Canis Lupus est le seul animal à avoir eu jadis une excellente réputation et avoir acquis par la suite une image détestable auprès des populations humaines, avant de connaître très récemment une relative réhabilitation. C’est ce phénomène étonnant que je vais tenter ici d’expliciter dans l’optique de montrer comment le loup fut diabolisé en Europe et comment il tend à retrouver aujourd’hui sa gloire passée.
Les populations préhistoriques semblent avoir considéré le loup comme un chasseur concurrent mais pour lequel ils éprouvaient une grande admiration, à tel point qu’ils s’inspiraient de l’esprit communautaire de la meute dans leurs activités. Par la suite, et de manière précoce, le loup fut le premier animal domestiqué et devint, par sélection et évolution, le chien.
Les Grecs éprouvaient un immense respect pour le loup, qu’ils appelaient lycos, d’où l’abondance de prénoms lupins comme Lycaon et Lycurgue, ou encore des lieux sacrés liés au loup comme le fameux Lycée d’Aristote. Le loup était consacré à Zeus Lycaios, dieu lié à une «colline des loups » et qui recevait, cas unique, des loups et des ours en sacrifice, alors que d’habitude les dieux recevaient des animaux domestiques. Plus généralement, le loup était lié au culte d’Apollon Lycaios, Apollon « lupin », mais surtout à celui du dieu de la guerre,Arès. La cité de Sparte fut ainsi fondée par le mythique Lycurgue, « tueur de loups » mais en réalité héros lycanthropique. Et de fait la société spartiate, par sa dureté mais aussi son relatif égalitarisme, s’inspirait bien de la société du loup.
Celui-ci était donc respecté pour son intelligence mais aussi mis en relation avec l’orage et la guerre. Cela explique pourquoi les Romains mettaient en relation cet animal avec leur dieu Mars, père des Romains. En effet c’est sous l’apparence d’un loup que Mars s’unit à la vestale Rhea Silvia, de qui il eut deux fils jumeaux, Romulus et Remus, le premier devenant le fondateur de la ville de Rome et aussi le tueur de son frère. Déjà jeunes, Mars leur envoya une louve pour les allaiter. Et les Romains eux-mêmes s’appelaient les Fils de la Louve, expression réutilisée par la suite dans le fascisme italien. L’apparition d’un loup sur un champ de bataille galvanisait les légionnaires, leur faisant comprendre que le dieu guerrier était avec eux. Ce que les Romains ne savaient pas ou feignaient d’ignorer, c’est que leurs ennemis gaulois puis germaniques vénéraient tout autant le loup. Il était le symbole du dieu gaulois du ciel, de l’orage et de la guerre, Taranis. Et le dieu germanique Wotan, Odhinn pour les Scandinaves, était toujours accompagné de deux loups. Beaucoup de guerriers portaient des peaux de loup, ce qui était aussi le cas des soldats romains portant les aigles de la République.
Chez les Turcs, le loup était également fort en honneur ; il était même le symbole du dieu turc du ciel, Tanri, surnommé le « loup gris » et protégeait le peuple contre ses ennemis. Aujourd’hui encore, le parti nationaliste turc, le MHP, garde comme symbole le loup gris de leurs ancêtres païens.
Mais le loup, d’incarnation du dieu de la guerre, prit lors de la christianisation de l’Europe une image fort négative, celle tout simplement des peuples sémitiques pour lesquels le loup symbolisait les rapines et la luxure, ce qui s’explique tout simplement par l’origine orientale de la nouvelle religion. A partir de là, bien que certains aspects du loup protecteur subsistèrent par exemple dans le culte de Saint Loup ou encore chez Saint-François d’Assise, le loup devint l’incarnation du Diable et fut chassé et tué sans pitié. Des mythes anti-lupins comme celui de la Bête du Gévaudan, hantèrent l’inconscient collectif. Alors qu’il est prouvé que le loup, même en situation de disette, n’attaque pas l’homme, ni même les enfants, la peur du loup fut inventé et des récits comme le Petit Chaperon Rouge véhiculèrent cette image.
Le vingtième siècle fut beaucoup plus contrasté. La fascination d’Hitler pour le loup, qui semble avoir été son animal symbolique (voir en sens l’ouvrage de Bernard Marillier chez Pardès, intitulé « Le loup »), aurait pu être désastreuse pour cet animal. Un dessin animé américain montrait d’ailleurs un loup « Adolf » opposé à trois petits cochons alliés. Mais fort heureusement il n’en fut rien et le loup devint même le représentant des espèces menacées de disparition. Mais la peur du loup n’est pas complètement morte. Le retour du loup en France, dans le Mercantour, a rendu fou les bergers qui perdent en vérité très peu de bêtes de son fait, puisque la plupart des moutons tués l’ont été par des chiens redevenus sauvages et aucunement par des loups. Mais il est probable que l’image ancestrale du loup, éminemment bénéfique, va reprendre sa place.
Le loup, animal noble par excellence, représente le goût européen pour la liberté et pour les grands espaces. Et de ce fait il est éternel. Vae inimicis lupi ! (Malheur aux ennemis du loup).