La concurrence entre la Russie et les Etats-Unis sur le marché latino- americain de l'armement revêt aujourd'hui, en plus de son aspect économique, une nuance politique. Washington est tout particulièrement préoccupé par la coopération militaire de la Russie avec le Venezuela dont le leader, Hugo Chavez, se distingue par son attitude radicale envers les Etats-Unis.

La réaction de Washington est compréhensible. Le marché mondial de l'armement se restreint et la concurrence s'exacerbe. D'autre part, les Etats-Unis sont mécontents de voir proliférer des armes russes dans une région où sont, depuis toujours, concentrés les interets americains. Mais il ne faudrait pas oublier que dans les années 1990 la Russie s'est vue privée, bien souvent sous la pression des Etats- Unis, de sa clientèle traditionnelle en Europe de l'Est et dans certains pays arabes. En d'autres termes, les Americains ont chassé le complexe militaro-industriel russe de sa niche traditionnelle. Des lors, il n'est pas etonnant de voir la Russie, qui recupere ses forces apres une crise durable, partir a la conquete de nouveaux marches pour ses armements. Les milieux d'affaires russes n'ont pas l'intention d'accepter que les Etats-Unis revendiquent des droits exclusifs sur cette region. Si les Americains peuvent s'installer dans la zone d'interets de la Russie, que represente l'espace postsovietique, pourquoi les Russes ne pourraient-ils pas s'implanter dans la zone d'interets des Etats-Unis ?

En vendant des armes au Venezuela, la Russie avait des le debut des objectifs uniquement economiques, souligne le politologue russe Alexei Arbatov, membre du conseil scientifique du Centre Carnegie de Moscou. Les exportations d'armes sont un moyen pour le complexe militaro-industriel russe de survivre. En effet, les commandes publiques nationales, bien qu'ayant tendance a s'accroitre, n'emploient toujours qu'un quart du potentiel des entreprises militaires, heritees par la Russie de l'Union Sovietique apres la fin de la "guerre froide".

Ce n'est pas la Russie qui confere une dimension politique au contrat economique, mais Hugo Chavez, lequel a declare a plusieurs reprises que c'etait du cote des Etats-Unis qu'il voyait se profiler une agression potentielle contre son pays. Adversaire radical de Washington, il ne peut pas, pour des raisons que l'on comprend, compter que les Etats-Unis continueront a vendre des armes au Venezuela. Il doit donc chercher d'autres fournisseurs de materiel de guerre. Les armements russes ne le cedent en rien aux americains.

Ils les surpassent meme sur bien des points et, de surcroit, ils sont moins chers, ce qui rend le partenariat avec la Russie plus avantageux pour Caracas du point de vue economique aussi.

Le premier lot (33 000 Kalachnikov) est arrive au Venezuela debut juin. La reaction de Washington a ete nettement negative. Les representants du Departement d'Etat americain craignent que les armes achetees par Chavez a la Russie ne se retrouvent entre les mains des mouvements radicaux colombiens, mettant en peril la stabilite de la region. Les preoccupations americaines laissent sceptique l'expert en chef de l'Institut de l'Amerique Latine pres l'Academie des sciences de Russie, Emile Dabaguian : d'apres les informations dont il dispose, les guerilleros colombiens recoivent des armes de sources tres diverses, autres que le Venezuela.

Enfin, il n'existe aucun accord international interdisant la cooperation militaro-technique avec le Venezuela, ni avec d'autres pays d'Amerique latine. En d'autres termes, la Russie n'enfreint aucune regle.

Pour la Russie, le marche latino-americain de l'armement est prometteur. Le politologue Alexei Arbatov souligne que le sentiment anti-americain au Venezuela est tres contagieux et peut se communiquer a d'autres pays de la region. On ne doit donc pas exclure qu'a l'avenir la Russie trouve d'autres partenaires latino- americains souhaitant s'equiper d'armes russes.

Les affaires sont les affaires. Et les Etats-Unis sont bien places pour le savoir.