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Bombardiers et Burkas, enlever le voile du fondamentalisme libéral
Aidan Rankin |
Impérialisme :: Varia
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« C’était une fille de la région de Londres, maintenant elle bombarde l’Afghanistan », croassait un grand journal du dimanche, peu après le début de la campagne anti-taliban. Des gros titres similaires vantaient les « exploits » d’une jeune femme américaine d’origine britannique nommée Ashley, une parmi la poignée de femmes pilotes « Top Gun » de l’US Navy.
Son histoire, nous dit-on, est une « vraie histoire de fille » et elle est déjà en train d’être médiatisée par les éditeurs et les producteurs de films, toujours à la recherche d’un thème politiquement correct. Seule femme dans l’escadron des Black Lions, Ashley a largué des bombes sur l’Afghanistan « chaque jour » et, si ses propres paroles sont crédibles, a connu un grand accomplissement personnel. « Je souriais : je larguais mes bombes. Elles faisaient mouche », a-t-elle dit fièrement aux reporters du Sunday Telegraph. A propos des combattants talibans, elle a observé : « Ils ne se réveillaient pas avant que j’en largue une juste sur eux. C’était vraiment excitant… Nous [femmes pilotes] sommes très peu nombreuses mais nous faisons notre travail comme tout le monde. J’aime vraiment ça ». Pour un tel aperçu humain, une importante maison d’édition propose « une très forte avance ». Le lieutenant, affirme sa porte-parole, est un rôle modèle qui peut « décoller là où Andy McNab et les autres [= les combattants mâles] se sont arrêtés ».
Le choix des mots par le lieutenant trahit davantage que la cruauté de la jeunesse. Il reflète un mépris de la vie humaine, caractéristique de la culture occidentale – et particulièrement américaine – dans son actuelle phase « libérale ». Toutes les expériences, du shopping au bombing [bombardement], sont interprétées en termes de satisfaction à court terme, sans considération de considérations éthiques et avec une indifférence sans âme pour les conséquences humaines ou écologiques.
Le fondamentalisme libéral réduit le raid de bombardement à une option de carrière devant être « ouverte aux femmes », et ainsi le fait de prendre des vies – incluant celles de femmes et d’enfants – est célébré comme un exercice d’« égalité des chances ». En effet, pour des raisons idéologiques, les forces armées US (et des sections des forces britanniques) placent l’offre de « carrières intéressantes » pour les femmes au-dessus de l’efficacité opérationnelle et du bien-être des jeunes hommes, principalement de la classe ouvrière, qui supportent le plus gros des combats sans les poses photos sexy ni les « très fortes avances ».
Le « plaisir » d’Ashley à bombarder les Afghans est loin d’être héroïque. Il est tragiquement éloigné de l’éthique traditionnelle des combattants, qui serrent les dents en accomplissant des tâches haïssables et qui pensent à leurs camarades et à leur pays, pas à leur carrière. Contrastant avec l’auto-publicité d’Ashley, il y a les paroles du Lt.-colonel David Capewell du 40° Commando des Royal Marines, une force pas encore contaminée par le virus « PC » : « Je n’ai pas d’animosité personnelle envers le peuple afghan… Nous ne sous-estimons jamais personne, et nous passerons un temps considérable à étudier les forces et les faiblesses des Talibans ». Des hommes servant sous ses ordres, Capewell déclare : « Il n’y a pas de sentiment de triomphalisme ou de vengeance. Ce sont des gens qui sont là simplement pour faire un travail difficile, et le faire bien ».
Quelle que soit la manière dont certains lecteurs peuvent voir l’éthique militaire, elle contient au moins quelques valeurs clés, dont le mouvement écologiste pourrait utilement tirer des leçons et qu’il pourrait adapter à nos propres buts non-violents, notre « combat pour la vérité » pour reprendre les paroles du Mahatma Gandhi. Ces valeurs incluent la loyauté, la responsabilité envers les autres et le sentiment de la continuité historique qui donne à un régiment, ou à toute bande de combattants, son esprit de corps. De telles valeurs sont très éloignées de celles de la société de consommation, ou de la culture de la demande basée sur les droits que promeut le « libéralisme » moderne. Le guerrier n’« aime » pas la guerre et ne la considère pas comme une carrière. Il fait plutôt son « devoir » en serrant les dents.
L’éthique militaire appelle les hommes à montrer du courage et de l’intégrité. La carrière de bombardement d’Ashley, au contraire, est du combat de théâtre transposé sur le théâtre de guerre, avec des bouffées libérales de nihilisme cruel. Si un terroriste se vantait de « sourire », il (ou elle) serait regardé avec dégoût et présenté comme une preuve que les terroristes sont « mauvais ». Les paroles d’Ashley rappellent celles de Bernadine Dohrn, cofondatrice du « Weather Underground », une cellule de terroristes urbains qui était sortie de la Nouvelle Gauche étudiante. Quand elle apprit le meurtre de Sharon Tate et de des amis par les disciples drogués de Charles Manson, Dohrn sourit simplement et dit : « Ouah ! Ça me botte. Ça m’a épatée ».
La psychopathologie du marxisme-hédonisme des années 60 a pénétré la vie quotidienne de l’Amérique, de la galerie marchande à la salle à manger. C’est un système d’amoralité organisée que les libéraux américains, et, de plus en plus, leurs homologues européens, regardent comme un modèle de droits humains, devant être imposé au reste du monde, par des grappes de Starbucks là où c’est possible et par des bombes à fragmentation là où c’est nécessaire.
Je cite cet exemple d’égalité des chances dans le bombardement parce qu’il a de plus larges implications pour le conflit culturel qui se trouve à la racine de la « guerre contre le terrorisme ». Car ce n’est pas du tout une guerre contre le terrorisme, ni un conflit entre les valeurs chrétiennes et islamiques, ni de la « civilisation » contre la « barbarie ». Après tout, il y a eu plus d’exécutions au Texas l’année dernière que dans les régions d’Afghanistan contrôlées par les Talibans. Les partisans de la « guerre » ne défendent pas non plus les idéaux occidentaux. Le bombardement des Afghans devrait plutôt être vu comme un épisode d’une bataille menée par le fondamentalisme libéral. Cette idéologie est concentrée aux Etats-Unis mais a une influence croissante en Europe, particulièrement dans les instances supranationales de l’Union Européenne, et se répand dans le monde « en voie de développement » par l’hégémonie économique et par une impulsion missionnaire séculière.
Les terroristes islamiques, incluant Ossama Ben Laden, sont les créatures du fondamentalisme libéral. C’est vrai au sens littéral, parce que Ben Laden et ses cohortes étaient armés et entraînés par la CIA quand l’« ennemi » était communiste, au lieu d’être musulman. C’est vrai dans un sens plus profond, cependant, car c’est la rencontre avec l’idéologie occidentale moderniste qui attise le soutien au fondamentalisme et à une antipathie plus générale envers l’Occident, pas seulement parmi les musulmans, mais aussi parmi les hindous et dans les sociétés africaines traditionnelles qui ont embrassé le christianisme « occidental » et qui le prennent au sérieux.
Beaucoup de musulmans citent le comportement des troupes américaines en Arabie Saoudite pendant et après la guerre du Golfe comme le début de leur désillusion vis-à-vis de l’Occident. Un bon nombre de ces jeunes gens – hommes et femmes – non seulement n’observaient pas les coutumes locales, mais aussi les narguaient ouvertement et fièrement, d’une manière sans précédent dans un territoire considéré comme sacré. Leur indiscipline était un symptôme des effets corrosifs du Politiquement Correct, sapant tout sens de l’honneur et les rendant moins équipés pour la bataille, sans parler d’un conflit prolongé. Le refus de respecter une autre culture était aussi motivé par l’idéologie. Les fondamentalistes libéraux ne considèrent pas les différences culturelles comme valables. Ils n’ont qu’une seule interprétation des « droits », basée sur la domination, des droits qu’ils pensent être valables pour toutes les sociétés humaines – et dont ils affirment avoir le « droit » de les imposer.
Les politiciens occidentaux, anxieux de maintenir la fragile « coalition » et de rassurer leurs minorités musulmanes, nous disent sans cesse que ce n’est pas une guerre contre l’« islam ». Pourtant l’attaque contre l’Afghanistan et la soi-disant « guerre contre le terrorisme » sont des procurations pour un Kulturkampf fondamentaliste libéral, conduit à l’intérieur des USA et des autres sociétés occidentales ainsi que dans le « Tiers Monde » inoffensif. Pendant quelques années avant les atrocités du 11 septembre, le régime taliban a été un opportun symbole de haine pour les libéraux, et l’enfer ne connaît pas de pire furie qu’un fondamentaliste libéral méprisé. Les Talibans, qui (comme parallèle ironique à la « Nouvelle Gauche » américaine) sont sortis du mouvement étudiant, sont des fondamentalistes qui imposent une version grotesquement déformée de la Charia, une forme de Politiquement Correct islamique échappant à l’érudition de l’islam traditionnel et qui a surgi largement en réponse à des politiques erronées de « modernisation », d’inspiration soviétique puis occidentale.
Les fondamentalistes libéraux ont choisi le traitement des femmes par les Talibans pour en faire une dénonciation rituelle. C’est parce que les images de l’extrémisme taliban fournissent un repoussoir utile pour la dénonciation de tout l’« islam » et au-delà de cela, de toutes les religions, cultures et traditions qui assignent des rôles différents aux sexes, même celles qui donnent un statut élevé aux femmes. En effet, toute personne, mâle ou femelle, qui rejette l’interprétation fondamentaliste libérale dominante du féminisme peut être accusée d’être « comme les Talibans » ou placée dans la même boîte que les « extrémistes religieux », le mot « religieux » étant prononcé avec une haine et un mépris spéciaux. Comme les autres bigots, les fondamentalistes libéraux trouvent qu’attaquer est plus facile que de discuter.
La burka est maintenant célèbre comme variété de dalek, une robe totalement enveloppante que les femmes sont obligées de porter à l’extérieur sous le régime taliban. Les fondamentalistes libéraux haïssent et aiment la burka. Ils la haïssent parce qu’elle est si antithétique à leur idéologie, qui fait une vertu des formes de sexualité grossières et sans amour et qui cherche à abolir les différences entre les femmes et les hommes. Ils l’aiment parce qu’elle fournit un truc de propagande pour battre les cultures non-occidentales. Seule la « démocratie » occidentale peut donner l’« égalité » aux femmes, affirme l’argumentation. La burka déshumanise les femmes, les prive de leur dignité et symbolise leur soumission au « patriarcat ». De plus, c’est la conclusion logique de la « domination mâle » ou de toute tentative de distinguer les rôles mâle et femelle.
Pour les fondamentalistes libéraux, par conséquent, Ashley la Bombe est une histoire à succès, car elle accomplit leur impératif de « contester les stéréotypes sexuels ». Mais c’est ici que la logique des fondamentalistes libéraux s’interrompt et que leur absolutisme moral séculier est mis à nu. Les libéraux occidentaux accusent les traditionalistes, dans leurs propres sociétés autant que partout ailleurs, de limiter les « chances » des femmes. Leur version du féminisme, cependant, célèbre les vertus des femmes seulement dans des emplois « masculins » ou pour « abattre les bastions mâles ». Les fondamentalistes libéraux utilisent des moyens politiques et économiques pour obliger les femmes à faire carrière, plaçant l’« égalité » avant la liberté et ignorant les besoins et les désirs de beaucoup de femmes. Ashley la Bombe est un héros (dire « héroïne » est démodé), mais une mère qui proteste contre les bombes à fragmentation est une « sympathisante terroriste » potentielle.
En Grande-Bretagne récemment, la Commission pour l’Egalité des Chances (EOC) sponsorisée par le gouvernement a déploré le fait que les jeunes filles choisissent encore des « emplois féminins », incluant des tâches aussi banales que le métier d’infirmière, l’aide sociale et l’enseignement, ou des frivolités comme le théâtre et la coiffure. Plutôt que d’élever le statut de ces professions « féminines », les fondamentalistes libéraux de l’EOC enjoignent les femmes à choisir des occupations « masculines » comme le métier d’ingénieur. Ils veulent « plus de femmes » dans les salles de direction des multinationales, pas moins de multinationales et des économies locales plus fortes.
En effet, la rhétorique du libéralisme moderne abolit complètement le « sexe » comme terme descriptif, mettant à sa place un vague concept quasi-sociologique de « genre ». Simone de Beauvoir exprime avec une franchise gauloise rafraîchissante la véritable vision des femmes des fondamentalistes libéraux : « Aucune femme ne devrait être autorisée à rester à la maison et à élever ses enfants. La société devrait être totalement différente. Les femmes ne devraient pas avoir ce choix, précisément parce que s’il y a un tel choix, trop de femmes feront celui-là ».
Les fondamentalistes libéraux affirment être les champions exclusifs de l’égalité, mais en réalité ils valorisent seulement les sphères d’influence traditionnellement « masculines », qu’elles soient politiques, militaires ou grossièrement matérialistes. Leur philosophie est complètement différente de l’éco-féminisme de Vandana Shiva, par exemple, qui vise à un équilibre créatif entre principes mâle et femelle – une société plus équitable et une relation plus équitable entre l’humanité et leur nature.
Le fondamentalisme libéral exalte les stéréotypes mâles – pour les femmes – mais attaque la masculinité avec une ferveur puritaine. Le but des féministes américaines, en particulier, est de priver les jeunes garçons de mentors masculins et si possible d’abolir complètement la paternité. La polémiste de New York, Gloria Steinem, a résumé brièvement leur programme quand elle a dit : « Nous devons élever les garçons comme s’ils étaient des filles », en d’autres mots les forcer à nier leur vraie nature de garçon. La politique sexuelle si centrale pour le libéralisme bien-pensant est, d’une manière subtile, aussi oppressive que n’importe quel dogme clérical.
Le fondamentalisme libéral est fondé sur la confusion morale et le double langage. Quand la loyauté et le sens communautaire sont sapés, quand les hommes et les femmes sont opposés les uns aux autres dans une « guerre des sexes » et quand la tradition ou la coutume comptent pour rien, alors seules les valeurs commerciales peuvent prévaloir. Le bombardier et la burka ne sont pas des opposés, mais les deux faces de la même monnaie déshumanisante – comme la mondialisation et le Politiquement Correct. Ecologistes du monde entier, prenez garde !
Publié dans « The Ecologist », novembre 2001.
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Niveau 2 :: La Lettre « Les Nôtres »
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Niveau 3 :: Résistance Hors Serie
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