Comment l’Occident tente de piller la Russie : un ancien dirigeant de Yukos évoque les pratiques de cette compagnie
Les propriétaires de Yukos préparaient depuis longtemps la vente de la compagnie, estime l'ancien directeur de la planification stratégique et des finances de Yukos, Alexéï Goloubovitch. Ces dernières années, Yukos s'est à l'évidence développé dans cette direction, souligne-t-il dans une interview parue dans les Izvestia du 4 août.
Goloubovitch rappelle que peu avant la crise financière de 1998 en Russie, Yukos avait tenté de vendre 25 % de ses parts à Phillips Petroleum (aujourd'hui Conoco-Phillips). "Quand vous vendez une part importante, pouvant aller jusqu'à 25 %, à une compagnie qui est, de fait, votre concurrent direct et qui est, au plan financier, plus forte que vous, vous "perdez votre virginité". Et celui qui achète cette part importante a pour objectif de vous limiter dans votre activité avec les autres concurrents. Le plus probable, c'est qu'il a l'intention de vous acquérir un jour totalement", explique Goloubovitch.
Selon ce dernier, l'affaire ne s'est pas faite en 1998, car la crise économique en Russie est arrivée alors que les pourparlers battaient leur plein."De plus, il était question d'une vente pour une somme modique, qui devait être de l'ordre, selon moi, de 4 milliards de dollars d'après la capitalisation", note Goloubovitch.
Une fois la crise économique passée, il est devenu clair que la compagnie était trop cher ni des investisseurs russes, ni des investisseurs occidentaux ne viendraient acheter une compagnie valant entre 15 et 20 milliards de dollars.
"C'est pourquoi la question de la vente, même si elle était apparue, n'aurait pu être réglée rapidement. Il ne s'agit pas simplement de la préparation d'avant la vente, c'est une construction très complexe à partir, probablement, d'une multitude de marchés", souligne l'ex-manager.
"J'ai quitté Yukos au début de 2001, et la vente de la compagnie à un investisseur stratégique américain, non désigné officiellement, a commencé à être préparée fin 2002-début 2003, indique Goloubovitch.
Selon lui, lorsque, après la crise de 1998, les problèmes les plus complexes ont été résolus, "la compagnie a commencé à se bureaucratiser très vite, à incorporer des gens dont on avait besoin, précisément, pour préparer la vente".
"Il s'agissait de professionnels de haut niveau, de gens bien. Mais beaucoup pensaient, comme moi, que la compagnie ne faisait pas ce qu'il fallait", ajoute Goloubovitch.
Selon lui, "au lieu de développer l'activité industrielle dans les régions, on créait des schémas fiscaux complexes les affaires étaient déplacées d'une région à l'autre, sur le papier, afin de payer des impôts aux taux locaux les plus bas". Ces constructions, précise-t-il, à un moment, "étaient peut-être légales, mais à la limite".
Une planification fiscale "originale", des éléments de politisation, une détérioration globale du climat moral au sein du personnel, tout cela a fait que très nombreux ont été ceux qui ont souhaité quitter Yukos, explique l'ancien directeur de la planification stratégique et des finances.
Plus mal ça ira pour Khodorkovski, et mieux ce sera pour Nevzline, a également déclaré Alexéï Goloubovitch dans cette même interview. Nevzline était un important actionnaire de Yukos, un top manager. Recherché par le Parquet russe, il réside actuellement en Israël.
"Plus les affaires se présentent mal pour Khodorkovski, et plus il est facile à Nevzline de démontrer qu'il est une victime, un émigrant politique, et presque un "Nelson Mandela numéro deux"," estime Goloubovitch.
Selon lui, la culture d'entreprise de Yukos a toujours souffert d'un gros problème : la grande influence du Service de sécurité.
"Ils amassaient des dossiers sur tout les membres du personnel. Et peut-être même sur Khodorkovski lui-même. Il est normal qu'une grosse compagnie dispose d'un Service de sécurité, mais cela doit se faire dans un certain cadre", déclare Goloubovitch.
"Ce Service était dépendant de Nevzline, qui a toujours été le numéro deux au sein du groupe MENATEP et au sein de Yukos. Et même quand, de jure, il n'y travaillait pas, il "couvrait" le Service de sécurité, y compris sur le plan juridique. C'est à lui que l'on rendait des comptes. C'est lui qui s'occupait des "public relations". Et c'est lui, par conséquent, qui avait le droit de décider de l'utilisation des principaux chapitres des recettes du budget de Yukos non liés à la production", note l'ancien directeur des finances.
Selon lui, "des centaines de millions de dollars, chaque année," étaient consacrés à la communication et à la sécurité, mais "même le budget global du service était impossible à obtenir".
"Seuls les responsables du Service de sécurité savaient qui était responsable de quoi, les documents sur ce sujet étaient top secret, comme si on travaillait à la CIA. Pour pouvoir les lire, il fallait que ce soit eux qui les tiennent dans leurs mains."
Sans compter les vigiles des entreprises, le Service de sécurité à Moscou comptait 300 à 400 personnes. "Autrement dit, environ le quart du personnel de Yukos à Moscou", note Goloubovitch.
Evoquant les relations d'argent au sein de la compagnie, l'ex-directeur des finances précise : "A Yukos, on n'a jamais bien payé : c'était peut- être la compagnie la plus rapiat de toutes les grandes compagnies privées du pays Il avait été décidé que ceux qui travaillaient avec Khodorkovski depuis très longtemps et qu'il appréciait particulièrement se verraient remettre une part de l'affaire dans son ensemble, du groupe MENATEP, et non des options sur des actions".
A cette époque, le groupe était "le plus gros propriétaire privé de Russie", assure Goloubovitch, qui était alors un des six collaborateurs auxquels Khodorkovski avait donné une part de son affaire. "Il a commencé par s'octroyer, de fait, 60 % à lui-même, puis 7 % à plusieurs de ses collaborateurs Nevzline, Lébédev, Broudno, Doubov, et moi. Ensuite s'est ajouté Chakhnovski", rapporte Goloubovitch.
Tout cela était présenté comme l'achat par chacune de ces personnes d'une petite part d'une compagnie off shore. "C'était tellement simple : d'un trait de plume, pour quelques milliers de dollars, vous vous retrouviez co-propriétaire d'une énorme structure ayant des biens énormes. J'étais alors stupéfait par la simplicité, la banalité d'une telle opération Mais personne n'a jamais réellement vu ces actions, et personnellement je n'ai jamais vu les actions de MENATEP qui m'appartenaient", observe Goloubovitch.
Ce dernier explique que ce partage des actions ne convenait pas à bien des personnes, dont Nevzline, et c'est la raison pour laquelle peu de temps avant la première annonce publique en Russie des propriétaires de MENATEP et des principaux actionnaires de Yukos, le nom de Goloubovitch avait disparu de la liste. Selon l'ex-directeur des finances, une campagne de presse avait au préalable été déclanchée contre lui afin de convaincre Khodorkovski de l'écarter du groupe des actionnaires. Des publications ont vu le jour dans la presse, après l'arrestation de Khodorkovski, comme quoi ce dernier, ainsi que Lébédev et Goloubovitch, avaient blanchi de l'argent à l'étranger ou évité de payer des impôts.
"Je pense que tout cela a été fait soit pour "chauffer" un peu Khodorkovski, soit, tout simplement pour réduire le nombre des prétendants au contrôle de l'argent de Khodorkovski à l'étranger. Car il restait tout de même beaucoup d'argent", note Goloubovitch. Et tout cela, selon lui, n'a pu se faire sans Léonide Nevzline.
L'ancien top manager de Yukos souligne également que Khodorkovski avait mis en place son propre système de gestion des biens, de telle manière que jamais aucun de ses partenaires ne puisse l'évincer et en prendre le contrôle.
"Le système était bâti d'une manière assez intelligente, mais personne, à l'évidence, n'avait pensé que tout tournerait aussi mal et que ce système se refermerait contre Khodorkovski lui-même," a noté Goloubovitch. Selon lui, Khodorkovski avait contraint tous les actionnaires de MENATEP à placer leurs actions dans des trusts.
L'ancien directeur des finances revient également à la fin de cette interview sur les nombreux actes d'intimidation, ou plus, qui ont concerné nombre de collaborateurs de Yukos. Il estime que personne n'était davantage intéressé que Khodorkovski à éliminer du Service de sécurité les éléments indésirables, car "lui-même ne pouvait contrôler tout, personnellement". "Mais il comprenait bien que c'était une sorte d'Etat dans l'Etat , que le service de Sécurité avait ses propres intérêts et objectifs, qui pouvaient ne pas avoir de lien avec la sécurité de Yukos."
Alexéï Goloubovitch rappelle que sa propre femme a fait l'objet d'une tentative d'empoisonnement au mercure, ainsi que plusieurs autres collaborateurs de Yukos.
"Toutes les personnes connues de moi ayant souffert de cette affaire avaient occupé des fonctions importantes au sein de Yukos. Elles avaient toutes été en conflit avec Nevzline, elles avaient toutes eu maille à partir avec le Service de sécurité." Et elles n'appréciaient guère l'ancienne direction de la compagnie, pour de nombreuses et différentes raisons, a noté Goloubovitch.
L'ancien top manager de Yukos se trouve aujourd'hui en résidence surveillée en Italie. Il y a été arrêté en mai, alors qu'il s'apprêtait à prendre l'avion pour la Grande-Bretagne, où il résidait en permanence depuis 2003. Son arrestation est consécutive à un mandat international lancé par Interpol, à la demande du Parquet fédéral de Russie. Goloubovitch est accusé, entre autres, en Russie, de fraude à grande échelle et de non-exécution de décisions de justice. Selon l'instruction, l'activité criminelle de Goloubovitch au sein d'un groupe organisé a causé à l'Etat un préjudice de plus de 283 millions de dollars. A la fin 2004 a été prise contre lui, par défaut, une mesure d'incarcération préventive. Un mandat de recherche a également été lancé contre lui.
Dans une interview reçue par courrier électronique par le correspondant de RIA Novosti à Rome, Alexéï Goloubovitch affirme n'avoir commis rien d'illégal et espère pouvoir rentrer en Russie.