Les « droits des gays » : une autre forme d’impérialisme culturel
Pendant les quinze dernières années, Peter Tatchell a occupé l’avant-scène de l’activisme pour les droits des gays en Grande-Bretagne. Peu de causes ont été trop impopulaires pour lui, peu de questions trop audacieuses à poser. Tatchell a payé un prix élevé pour son franc-parler. Pour certains il est un héros, pour d’autres un paria politique. En défendant le « sexe inter-générations », il se précipite là où d’autres (anges ou non) avanceront avec une prudence extrême… Mais a-t-il raison ?
Quand je travaillais pour Survival International, je suis entré en contact avec des cultures où le sexe inter-générations est pratiqué, et où les tabous judéo-chrétiens sur l’homosexualité, la nudité et le sexe buccal étaient remarquablement absents. Pourtant c’est un peu de l’eurocentrisme d’arguer que de telles sociétés sont « libérées », car elles ont probablement des tabous et des coutumes qui sont plus strictes que les nôtres. Peu de Masaïs, de Touaregs ou (pour utiliser l’exemple de Tatchell) de Sambas de Papouasie sont libres de se marier ou de vivre avec la personne de leur choix. L’éthique de la tribu a la priorité sur la fantaisie individuelle, et la désobéissance apporte de terribles conséquences. Les peuples tribaux ont des notions de propriété collectives ou communautaires, et cela s’étend aussi aux individus. La liberté est compensée par la loyauté, les besoins créatifs et sexuels par l’acceptation des conventions.
Tatchell identifie correctement le rôle du sexe inter-générations dans les rites de passage. Mais il est peut-être imprudent de conclure que les jeunes garçons « apprécient » l’expérience. Après tout, ce que nous avons de plus proche de l’initiation est « l’exam », et peu apprécient ce rituel. Parmi les Sambas et d’autres peuples de Nouvelle-Guinée, la semence des guerriers adultes est supposée donner de la force virile aux garçons pubescents. Les relations sexuelles entre hommes et jeunes garçons ont lieu dans des occasions rituelles et pas autrement ; la question de l’homosexualité adulte ne se pose pas parce qu’elle n’est pas supposée exister. Dans d’autres cultures tribales, celle des Américains Natifs et des Africains en particulier, les homosexuels mâles sont considérés comme différents mais « spéciaux ». Ils deviennent des chamans ou des hommes-médecine, dont les visions et les liens avec le monde des esprits sont appréciés. Cette forme de « libération » ne satisferait pas, je le soupçonne, les activistes gays du monde « développé ».
Depuis l’époque de Rousseau, les dissidents occidentaux ont projeté sur les « primitifs » tous leurs espoirs de liberté et de possibilités humaines, supposant que les Européens ont le monopole de l’étroitesse d’esprit et de l’avidité. Les raisons de cela ne sont pas difficiles à découvrir. La principale est que l’Occident a conçu un système économique qui est inadapté aux besoins humains basiques, qui dévalue la créativité et l’artisanat, dissout la famille élargie, isole l’individu et érige une division entre « travail » et « vie ». Le capitalisme de consommation est né de la culture chrétienne – mais l’a graduellement détrônée, le profit et la « croissance » étant plus importants que les tabous communautaires et sexuels. Dans cette époque post-chrétienne, où l’hédonisme est la religion officielle, les attitudes envers le sexe, envers les relations en général, sont marquées par l’insécurité et la paranoïa mais aussi par la possibilité d’un changement de grande portée. Les sociétés tribales, au contraire, sont caractérisées par la certitude. Leurs membres n’ont pas besoin du relativisme culturel, sauf quand leurs vies sont perturbées par les missionnaires (chrétiens ou séculiers-libéraux), les sociétés multinationales, ou des politiques de « développement » inappropriées. Dans ce contexte, il est probablement déloyal de la part de Peter Tatchell – et des collaborateurs de « Dares to Speak » [magazine gay] – d’utiliser les sociétés tribales comme test pour les mœurs sexuelles occidentales. Tatchell ferait bien de considérer les deux points suivants :
- Le sexe inter-générations parmi les peuples tribaux est une force strictement contrôlée qui resserre les liens de la communauté. La pédophilie occidentale, dans la plupart des cas, est un symptôme de rupture sociale, qui doit beaucoup à l’approche inhumaine du capitalisme consumériste vis-à-vis de l’économie, du travail et de la protection de l’enfance. La décentralisation et le développement des communautés (recommandés par ce magazine) devraient nous donner une chance de réinventer l’initiation, et de revaloriser la masculinité sans l’identifier au patriarcat.
- Les peuples indigènes résistent de plus en plus aux tentatives de les enfermer dans une culture uniforme dominée par l’Occident. Ils apprennent par exemple à défendre leurs pratiques sexuelles contre les missionnaires qui imposent une vision universaliste de la moralité. Cela ne signifie pas que nous, Européens, devrions adopter leurs systèmes de valeurs. Les rituels d’initiation des Sambas ont peu d’intérêt pour la classe ouvrière de Bermondsey, par exemple, ou pour tout autre peuple que les Sambas. Les peuples tribaux nous montrent que nous devons rechercher des solutions à l’intérieur de nos propres cultures concernant la crise écologique, les concentrations de richesse et de pouvoir, et la crise sexuelle. Il y a une riche tradition de tolérance sexuelle en Occident, se reflétant dans la poésie, la littérature, le folklore et la culture populaire. Comme la conscience de la nature, elle a des racines païennes. Notre tâche est de faire revive cela, et non d’emprunter des morceaux aux autres cultures quand ça nous chante.
Finalement, le problème avec le mouvement gay aujourd’hui est qu’il est universaliste par excellence. Il ne pense qu’à imposer les valeurs nord-américaines à l’Europe et – en particulier – au monde « en voie de développement ». Quand nous entendons parler de défilés de la gay pride à Asunción ou à Oulan-Bator, nous sommes censés voir cela comme un « progrès ». On ne nous dit pas que la « libération gay » fait partie d’un paquet qui inclut MacDonald. On ne nous dit pas que les sociétés « en voie de développement » ont leurs propres traditions d’amour de même sexe, qui n’ont pas besoin d’être changées. Le danger est que les « droits des gays » puissent devenir une autre forme d’impérialisme culturel.
Tatchell a soulevé des questions pertinentes concernant le sexe inter-générations. Pourtant, il constitue généralement de l’exploitation dans notre société, parce qu’il est le plus souvent lié à la misère – que celle-ci soit émotionnelle ou économique.