Bernard-Henri Lévy – BHL pour les initiés – n’est pas content. Normal, il en fait profession. Il n’y a pas de sot métier. Présentement, c’est à cause de la campagne électorale. Elle ne lui plaît pas, mais alors là pas du tout : « Cette campagne est lamentable… »(1). Bien vu, Bernard-Henri ! Heureusement qu’il existe un philosophe de sa trempe pour nous le faire savoir, le citoyen normal n’étant pas capable de somnoler tout seul devant sa télévision quand elle lui exhibe les candidats à l’élection présidentielle d’avril prochain entre les répétitifs attentats irakiens et les angoissants résultats sportifs de la journée.

Ce que BHL écrit est juste d’ailleurs quand il fait le douloureux constat que nous « tenons là notre première élection “américaine”, au sens ancien, trivial, du mot. » Que ce soit les ironiques quolibets sur le français de Ségolène Royal, sur sa fortune et celle de son compagnon, l’utilisation des services de police par leur ministre de tutelle pour espionner le Parti socialiste ou retrouver la pétrolette de son fils, toute cette campagne est effectivement lamentable.

Mais la faute à qui, sinon justement à ces grandes consciences auto-proclamées de la vie politique qui, depuis vingt ans, n’ont de cesse d’émasculer le débat politique.

Pas un mot ne doit être plus haut que l’autre. La moindre saillie, plus ou moins humoristique, est condamnée à l’aune de la censure citoyenne. Tout écart de langage politiquement incorrect est impitoyablement sanctionné, cloué au pilori de la bienséance politique la plus mièvre… et devant les tribunaux, de plus en plus souvent.

Subsistent encore quelques dinosaures. Des gentils comme l’UDF André Santini dont les bons mots font toujours rigoler un brin – rappelez-vous ce trait admirable de lucidité(2) : « La différence entre un cocu et un député, c’est que le premier n’est pas obligé d’assister à la séance » – et à qui on va même jusqu’à pardonner d’être un indécrottable fumeur. Peut-être un jour lui signifiera-t-on la fin de toute récréation havanesque. Pour le moment, il en profite et il a bien raison. À travers lui, ce sont quelques millions de fumeurs qui se défoulent de brimades quotidiennes.

Autre gentil médiatique, Arnaud de Montebourg, ex-pourfendeur de voleur réfugié à l’Élysée, socialiste à ses heures perdues… et désormais ex-porte parole de madame Royal. Lui a été sanctionné par son amie Ségolène pour avoir plaisanté que son compagnon était son seul défaut. À part l’intéressé, tout le monde en rigole pourtant encore.
Et il y a les vilains, tel le socialiste Georges Frêche, exclu de son Parti pour en avoir rajouté une louche de trop dans ses commentaires sur la sur-représentation des gens de couleurs dans le football français. Selon lui, les Gaulois ne sont même pas capables de taper convenablement dans un ballon afin d’honorer les fantasmes d’un obligatoire égalitarisme ethno-sportif.

Autre vilain, Christian Vaneste. Ce député UMP a été condamné pour avoir déclaré cette magistrale absurdité que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité ». mais pas tant que la « bite des Noirs » si l’on en croit Pascal Sevran(3) qui n’en continu pas moins à soutenir Nicolas Sarkozy durant la semaine et à faire guincher les plus de soixante-dix ans le dimanche. Lui a reçu le soutien de Jack Lang qui a volé à son secours, affirmant « avec force que, par ses comportements et par ses actes, Pascal Sevran est profondément antiraciste. » Deux poids, deux mesures, semble-t-il. Ce n’est plus « selon que vous soyez riche blanc ou pauvre noir… », mais « selon que vous appréhendiez à l’endroit ou à l’envers le totalitarisme sexuel à la française… »

Les Santini-Montebourg-Frêche-Vaneste sont un peu les soupapes de sécurité du système, histoire de ne pas laisser à Jean-Marie Le Pen le monopole de l’événementiel, pour parler comme leurs conseillers en communication. À se demander parfois si la diabolisation de ce dernier et de ses élus ne leur a pas davantage sauvé l’honneur qu’elle n’a ralenti leur progression électorale.

Si la campagne pour l’élection présidentielle est si lamentable, comme le déplore BHL, c’est que peu à peu, la politique française s’est tellement affadie que les politiciens se ressemblent tous, de gauche comme de droite, jusque dans leurs expressions, leurs façons de s’habiller et forcément leurs discours. Ils sont devenus peu à peu des clones insipides davantage que des bouffons.

Les bouffons font rires, tandis que les clones font bâiller.