le problème n’est pas nouveau. C’est une bonne chose qu’une telle inquiétude existe aujourd’hui.

Q : Désolé de devoir parler en anglais. Que pensez-vous de la possibilité pour les Slaves et les Turcs de former une Alliance Eurasienne, et de préserver leurs cultures largement identiques et leur existence contre des menaces comme la Chine ? Dans ce sens, quel peut être l’intérêt du soutien russe à l’Arménie dans sa guerre contre l’Azerbaïdjan ? Plus précisément, donnez-vous une chance à une alliance russo-azerbaïdjanaise ? Pensez-vous qu’elle soit structurellement impossible face à la présence géopolitique de la Turquie ? Et est-il possible au moins de tracer une ligne rouge entre la Russie et l’Azerbaïdjan et de créer une sorte d’« alliance contrôlée » ? La Russie aurait beaucoup à gagner de la part d’une superpuissance du Caucase, et en retour l’Azerbaïdjan est prêt à faire de son mieux si la Russie s’abstient de soutenir l’Arménie dans sa guerre contre l’Azerbaïdjan. Merci. (Elnur, Bakou)

AGD : La symbiose slave-turque est la base de l’ethnogenèse des Grand-Russiens, base de l’Etat russe. Ce n’est pas seulement un projet, un projet étroitement défensif, comme vous semblez la considérer, mais l’axe géopolitique de l’eurasisme dans le passé, le présent et le futur. Le rôle géopolitique de la Chine dans ce contexte est à plusieurs faces. Du point de vue de la complémentarité géopolitique, à long terme la Russie n’a pas suffisamment d’intérêts géopolitiques en commun avec la Chine. Du point de vue démographique, l’expansion ethnique des Chinois en Sibérie est un danger très réel et fâcheux. La géopolitique eurasiste, dans laquelle, bien sûr, l’axe slavo-turc est dominant, offre à la Chine une alternative positive d’expansion vers le Sud et se garde contre toute avancée de la Chine vers le Nord. Exactement comme dans le cas de la Turquie. Nous avons intérêt à ce que la Turquie tourne son attention vers le Sud, et abandonne à nos soins les terres se trouvant au nord de ses frontières. Dans les cas de la Chine et de la Turquie nous ne pouvons pas parler d’une inclusion directe dans le projet eurasiste, mais pour ces puissances régionales aussi nous avons un scénario positif. Par conséquent au niveau régional nous ne devons pas conclure d’alliance absolue contre un pays quelconque …

La question du soutien russe à l’Arménie. Il est conditionné par le fait que l’Azerbaïdjan maintient une position plutôt pro-turque dans les problèmes régionaux, et que l’Arménie, au contraire, tente de toutes les manières possibles de développer et de renforcer l’alliance russo-iranienne. La Turquie a complaisamment suivi la ligne de la stratégie américaine, dirigée contre nos intérêts dans le Caucase.

La position russe dans la question du Karabakh est basée sur des principes pan-eurasiens : nous avons intérêt à un statut du Karabakh qui renforcerait les positions russes dans le Caucase et encouragerait harmoniquement un solide axe russo-iranien. L’Azerbaïdjan et l’Arménie ont tous deux une fonction positive dans le projet eurasiste. Dans ce sens, le Karabakh pourrait être un exemple de la réalisation du projet des « régions eurasiennes », par analogie avec les « euro-régions » qui sont activement développées dans le cadre de l’Union Européenne. L’idée eurasiste consiste à abandonner le concept obsolète d’Etat-nation. L’eurasisme est orienté vers la transformation des principaux espaces de l’Eurasie en de nouveaux systèmes géopolitiques, où il n’y aura pas d’Etats-nations comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Russie. Nous devons devenir les sujets-peuples dans le cadre de l’Union Eurasienne – avec un centre de contrôle stratégique uniforme et avec un système d’autonomies multi-niveaux. Pour une discussion plus détaillée, voir « La vision eurasiste ».

J’imagine que notre tâche consiste à la réalisation de la Pax Eurasiatica dans le Caucase. Cela signifie que notre tâche n’est pas de soutenir quelqu’un (l’Azerbaïdjan ou l’Arménie) dans une guerre, mais d’établir la paix sous notre garantie eurasienne. Cela signifie en pratique que nous devons exclure les Etats-Unis du processus de négociation, et faire du Karabakh une question de litige entre l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Russie, l’Iran et la Turquie. C’est d’une importance vraiment vitale pour nous. Et nous pouvons trouver un accord.

Je soutiens de tout cœur une alliance russo-azérie sur une base eurasiste, et je suis convaincu qu’il y a une perspective favorable pour cela dans le futur. Mais ce n’est pas seulement une question de relations bilatérales russo-azéries. C’est la question de la complète restructuration de toute la massive Géopolitique du Caucase, d’une nouvelle stratégie dans cette région, de nouveaux principes juridiques et de vision du monde. Nous (EURASIA, qui entre-temps devrait être devenu un vrai parti) organiserons en juin sous la direction du YuFO [District Fédéral du Sud] une conférence sur « La Géopolitique du Caucase ». Ici tous ces problèmes seront abordés et analysés d’une manière compréhensible. Je suis sûr que la réunion sera enrichie par la présence d’experts et de géopoliticiens des républiques caucasiennes.

Q : Quel est le rôle géopolitique de Leonid Koutchma ? Et qui peut le remplacer comme président de l’Ukraine ? (Igor, Donetsk)

AGD : Je pense que Koutchma n’a pas de rôle géopolitique particulier. Il n’est qu’une figure temporaire. Je suis convaincu que le successeur de Koutchma devrait être un politicien de ferme attitude eurasiste, qui doit comprendre que la conservation de l’Ukraine en tant que formation géopolitique et culturelle souveraine est possible seulement au moyen d’un soigneux équilibre entre le principe de l’originalité malorusse [ = ukrainienne] et l’intégration stratégique et économique impérative dans le bloc eurasien. Ni une politique ouvertement pro-Moscou (pro-russe), ni une politique autonomiste extrémiste, ni, bien sûr, un atlantisme radical ne garantiront à l’Ukraine non seulement l’harmonie, mais même la préservation de son intégrité territoriale. Seul un équilibre soigneusement proportionné entre souveraineté et intégration sur une nouvelle base donnera des résultats positifs et sauvera le pays. Je pense que beaucoup dépend aujourd’hui des élections ukrainiennes – pas seulement sa propre destinée, mais dans une large mesure la destinée de tout le continent.

Q : Quand la Russie se résignera-t-elle à la perte de la Pribaltika [les républiques baltes] ? (Valdis Berzinsh, Riga)

AGD : La Russie est en train de perdre tout le reste, pas seulement la Pribaltika. Donc pour le temps présent nos priorités ne sont pas en Pribaltika. En un sens, on pourrait dire que cette dernière est une question en suspens dans une perspective à court terme. Alors que dans une perspective à long terme la Russie ne se résignera jamais à cela. La construction eurasienne suppose un nouveau statut pour la Pribaltika – soit amicale envers Moscou, soit neutre. La Russie ne trouvera jamais une compréhension mutuelle avec une Pribaltika atlantiste.

Q : Cher Alexandre Dugin ! Quelle devrait être à votre avis la politique de la Russie concernant l’Ukraine, pour contrer la politique US formulée dans le dénommé « plan Brzeszinski » ? Pouvez-vous s’il vous plaît commenter le développement de la situation politique en Crimée (tension générale de la situation, annulation de la candidature de Leonid Grach comme député à la Rada Suprême [Parlement] de Crimée, etc.) ? Que pensez-vous que la Russie pourrait faire dans une telle situation ? (Rodion Mikhailov, Moscou)

AGD : Il est nécessaire de trouver pour l’Ukraine une place éminente dans le Projet Eurasien. Je ne pense pas qu’une attitude franchement pro-Moscou puisse devenir le principal levier de rapprochement, non moins qu’un chantage économique et énergétique de la part de la Russie. J’imagine que l’Ukraine devrait mûrir une politique eurasiste rigoureuse et équilibrée, où les préoccupations stratégiques, culturelles, ethniques, linguistiques, régionales et économiques de tous les Ukrainiens devraient être adéquatement pris en compte. En Crimée la situation est très tendue, car personne ne peut imaginer un paradigme général de vision politique pour l’Ukraine elle-même ; et la Crimée est l’endroit le plus vulnérable. Grach, à mon avis, est le meilleur candidat, loyal envers Kiev et ayant de bons contacts à Moscou, ce qui est aussi un facteur important pour la population russe. La Crimée – où, à propos, le mouvement EURASIA est officiellement déclaré – devrait devenir un pont entre la Russie et l’Ukraine, un laboratoire créatif de l’eurasisme en action. Les milieux atlantistes et nationalistes en Ukraine n’aiment pas cela. De là aussi viennent tous les problèmes. La Russie et l’Ukraine doivent conjointement élaborer les fondations d’une stratégie eurasiste commune, et dans une perspective à long terme, au lieu d’une perspective temporaire, tactique. Dans l’ensemble la solution à ce problème sera le passage à un nouveau langage dans nos relations – le transfert des problèmes dans le contexte du système d’opération eurasiste. Alors il n’y aura pas de problèmes non résolus.

Q : Alexandre Gelevich, alors que le mouvement que vous dirigez, EURASIA, doit se déclarer en tant que parti politique (d’après la résolution prise lors de la récente session élargie du Conseil Politique et Central), j’aimerais soulever la question des gens que vous recrutez dans le parti. A la racine d’EURASIA se trouve une idéologie finement élaborée ; mais aujourd’hui, à mon avis, notre société est extrêmement dépolitisée, les gens sont fatigués des élections à n’en plus finir dans les différents organes de pouvoir, et un parti de plus ne sera une surprise pour personne. Les gens pourraient choisir de travailler pour un parti sur une base matérielle concrète, alors que le coefficient d’efficacité de la « chaudière idéologique », autant qu’on puisse en être sûr, est proche de zéro. Où vous tournerez-vous pour séduire les gens ? (Sergei Budimorov, Ekaterinburg)

AGD : Nous sommes maintenant face à une tâche très sérieuse : la traduction des clauses fondatrices de l’eurasisme, d’une langue philosophique et idéologique, vers le russe, intelligible et compréhensible par tout le monde. Ce n’est pas si facile, mais nous sommes en train d’y travailler. Nous nous transformerons en une nouvelle sorte de parti. Certainement, nous aurons aussi des coordinateurs, des dirigeants, indispensables pour toute structure de parti, mais nous plaçons le poids principal sur les gens convaincus, sur la « passionnarité » [le concept de L. Gumiliev, NDT.]. C’est d’eux, c’est de l’idée, de la nouvelle énergie vitale que tout doit partir. Je nie catégoriquement que le coefficient d’efficacité de la « chaudière idéologique » soit proche de zéro. Cela peut seulement signifier que vous parlez de « pseudo-idéologies ».

Le parti doit devenir un véritable organisme, à l’intérieur duquel les hommes d’affaires et les officiels, les travailleurs et les intellectuels trouveront tous leur utilité, leur intérêt et leur convenance. Les hommes d’affaires eurasistes patriotiquement orientés doivent reconnaître leur intérêt organique dans l’eurasisme. Ils doivent être l’appui structurel du parti, son squelette même. L’alliance entre les hommes d’affaires, l’intelligentsia et les ressources administratives créera (et crée déjà) le pôle de croissance du parti EURASIA. A partir d’eux, l’irradiation atteindra la masse, les collectifs, les larges couches sociales. Et toujours pour nous l’élément le plus valable et le plus important est l’idée. Le savoir-faire pour diriger un parti est connu. Mais nous ne voulons pas séduire artificiellement les gens. Nous devons expliquer, démontrer, convaincre, montrer les perspectives … donner aux gens des espoirs et des faits, leur rappeler leur dignité nationale, civile et humaine. Nous voulons réveiller la Russie … Ce n’est pas la même chose que « séduire ». Dans notre cas c’est le parti pour le peuple et le pays, pas le peuple et le pays pour le parti.

Q : Alexandre Gelevich, quand prendrons-nous enfin le pouvoir ? (Maxim Karpalov)

AGD : Nous vous informerons de la date concrète, restez à l’écoute.

Q : Quelle est l’attitude eurasiste envers la Pologne ? (Peter, Cracovie)

AGD : C’est la prudence. La Pologne a traditionnellement assumé une fonction géopolitique de « cordon sanitaire » faceà la Russie, c’est-à-dire que son rôle dans le « grand jeu » est de séparer et de semer la discorde entre la Russie et l’Allemagne précédemment, entre la Russie et l’Union Européenne aujourd’hui. Comme l’a dit Toynbee, la civilisation polono-lituanienne s’est révélée avortée, et, hélas, ce sentiment de ressentiment est indélébile dans la psychologie nationale des Polonais. Je pense que la Pologne doit se dépasser, chercher une nouvelle auto-identification au-delà de celle de « cordon sanitaire » et d’« avant-poste du catholicisme ». Un projet eurasiste existe pour la Pologne, mais il est si bizarre que je le révélerai plutôt au moment opportun …

Q : Cher Alexandre ! Quelle est la perspective d’existence pour le parti de Jirinovsky sur la carte politique de la Fédération Russe ? Il me semble que ses clowneries associées à du pseudo-nationalisme russe ne sont prises au sérieux par personne sauf par les marginaux. (Ben, Boston)

AGD : Jirinovski est un grand politicien de l’époque Eltsine. En ce temps-là, il était opportun, tranchant, idiot, malpoli et cynique, transformant les choses sérieuses, au sujet desquelles les parties « alignés » étaient timidement silencieux, en plaisanteries ; il jouait le rôle du « trickster » des anciennes mythologies. Un trickster est une figure ambivalente, comme Loki pour les anciens Germains. Il introduit des idées correctes, mais dans des proportions fausses, il dit la vérité, mais ensuite il la couvre de ridicule, comme s’il jouait dans une bande dessinée grotesque. Son temps est passé. Je pense qu’il était le plus brillant, le plus gai et le plus corrupteur parmi les politiciens russes de la période passée. Aucun humoriste n’était plus ridicule que lui. Il avait du talent, indubitablement. Mais son époque est passée. Il est comme un mausolée ou un symbole de notre passé récent et déplaisant (comme les « pyramides financières »). Personne ne le prend réellement au sérieux, sauf les marginaux. Et sa fonction d’assurer aux autorités l’appui des « nationalistes » et de la « racaille » est terminée aussi. Laissez-le en paix …

Q : Depuis 1989 (après la désignation de Boris Nikolaievich Eltsine) il y a eu une partition systématique de l’URSS, de la Russie, de la Yougoslavie (voir S. Sulashkin, « Trahison », 1998). Comment votre mouvement participe-t-il à ce processus ? (Diev, Omsk)

AGD : Notre mouvement et moi-même, nous nous sommes opposés de toutes nos forces à ce processus depuis 1989, jusqu’aux plus extrêmes formes de résistance et de protestation – ce qui, hélas, n’a pas influencé notre réputation de la meilleure manière jusqu’à maintenant. Les eurasistes ont été des opposants radicaux à la partition de l’URSS, insistant pour que l’URSS évolue doucement vers un modèle social et politique différent avec des valeurs nationales et spirituelles conservatrices-traditionnelles, une économie efficace et des garanties sociales. Cependant, nous considérons qu’avec l’arrivée de Putin au pouvoir le temps de l’opposition dure et de la confrontation directe avec l’autorité est passé, ayant épuisé son potentiel. Aujourd’hui nous devons aider le président à sauver ce qui reste et à regagner ce qui est perdu. C’est une tâche très difficile, et à la différence de la dissidence irréfléchie elle demande une habileté constructive et créative. Notre mouvement est très sérieusement engagé pour faire revivre notre grandeur géopolitique.

En Yougoslavie je suis allé sur le front, mes livres et mes textes sont traduits et publiés là-bas. Les eurasistes ont toujours été solidaires avec les frères serbes, en paroles et en actions.

Q : Cher Alexandre Gelevich, dans votre discours à la Conférence Politique du Mouvement EURASIA, vous mentionnez que « le parti EURASIA est officiellement enregistré en Lettonie ». Je serais très reconnaissant si vous pouviez donner plus d’informations sur ce sujet (si possible, les liens et les coordonnées) ; je voudrais aussi avoir quelques commentaires sur la vision du mouvement en Pribaltika. (Vitaly, Riga)

AGD : Le parti EURASIA est officiellement enregistré en Lettonie. Les détails seront bientôt publiés sur notre site web. (http://eurasia.com.ru/)

Q : Cher Alexandre Gelevich ! Mon nom est Sergueï, il y a deux ans j’ai embrassé l’Islam. Que pensez-vous de ces gens qui encouragent l’hostilité entre les religions ? Par exemple, Mr. Tadzhuddin, l’un de vos assistants dans le mouvement, a dit que Alexis II était un leader spirituel pour les musulmans aussi et lui a publiquement baisé la main, un acte dégradant pour nous. Cela ne sert pas à renforcer l’amitié et la compréhension mutuelle entre nous. Merci. (Sergueï, Samara)

AGD : Le Sheikh-ul-Islam Talgat Tadzhuddin, chef du Centre de Direction Spirituelle des Musulmans (CSMM), n’est pas « mon assistant », mais l’un des leaders légitimes du mouvement EURASIA. Etant investi d’une dignité spirituelle, il est très probablement en droit de décider ce que les musulmans doivent faire et dire ce qu’ils ne doivent pas faire. Je suis un croyant orthodoxe convaincu, et j’ai une attitude extrêmement négative envers celui qui trahit la religion des pères et qui court ensuite enseigner les principes spirituels d’une nouvelle croyance. La foi est un question de choix pour chacun, mais je ne fais pas confiance aux transfuges. Si un homme change de religion, je lui conseillerais de s’abstenir pendant quelques années au minimum, et peut-être des décennies, de critiquer la religion qu’il a trahie. Le CSMM et EURASIA font de leur mieux pour la compréhension mutuelle entre les représentants des religions traditionnelles. Seuls les extrémistes des deux camps peuvent affirmer le contraire. Pour eux il n’y a pas de place dans notre société. L’extrémisme (le wahabisme) ne passera pas !

Q : Participez-vous à la rédaction du texte du concept social de l’Eglise Orthodoxe russe ? (Youra, Moscou)

AGD : Hélas non, et il semble que cela ait eu un effet sur sa qualité, si vous voyez ce que je veux dire.

Q : Cher Alexandre Gelevich ! Considérez-vous le président de la Douma, N. Selezniev, comme un communiste ou plutôt comme un social-démocrate ? Qui, parmi les leaders actuels du KPRF [Parti Communiste de la Fédération Russe] considérez-vous comme le candidat le plus probable à la Présidence de la Fédération Russe en 2004 – Melnikov, Kuvaiev, Reshulsky, Ilyukin, Selezniev ? (Oleg Vorobev)

AGD : Je pense qu’il n’y a presque pas de communistes, au sens marxiste idéologique, dans le KPRF. Les principales thèses de la plate-forme du KPRF et les principales idées de Zyuganov m’ont été empruntées : c’est une simple version de gauche de l’eurasisme. Pendant quelque temps un tel plagiat a donné des effets positifs ; je pense que si Zyuganov était resté dans le cadre du dogme « à la Ligachev » de la fin de la période soviétique de Tchernenko et de Brejnev, il ne serait maintenant plus qu’une figure marginale, et même sa présence à la Douma serait problématique. Au moment nécessaire – hélas, sans aucune citation ni référence –, Zyuganov a copié les idées eurasistes dans ses travaux et ses textes, directement, avec quelques rares corrections et omissions stupides. Ainsi il se peut que cela vous plaise, mais ce n’est ni du communisme ni de la social-démocratie.

G.N. Selezniev est un politicien sérieux, correct, compétent, capable de diriger des politiques rationnelles. Son inclination est plutôt de centre-gauche. Comme le statut même de Centre n’est pas très clair dans la Russie d’aujourd’hui, le concept de « centre-gauche » n’a pas de contenu idéologique. C’est une question d’« orientation sociale ». Je considère que Selezniev a de bonnes chances en tant qu’homme d’état de perspective. Concernant les positions de son parti je ne peux rien dire de précis. Je le vois comme un politicien de dimension pan-russe, au-delà des partis.

Je ne connais pas Melnikov, Reshulsky and Kuvaiev, les noms de ces gens ne me disent rien.

Autrefois Ilyukin a écrit avec Djemal des articles sinistres et sans fondement contre moi dans le journal « Zavtra » [« Demain »], et c’est mon seul contact avec lui. Mais Ilyukin appartient à mon avis au sinistre mouvement antisémite SDP, pas au KPRF, bien que je puisse me tromper. Toutes les formes de xénophobie, et particulièrement l’antisémitisme, sont des choses horribles à mes yeux, je pense que de telles figures n’ont aucune perspective.

Q : Cher Alexandre Gelevich, j’ai vu vos remarquables analyses sur la présence américaine en Asie Centrale (maintenant dans le Caucase aussi ?). Comment pensez-vous que la Russie pourrait efficacement contrer (ou aider) cette présence ? (Sergueï Netchaiev, Moscou)

AGD : La Russie pourrait, peut et doit réagir. Pas en paroles, mais en actes. Je suis convaincu qu’après le 11 septembre quelques erreurs graves ont été faites dans la politique étrangère, des erreurs qui ont, en particulier, également compliqué la situation. Je suis sûr que cela doit être corrigé. Et je suis sûr que si nous les cherchons de la bonne manière, nous trouverons les ressources et la logistique. C’est seulement une question de volonté.

Q : Dans la philosophie du mouvement EURASIA une grande place est consacrée au rôle du Nord (à la fois comme constante géopolitique et métaphysique) dans la destinée de la Russie-Eurasie. Une question : avez-vous quelques idées et conseils concrets pour la renaissance du Nord Russe en train de mourir doucement ? (Dmitry, Kargopol)

AGD : Le Nord est pour nous un symbole, l’axe, le pôle. La vie sauvage nordique, l’immensité du Nord forment des gens forts et endurants appréciant la fraternité, la droiture et la pureté. Les paysages et le climat du Nord ont eu un immense effet sur notre ethnogenèse eurasienne. Dans mes travaux j’ai formulé toute une série de programmes pour la renaissance du Nord, et en particulier un modèle de « tourisme arctique ».

Nous suivons de près certains projets dans la région de Krasnoïarsk, et nous préparons un congrès des « Petits peuples du Nord ».

Q : Le mouvement EURASIA est-il une formation purement russe, ou y a-t-il une chance à long terme de bâtir une « Internationale eurasiste » ? (Vadim Blyum, Bishkek)

AGD: En tant que Mouvement Social-politique pan-russe et en tant que futur parti, EURASIA est une entité russe légale. Mais nos tâches d’intégration et l’échelle de notre vision du monde soulèvent déjà aujourd’hui la question de la construction d’une « Internationale eurasiste ». Cette idée se trouve dans nos documents programmatiques et est activement développée en pratique.

Q : L’art et la littérature ont-ils des traits particuliers dans les pays de l’Eurasie ? Peut-on parler d’esthétiques eurasienne et atlantique en art ? (Tamara Viktorovna)

AGD : Excellente question. L’eurasisme et l’atlantisme sont essentiellement des paradigmes absolus qui influencent tout – la géopolitique, la stratégie, l’économie, la psychologie, la civilisation, la culture. D’après Carl Schmitt, le monument littéraire paradigmatique de l’atlantisme est « Moby Dick ». La littérature eurasienne est Dostoïevski, A. Platonov. L’esthétique de l’atlantisme concerne l’individu autonome et ses péripéties dans un monde étranger et hostile. C’est la solitude de l’« humanisme minimal », la « prison sans murs » de Sartre. Dans la culture – même dans la culture occidentale, car vous pouvez trouver l’eurasisme chez les écrivains européens aussi – l’eurasisme s’enracine dans l’ontologie, l’« humanisme maximal », où l’homme fait l’expérience du drame consistant à participer à des réalités supra-individuelles – nationales, mythologiques, naturelles, animales, de classe. L’atlantisme est un rationalisme hypertrophié, alors que l’eurasisme, au contraire, ne considère la raison que comme un seul des multiples développements de la vie. Le cœur le l’art et de la culture est irrationnel, par conséquent ils sont déjà intrinsèquement un phénomène quelque peu eurasien. Ainsi l’un des plus sérieux atlantistes, Daniel Bell, est convaincu que la culture est un obstacle sur le chemin du progrès technique et qu’elle est sujette à un certain flétrissement graduel. Ce qui arrive justement aujourd’hui. Par conséquent l’homme de culture est déjà un eurasiste, d’une certaine manière. Et de même notre mouvement EURASIA est aussi le front de la Culture contre la civilisation purement technique, utilitaire, monétaire. En cela nous sommes partisans de l’« aristocratie » de Wagner.

Q : Le catholicisme et le protestantisme sont-ils absolument étrangers à la mentalité eurasienne, et en ce sens les véhicules sans équivoque de l’atlantisme ? Ou incluent-ils aussi des courants qui pourraient entrer dans la complexité « polychromique » de l’eurasisme ? Comment jugez-vous, dans ce sens, les Protestants russes (Baptistes russes) ? (Sergueï)

ADG : Hélas oui, ils le sont – bien qu’ils soient naturels et logiques dans leur propre contexte original. Une évaluation relativement positive est possible seulement dans le cas où ils ne prétendent pas à l’universalité et se comportent comme les bergers de leur propre troupeau traditionnel (en termes culturels, ethniques et spatiaux). Ainsi l’existence des catholiques et des protestants en Russie est très normale ; ce qui est anormal est leur prosélytisme et leur activité missionnaire agressive. Notre identité orthodoxe s’est forgée pendant des siècles par la polémique contre la civilisation occidentale, contre le catholicisme et le protestantisme. Si nous valorisons cette identité avec un signe positif – et c’est exactement ce que font les eurasistes – alors les versions occidentales du christianisme (pour parler plus précisément : les hérésies papiste et luthérienne) ne contiennent rien de positif pour nous.

Parmi les sectes russes il existe des variantes nationales, incluant la protestante. Etant un produit de la catastrophe spirituelle de l’Eglise Russe au XVIIème siècle (et plus tard), certaines de ces sectes russes à l’origine – comme la molokan et la dukhoborov – ont un certain intérêt en tant que porteuses d’anciennes traditions populaires et nationales. Mais elles sont fortement sujettes à de nouvelles influences étrangères, et dans l’ensemble elles sont un phénomène plutôt marginal. Une question différente est celle des Vieux Croyants russes. C’est un phénomène radicalement eurasien qui mérite le plus grand intérêt dans tous ses traits.

Q : En relation avec l’état désastreux de la science fondamentale russe, un grand nombre de scientifiques russes hautement qualifiés sont obligés de travailler à l’étranger. Questions : a) Comment reliez-vous les différents aspects de ce phénomène ? b) Votre mouvement a-t-il un point de vue ou un programme de mesures visant à faire renaître la science fondamentale intérieure en général, et stopper ou inverser la fuite des cerveaux ? (Fedorov, Ph.D. professeur, Londres)

AGD : C’est un triste fait, mais il a ses raisons historiques. Dans ce phénomène, il y a cependant un coté positif. En URSS de nombreux savants soviétiques croyaient qu’ils trouveraient le paradis en Occident. Aujourd’hui les meilleurs d’entre eux travaillent là-bas, et perçoivent clairement la grandeur de leur erreur. J’entretiens les plus étroites relations avec l’élite de nos scientifiques vivant aujourd’hui en Occident. Leur degré de patriotisme et d’eurasisme dépasse de beaucoup celui de ceux qui ont continué à travailler dans notre pays et à vivre une existence misérable. Quand la Russie se relèvera et qu’elle pourra offrir aux scientifiques un digne niveau de vie, ce sont justement ces scientifiques qui ont sauvé leur qualification qui seront le cœur de la science rénovée. Vous savez, cela peut sembler étrange, mais je ne crois pas en le pouvoir absolu de l’argent, ni que l’homme est comme le chien de Pavlov, esclave de conditions matérielles. L’histoire et l’homme sont animés par l’esprit. De temps en temps quelques faiseurs de fric ont du succès – « que faites-vous pour vivre ? » – mais ici vient le feu ou le déluge, et un nouvel arc-en-ciel brille sur nous … « Rabaissez tous vos riches … ». Par conséquent je crois en les scientifiques russes, je sais qu’ils reviendront.

Notre mouvement a un programme pour sauver notre Patrie. Cela suppose aussi la renaissance de la science. Je suis convaincu que dans la physique fondamentale, par exemple – la théorie des super-ficelles – il y a des directions qui peuvent changer le cours de notre civilisation. Elles doivent être dans des mains eurasistes. Pour stopper et inverser la fuite des cerveaux il ne suffit pas de traiter le financement de la science en particulier – cela est impossible, il doit y avoir un net virage de la mode sociale en direction de la Patrie. C’est exactement ce que nous sommes en train de faire. Et je suis absolument sûr que nous réussirons sur cette voie.

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