Un Miracle de Plus (UMP) pour Sarkozy
C’est pas parce qu’on boit la parole à la source qu’on se rafraîchit. Pas comme l’eau. L’eau bénite. Avec la sortie en librairie de son ouvrage, Témoignages (XO Editions), Neuilly sur Cène, l’U.M.P définitivement convertie, et quelques apôtres en poche assurant l’Evangile (les pitres ?), Sarkozy entame son tour de chant messianique… et l’ère présidentielle. Et le petit Nicolas qui entre en scène, c’est un peu la clameur qui entoure Bernadette Soubirous qui vient de voir la Vierge à Lourdes. A l’U.M.P, où il fait figure d’enfant surdoué plus que de prophète illuminé, tout le monde se met en quatre, les bras en croix. Sarko, c’est la révélation littéraire de l’année doublée d’en être la politique.
Prenons le cas de Neuilly. « Etes-vous sûr que les guérisons qui s’y produisent sont des miracles ? », demandent les sceptiques. Pour leur répondre et pour rehausser le prestige du miracle et le sien propre, le ministre de l’Intérieur vient de publier sa Bible. Déjà un best-seller. Et avec 315 000 exemplaires sortis de l’imprimerie, soit la neuvième édition, l’éditeur Bernard Fixot a de quoi être fier de son poulain. Le chiffre des ventes, lui, n’est pas connu, mais l’ouvrage caracole en tête de tous les classements des essais.
Là, Nicolas Sarkozy, se plaçant au seul point de vue de la politique, examine les maux de la France comme d’autres s’effrayèrent des sept plaies d’Egypte. Il ne retient que les cas qui lui paraissent inexplicables : chômage, violences urbaines, immigration, etc. Les Français décideront ensuite, en fonction des éléments fournis; si la guérison peut-être ou non classée miraculeuse. En effet, il faut y insister, pour le prétendant à la fonction suprême le prodigue ne suffit pas à faire un miracle ; il n’en est que l’aspect extrinsèque. Le contexte volontariste est à ses yeux beaucoup plus important.
Mais, si consciencieux que soit le travail du coopte, ses conclusions ne suppriment pas l’équivoque. Un ministre en activité, président de l’un des plus grands partis politiques français de surcroît, peut-il sérieusement engager l’avenir du pays en affirmant qu’une guérison est inexplicable ? Certainement pas.
Non seulement le script(e) ne peut affirmer le miracle, mais il ne peut pas même en concevoir la notion. Cela est absolument hors de sa compétence ; mais encore le ministre ne peut en toute rigueur affirmer que la guérison du mal des Lumières – la France aveugle ? – dépasse les forces d’une Nation dont il sait n’avoir pas inventorié tous les ressorts. Décidément l’Europe n’est pas la Nature, Sarkozy pas la science. En 1956, l’Eglise instituait le Bureau des constatations médicales, où des médecins examinaient les « miraculés ». En cas de présence au second tour, le 6 mai 2007, les Français éliront-ils l’homme au Karcher© sixième président d’une Ve République déclinante ? Voire.
Le premier flic de France ne bénéficie d’aucun romantisme attaché à son nom ou à sa personne. Pour la gauche, c’est le type même du salaud inexpiable, la raclure. Les plus maudits font, près de lui, figure d’académiciens. A commencer par Philippe de Villiers. Pour savoir tout du néo-libéralisme, c’est-à-dire la vision du monde qui correspond le plus à la nature humaine, lisez le ministre de l’Intérieur en version originale : le vrai libéralisme vierge, comme de l’huile. Si Copé fait du libéralisme un projet bon enfant, de Villepin une rêveuse bourgeoisie, Sarko, lui, poussant la logique de son instinct au-delà de tout horizon, met en branle une entreprise de dégraissage colossal, un gigantesque pressing universel à la marque déposée.
Il n’y a qu’une épuration, c’est l’ultra-libéralisme. La propreté, l’assainissement idéal dans un monde où tout est alliage, croisements, collisions, surcharges, déguisements… métissage. Sarkozy représente à merveille ce donquichottisme suicidaire. A la suite de Jacques Chirac, c’est le plus grand batteur d’estrades français.
Si le libéralisme n’avait pas existé, il l’aurait inventé. Le président de l’UMP est l’allégorie du libéralisme. Il est pratique qu’une telle chimie ait trouvé son accomplissement dans un seul corps. Il faut se colleter aux écrits de Sarkozy pour toucher ce nerf-là, ravaler son vomi et rendre les armes face à son phrasé convainquant qui vient faire la boniche dans les poubelles de l’Histoire. Très instructif, en effet. Une masse d’acide nitrique.
Que reste-t-il du souffle après lecture : au pire, un haussement d’épaule ; au mieux, un sourire lorsqu’il évoque C. C. pour Cécilia, « sa femme pour toujours ». Côté propositions, c’est la corrida habituelle, à l’envers, toujours à côté de la plaque, la mise à mort des problèmes de la France par le plus anodin matador.
Après tout, qu’est-ce que le bizarre ? Une entorse à l’ordinaire, ou bien l’ordinaire lui-même poussé dans ses derniers retranchements ? Pour qui l’observe avec attention, le monde est un chef-d’œuvre d’étrangeté : une véritable caverne d’Ali Baba de comportements tolérés, admis, encouragés, voire prescrits, et pourtant carrément loufoques. Avec attention, certes, mais aussi un soupçon de mauvais esprit, doublé d’un penchant satirique et d’un certain sens tragique. Nicolas Sarkozy est au mieux de son talent dans la forme courte : la formule à l’emporte-pièce. C’est sa mesure, semble-t-il, celle en tout cas où s’exprime, avec un humour plein de cruauté, l’acidité du regard qu’il porte sur le monde en général, et la France en particulier.
L’aphoriste est méchant, à coup sûr – ne rit-il pas des certitudes et des angoisses de son prochain, des Désirs d’avenir de la pimpante Ségolène? – pessimiste et incroyablement lucide, à faire froid dans le dos. Le ministre de l’Intérieur se comporte à la manière d’un savant machiavélique, dans un laboratoire aux dimensions de la société. Les Français sont ses souris blanches, leurs vies ses cages : il suffit de détraquer un seul des innombrables rouages qui font tourner leurs soucis, pour que tout s’emballe et dérape. Le dérèglement peut être parfaitement vraisemblable ou tout à fait surréaliste, le résultat n’en est pas moins terrifiant.
Voyons. Que se passerait-il pour les rares survivants d’une foudroyante épidémie de fièvre sarkoziste à l’échéance présidentielle? La question n’est pas neuve, presque aussi vieille que l’angoisse elle-même. Et la réponse guère de nature à rassurer : errant dans une société vide, dont tous les ressorts seraient cassés – esprit de compétition, sentiment religieux, peur de la sanction et même désir de créer –, les Français découvriraient que les sentiments les plus humains – et les plus inavouables – n’ont pas disparu en même temps que le suffrage universel : le désir, la gentillesse à l’occasion, mais aussi l’égoïsme et la méchanceté brute, quand ce n’est pas la perversité.
Jamais de morale dans la vie politique. Juste des conclusions plus ou moins ambiguës, qui laissent à l’électeur le soin de composer avec ses propres doutes. Que feront finalement, les banlieues, l’ouvrier en colère ou le « jeune » haineux, dans le secret de l’isoloir, l’urne cinglante ? L’appel des profondeurs ? Impossible de savoir.
D’une présidentielle à l’autre, pourtant, se dessine une géographie des tares occidentales. Cela va de la dépendance à la sécurité à la télé-réalité, en passant par les mille et une façons de démolir l’environnement.
Sans compter la fâcheuse propension à considérer que le monde entier n’est qu’un produit, transformable et commercialisable à volonté. « Entrez dans mon rêve » lance Sarkozy, comme d’autres entraient « dans l’Espérance » en mai 2002, au malheureux quidam qui dit lui-même : « Cette existence est ma vie, je respire avec elle. » Ressemblance bizarre. Vous trouvez ?
Article communiqué par l'auteur et précédemment paru sur Toutes les Nouvelles (Versailles). |