Le tri sélectif de la repentance coloniale
Heureusement que le cinéma est là pour rappeler à la France ses repentances multiples, variées et éternelles. On se demande pourquoi on continue à élire des parlementaires, alors que le premier saltimbanque venu – surtout venu de banlieue – semble bien plus efficace. Jacques Chirac a immédiatement obtempéré aux injonctions cinématographiques, d’autant plus convaincu que sa toujours très élégante Bernadette était elle-même toute chamboulée après la projection du film Indigènes : « Jacques, il faut faire quelque chose ! », se serait-elle spontanément écriée. Quelle brave femme, tout de même !
C’est chose faite, désormais : les anciens combattants coloniaux vont voir leurs pensions, gelées depuis 1959, revaloriser. Ce n’est que justice, personne ne songerait à le regretter.
Ce qu’on peut regretter, en revanche, c’est qu’une fois de plus, si la France est traînée dans la boue, les politiciens responsables de cette injustice flagrante ne le sont pas : gaullistes, socialistes, communistes, giscardiens, mitterrandiens, chiraquiens, brefs tous ceux qui ne pouvaient pas ignorer ce scandale, qui avaient les moyens d’y mettre fin et qui n’ont jamais rien fait pour qu’il cesse. Même lorsqu’ils furent rappelés à leur « devoir de mémoire » par le groupe Front national de l’Assemblée nationale en 1986.
À travers le tohu-bohu médiatique autour d’Indigènes, sur fond de pleurnicheries des uns et de honte hypocrite des autres, a tout de même fini par percer – bien timidement ! – la vérité : la France comptait bien récompenser ceux qui avaient versés leur sang pour elle sans distinction aucune, qu’ils soient nés à Dunkerque ou à Tananarive. Oui, mais voilà, rappelle Éric Deroo(1) « à l'époque, les dirigeants des États africains voulaient rompre le lien direct entre la France et ses anciens soldats, et ils demandaient à gérer eux-mêmes cet argent. Puis, au fil des ans, des textes sournois sont venus durcir les conditions d'attribution ».
Quand on déballe le linge sale de l’histoire, encore faudrait-il n’oublier personne : c’est donc à la demande des dirigeants des ex-États coloniaux que les retraites de nos ex-« indigènes » ont été gelées car leurs revenus auraient alors été bien trop supérieurs à ceux des fonctionnaires locaux, voir même, aux salaires des ministres en exercice ! De quoi faire regretter, de manière fort sonnantes et trébuchantes, le « bon temps des colonies » comme l’a chanté en son temps Michel Sardou.
Il est bien dommage que le réalisateur d’Indigènes Rachid Bouchareb ne l’ait pas révélé dans son film. Ni même Jamel Debbouze, si prompt à hanter les plateaux des télévisions pour clamer son amour de la France, oui, à condition qu’elle soit repentante, encore et toujours !
Et de rappeler aussi, au passage, que les dirigeants des ex-États coloniaux, en restreignant les vivres à leurs propres glorieux compatriotes, se montrèrent aussi les dignes descendants de leurs ancêtres qui vendaient, pour ceux d’Afrique noire les leurs aux marchands d’esclaves… et pour ceux d’Afrique du nord qui organisaient les « rezzous », ces raids sanglants de pillages, de viols et de captures d’esclaves qui ne cessèrent que grâce à la colonisation tellement honnie.