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Mardi, 10 Avril 2012
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La révolution impossible
Claude Bourrinet
Théoriciens :: Autres
La révolution impossible
La logique démocratique voudrait que le peuple eût non seulement le dernier mot, mais qu’il pût à loisir choisir son destin, la voie dans laquelle il ait à s’engager, comme lorsqu’on emprunte un sentier menant à une destination désirée et connue. Si l’on suit les linéaments du projet démocratique, depuis l’avènement de l’âge moderne (car dans l’Antiquité gréco-romaine, nous ne trouvons pas ce souci de l’égalité universelle, ce messianisme rédempteur, qui frappe dans les mouvements populaires des siècles qui ont succédé à la Renaissance), on constate aisément qu’une tension quasi-religieuse, même transmuée en laïcité militante, a parcouru les luttes revendicatives qui sont, irrémédiablement, venu à bout de l’ancienne société.

La légitimation, en effet, du recours à l’assentiment populaire, pour justifier un pouvoir autrefois redevable de la volonté divine, est une des conséquences des luttes religieuses inexpiables qui ont ensanglanté l’Europe prébaroque. Afin d’armer les polémiques d’arguments étayés sur des principes politiques et la raison juridique, les réformés, singulièrement les calvinistes, puis, par contrecoup, leurs adversaires, et particulièrement cette « troisième voie » que l’on nomme « les Politiques », ont élaboré un appareil conceptuel, fondé tout autant sur la Bible, l’Ancien testament, que sur les Anciens comme Aristote et Platon, capable de promouvoir une société débarrassée de l’hypothèque tyrannique, et garante d’une paix civile pérenne. D’une façon ou d’une autre, l’Etat et le gouvernement, qu’il soit monarchiste ou républicain, doit être le reflet des aspirations et des besoins de la société. C’était le cas jadis, mais indirectement : la chrétienté représentait le peuple de Dieu dont la protection incombait, pour son salut, aux pasteurs de l’Eglise, et pour le corps, sans lequel le salut devient problématique, au pouvoir séculier, au souverain, lequel, par une sage gestion, assurait à tous les moyens de gagner le royaume des Cieux. En basculant de facto (et non de jure, car il faudra encore quelque temps pour que la nouvelle conception du politique soit effective) le souci de la légitimité, la technique du pouvoir se rendait apte à concevoir son aire d’application de manière absolue, comme l’entendait Bodin qui reprenait ses présupposés amoraux de Machiavel. Le XVIIe siècle sera, comme l’on sait, le triomphe du machiavélisme comme mode de gouvernement, la théorisation hobbesienne du Léviathan, et, l’accomplissement philosophique et littéraire d’un type d’homme utilitariste et militant. Pourtant, les délires millénaristes, dans le même temps, et peut-être aussi parce que les clés du pouvoir avaient chu sur la terre, à portée humaine, et que les structures étatiques devenaient par-là singulièrement intolérables, se déchaînaient, en Bohème, avec les anabaptistes, en Angleterre, avec le Niveleurs. Burke eut beau tenter de valoriser la « Glorieuse Révolution » de 1688, en prétendant qu’elle procédait à une sorte de révolution, c’est-à-dire aux sources aristocratiques anglaises, la substitution d’une dynastie à une autre n’eût pas été aussi aisée si le concept même de royauté n’avait été dépris de sa légitimité religieuse. Ce sont les lords qui, « démocratiquement », en décidèrent le sort. "Debet rex esse sub lege", le roi est soumis à la loi. L’onction par laquelle le souverain était désigné ne venait pas d’en haut, mais d’en bas. La dissociation historique, depuis la fin du moyen-âge, entre le pouvoir spirituel et le pouvoir séculaire – même si, dans ce cas, le roi ou la reine d’Angleterre est chef de l’Eglise anglicane (mais que signifie cette faveur dans un âge déchristianisé et désenchanté ?) – empêchait la prise en charge pyramidale qui caractérisait les temps anciens. L’image hobbesienne d’atomes rivalisant entre eux et s’associant volontairement allait l’emporter. C’est la base de la démocratie moderne.

L’imaginaire d’une société se nourrit d’une infinité de sources, et fluctue selon les temps et le type de société dans laquelle elle s’exerce. Dans un cadre holiste, on peut s’attendre à ce que la matière et la forme des structures imaginaires soient données par l’enveloppe idéologique et hiérarchisée qui enserre totalement le corps social. Du moins en est-ce l’apparence, car la réalité humaine est bien plus complexe qu’une simple approche taxinomique peut laisser entrevoir, les étiquettes servant à classifier les types anthropologiques ne parvenant pas toujours à en offrir la substance véritable. Quant à notre société prétendument « ouverte », parce que désagrégée, elle semble offrir plus de latitude à l’expression individualisée et « libre » de l’imaginaire. Saint-Just dit : « L’imagination du peuple se fera un préjugé de la liberté ; l’illusion sera une patrie ». Car est-on vraiment « libre » ? En est-il bien ainsi ? La réalité montre plutôt une uniformisation, un maillage plus dense des consciences, par la publicité et la propagande, essentiellement, avant peut-être des moyens plus perfectionnés de contrôle.

Les fascismes du vingtième siècle sont, de fait, des exacerbations des pulsions populaires, et des besoins sécuritaires d’une Nation déstabilisée par une atomisation grandissante. La relation étroite entre le chef charismatique et le peuple est, d’une certaine façon, l’incarnation même de la démocratie, au sens étymologique, l’exécutif transcrivant comme un sismographe les passions éruptives du substrat populaire. Il est nécessaire, pour ce genre de régime, d’être en phase permanente avec la volonté du peuple, sous peine de vide mortifiant. Le système électoral contradictoire ne présente pas cet inconvénient, du moins de façon aussi directe et brutale, car l’alternance non seulement réactive l’illusion politique, mais aussi laisse une marge d’usure par laquelle il est possible de s’essayer à des mesures impopulaires sans danger, à la longue, d’entraîner dans une chute presque inévitable le régime tout entier.
L’atomisation du corps social, sur laquelle repose l’organisation du système électoral moderne (une tête égale un vote), même s’il faut faire la part de la pression idéologique englobante, d’autant plus prégnante qu’elle semble soumise au jeu de la liberté individuelle, a offert un espace inédit, dans l’histoire des homme, à l’expression personnelle de la subjectivité, des pulsions, des rêves et des points de vue. Ces projections particulières ont été à l’origine de l’esthétique du sublime, et des courants romantique, réaliste, impressionniste, symboliste, expressionniste, avec toutes les sous catégories qui accompagnent ces mouvements majeurs.

On retrouve le même phénomène dans le domaine politique. Car le désenchantement religieux, accompagné par une dégradation, un enlaidissement et à une banalisation du monde, par l’industrialisation, la marchandisation, l’universalisation des massacres gigantesques, l’arasement des originalités au profit d’une civilisation de masse uniforme, grisâtre, décevante et angoissante, tout ce que les meilleurs artistes ont dépeint, depuis deux siècles, sous les traits les plus crus, encourageait les effets dissolvants impliqués par l’individualisme. Il semblait pourtant contredit par le projet humaniste et progressiste des Lumières. Se produisaient en effet, en retour, et en recours, des soubresauts insurrectionnels et des utopies grandioses. Il n’est pas anodin que l’idée utopique, le mot même, aient été forgés par Thomas More, à la naissance des Temps modernes. L’utopie se définit par l’alliance entre l’onirique et la rationalité, entre l’irréalisme et l’application mathématique aux relations humaines, par le souci maniaque des détails et celui d’une transparence totale. C’est l’image, sécularisée, que l’on se fait du langage des âmes dans le royaume divin.

Ce surcroît de délire idéaliste pourrait passer, pour n’importe quel cerveau, comme un symptôme clinique inquiétant. Toutefois, quelles qu’aient pu être ses déclinaisons, de 89 au saint simonisme, du fouriérisme à Cabet, de la Commune à 17, de l’anarchisme au syndicalisme révolutionnaire, et même au fascisme, c’est un idéal de transmutation radicale de l’homme qui a entraîné des millions d’êtres, et provoqué aussi des guerres totales, parce qu’idéologiques.

S’il est un changement profond, du moins en apparence, consécutif à la chute du mur de Berlin, paradigme des changements géopolitiques majeurs qui ont mis fin à la Guerre froide, et sembler soutenir l’expansion illimitée de l’économie libérale, ce fut cet abandon des utopies socialistes qui avaient, par des tentatives et des échecs, édifié une tradition et une mémoire, lesquelles maintenant ont disparu des consciences et des affichages politiques. Presque plus personne, en tout cas de façon sérieuse, ne se réclame des révolutions qui ont meurtri l’histoire depuis plusieurs siècles. Pour autant qu’elles passent pour de monstrueuses anomalies des dérives politiques, elles semblent en tout cas des choses archaïques, à mettre sur le même plan que le bec à gaz et la TSF.
Pourtant, l’utopie règne encore, et plus que jamais.

Les élections actuelles ne satisfont pas, et ne peuvent satisfaire les aspirations profondes, et confuses, des Français. Il y manque une dimension religieuse, un peu mystique, en tout cas assez enthousiasmante pour laisser espérer ce que l’on appelait, jadis, des « lendemains qui chantent ». Cette illusion, de pouvoir transformer radicalement le pays par une révolution, même pacifique, a perduré jusqu’au Programme commun, jusqu’à la victoire de Mitterrand, en 81 ? Puis le règne de la quantité l’a emporté, et le « réalisme ». Les frissons épisodiques qui parcourent la campagne ne sont, somme toute, que des emballements de supporters. Non seulement chacun sait que la tendance lourde du système impose sa logique, comme l’avait bien analysé Jacques Ellul dans « L’illusion politique », pour peu, évidemment, qu’on ne veuille pas affronter avec fracas ledit système, mais on se méfie des grandes idées, des rêves gigantesques, bref, de l’idée de révolution. L’utopie, en fait, semble s’être réfugiée dans l’univers des choses. La cybernétique, les innovations audiovisuelles, la téléphonie et toutes les merveilles qui sont apparues ces dernières décennies ont, d’une part, sauvé le système capitaliste, mais aussi donné une dose onirique à la conscience planétaire, comme une dose de stupéfiant peut aussi permettre de s’évader dans le virtuel Avec en contrepartie l’overdose, ou le « manque » quand le produit vient à se tarir.

Au-delà des turpitudes d’un modèle financier prédateur, il faut aussi chercher dans la crise actuelle cette frénésie de changement existentiel qui repose illusoirement sur l’octroi d’un paradis artificiel par le jeu de l’endettement et de la consommation. La lecture des ouvrages de Baudelaire consacrés à la drogue en éclairerait plus d’un ! Car nous sommes dans une logique purement diabolique, qui œuvre avec le temps (de travail, de remboursement des traites, de chômage, de transport etc.) pour dévorer l’âme des hommes.

Le système démocratique, qui ne peut se justifier que par un appui sur ce que sont et demandent les citoyens, est prisonnier de l’esprit du temps. Il n’a pas en regard cette éternité qu’avaient les Régimes traditionnels. Pour prendre la mesure de ce qui est possible et impossible, il faut sonder reins et cœurs, savoir exactement ce que recouvrent, chez les contemporains, les idées de liberté, de perfection, de réalisation de soi-même. On s’explique alors la morosité, l’absence de hauteur, les aspirations matérialistes et égoïstes, les ressentiments et les aveuglements des uns et des autres, chahutés par les aléas d’une opinion sans cesse en chasse de son ombre.
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