Les ressources du continent noir attisent les convoitises de la Chine et des Etats-Unis
Le continent noir attise réellement les convoitises économiques de la Chine et suscite ses intérêts politiques. Le Président de l’Etat chinois, Hu Jintao, a déjà maintes fois rendu visite personnellement à des Etats africains. En novembre se tiendra un sommet sino-africain, qui couronnera l’année africaine que les Chinois ont organisée en 2006.
L’objet de ce nouvel intérêt permanent pour l’Afrique est la croissance exponentielle de l’économie chinoise au cours de cette dernière décennie, qui implique la nécessité, pour les Chinois, d’importer toujours davantage de matières premières issues du sol africain. Dans les vingt prochaines années, la consommation de pétrole de la Chine quadruplera. La Chine dépendra toujours plus des Etats pétroliers du Golfe, d’où provient la majorité de ses approvisionnements actuels, comme l’explique un observateur allemand, Kay Möller, qui travaille pour un organisme berlinois, la « Stiftung Wissenschaft und Politik » (« la Fondation Science et Politique ») : « En Chine, on part désormais du principe que s’il survient un conflit avec Taiwan, les Etats-Unis tenteront de couper la Chine de ses approvisionnements en pétrole venus du Moyen Orient ». C’est la raison pour laquelle Pékin a misé, ces dernières années, sur des importations issues de pays comme l’Angola, le Soudan ou le Congo. Ce printemps, le Président Hu Jintao, a signé un accord au Nigeria, qui permettra, moyennant un versement de 1,8 milliard d’euro, à une entreprise chinoise d’exploiter 45% d’un gisement pétrolier dans le pays le plus riche en pétrole du continent africain.
Tandis que l’UE et les Etats-Unis (ceux-ci du moins officiellement) mettent des conditions quand il s’agit de travailler avec un pays africain –celui-ci doit impérativement respecter la démocratie et les droits de l’homme- les dirigeants communistes de la Chine ne s’embarrassent nullement de ce scrupule, qui agace copieusement les Africains qui le perçoivent comme une immixtion intolérable (et raciste) dans leurs modes indigènes de gestion de la politique. La seule condition que posent les Chinois est de rompre toutes relations diplomatiques avec Taiwan. Les Africains ne se souciant guère de Taiwan, les Chinois peuvent escompter de nouveaux succès sur le continent noir. D’ores et déjà, des pays comme le Sénégal et le Tchad considèrent officiellement que Taiwan est « une province rebelle » de la Chine. Cinq Etats africains sur cinquante-trois seulement entretiennent encore des relations avec Taiwan.
Les accords que signent Chinois et Africains vont dans le sens des intérêts de tous les partenaires. Grâce à eux, la Chine acquiert de nouvelles sources de matières premières et se conquiert ipso facto de nouveaux débouchés pour son industrie. Les activités de 800 firmes chinoises étatisées en Afrique le prouvent amplement. Les Etats africains, pour leur part, bénéficient de subsides et de financements généreux. Pékin a renoncé au paiement de la dette de 31 Etats africains, investit dans de nouvelles infrastructures voire dans des projets de pur prestige, pour satisfaire l’ego de despotes africains. En coopérant avec le Zimbabwe ou avec le Soudan, la Chine cherche à briser la domination que tente d’acquérir Washington en Afrique.
Comme les activités chinoises en Afrique ne cessent de s’accroître et comme la Chine est considérée comme le prochain rival principal des Américains à l’échelle du globe, les Etats-Unis manifestent à leur tour une présence croissante sur le continent noir.
Finalement, bon nombre d’études internationales estiment que dans les dix ou quinze prochaines années le pétrole nouveau, dont le monde aura besoin vu la croissance, ne viendra plus des zones habituelles d’extraction mais principalement d’Afrique. La Commission de l’UE évoque, dans un document d’analyse interne, la « nouvelle stratégie » américaine en Afrique, qui se déploie selon les termes de la « Doctrine Carter », élaborée au cours des années 80. Cette Doctrine Carter, à la suite de l’entrée des troupes soviétiques en Afghanistan en décembre 1979, considère que toutes les activités de puissances étrangères (quelles qu’elles soient) dans le Golfe Persique sont derechef des activités hostiles aux Etats-Unis, auxquelles ceux-ci sont tenus de répondre par tous les moyens, y compris les moyens militaires. Walter Kansteiner, qui fut jadis un secrétaire d’Etat américain spécialisé dans les questions africaines, écrit à ce propos : « Le pétrole africain est pour nous d’un intérêt stratégique national croissant et le deviendra toujours plus ».
En accroissant leur influence, les Etats-Unis ont élaboré un véritable réseau d’ « initiatives ». Celles-ci reposent sur des injections financières de grande ampleur, sous prétexte de « lutte contre le terrorisme ». Par exemple, les aides financières accordées à l’Angola et au Nigeria, les deux principaux fournisseurs africains de pétrole aux Etats-Unis, ont augmenté pour atteindre le chiffre de 300 milliards de dollars entre 2002 et 2004. Cette tendance augmente encore à l’heure actuelle. Ensuite, le commerce américain des armements a doublé de volume entre 2004 et 2005. Les partenaires principaux des Etats-Unis sont le Nigeria, l’Ouganda, le Botswana, Djibouti, le Kenya et deux Etats qui sont des adversaires potentiels, l’Erythrée et l’Ethiopie.
Ce qui saute aux yeux, ce sont surtout les activités croissantes des Etats-Unis en matières navales, le long des côtes de l’Afrique occidentale, comme le souligne du reste le rapport de la Commission de l’Union Européenne. La raison de ce déploiement naval s’explique par la présence probable de « gigantesques gisements pétrolifères face aux côtes de l’Afrique occidentale ». Si, pour l’instant, Washington met l’accent sur un déploiement militaire principalement naval, c’est pour en tirer deux avantages majeurs : d’une part, les Etats-Unis évitent ainsi de se montrer trop présents sur le terrain, d’exhiber une visibilité trop criante sur le sol des pays africains, car cela pourrait être perçu comme une provocation pure et simple ; d’autre part, cette manière de procéder permet, le cas échéant, d’engager des troupes terrestres de manière dite « flexible », c’est-à-dire en l’espace d’une semaine seulement. D’après le Général James Jones, commandant suprême de l’OTAN en Europe, la marine américaine, à l’avenir, « passera moins de temps en Méditerranée et plus de la moitié de son temps dans l’Atlantique devant les côtes occidentales du continent noir ».
De la même façon, de nouveaux dispositifs installés récemment sur le territoire de ces pays d’Afrique occidentale indiquent que l’intérêt des Américains pour cette région du monde ne cesse d’augmenter. Il s’agit bien moins de disposer des garnisons, mais d’installer des infrastructures encore vides, telles des camps et des nœuds de communication, permettant, si besoin s’en faut, d’y déployer rapidement des troupes, de façon à évincer tout concurrent, européen ou chinois.