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L’abbé et la France d’en haut les urnes
Depuis la mort de Lady Di, on n’avait pas vu ça : tout ce que notre pays compte de « people » en mal de publicité, se succèdent depuis hier matin dans les médias, la larme de circonstances à l’œil et des trémolos dans la voix, pour tresser des lauriers à l’abbé Pierre, Henri Groues à l’état-civil. Certains parlent même avec gourmandise d’une canonisation…
Les plus accros aux condoléances sont nos politiciens qui égrennent presque tous un identique chapelet de louanges : Jacques Chirac a donné le tempo en décidant un « hommage national » à l’« éternel insurgé de la bonté », l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing demandant de son côté des « obsèques nationales » et l’ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius souhaitant que sa place « soit désormais au Panthéon ».
On a vu bien entendu Ségolène Royal toute « bouleversifiée » par cette disparition et Nicolas Sarkozy va sans doute rajouter dans ses promesses électorales la karchérisation de l’infection pulmonaire, cause d’un tel décès de lèse-majesté…
Hier soir, Bernard Kouchner squattait carrément un Journal télévisé à lui tout seul pour épancher sa peine devant des millions de télespectateurs, se prévalant surtout, pour l’occasion, de sa grande amitié avec l’homme au béret le plus célèbre de l’hexagone. La preuve, il le tutoyait. Et de raconter quelques souvenirs en commun, pour mieux faire pleurer Margot dans les chaumières, voire sous les toiles de tente.
À peine était-il interrompu par le chagrin tout médiatique d’une Marie-Georges Buffet, d’un François Bayrou et de la plus grande partie de la camarilla française à écharpe tricolore, je passe toute ces lamentations politiciennes suffisamment nauséeuses…
Oui, pleurer sur celui qui les a surtout si bien aidé, consciemment ou non, à garder le Pouvoir, est le moins que cette France d’en haut-les urnes puisse faire. On dit que l’abbé Pierre a « secoués » les politiciens. La vérité est qu’il a surtout été le paravent de leur incompétence face à une misère qui reste, depuis un demi-siècle avant tout une permanente humiliation nationale.
Certes, son pathétique appel du 1er février 1954 sur les ondes de RTL en faveur des démunis fut une initiative salutaire, mais comble du scandale après celui de l’horreur, ce ne sont pas les autorités en charge de notre pays qui réagirent, ce furent des citoyens bouleversés.
On assista dès le lendemain à une « insurrection de la bonté », comme il fut dit alors. L’appel de l’Abbé rapporta 500 millions de francs en dons, somme aussi énorme qu’inattendue.
Le gouvernement français, humilié, aurait dû réagir, démissionner ou pour le moins prendre des mesures exceptionnelles pour qu’une telle situation intolérable, dévoilée sur la place publique par une initiative personnelle, soit réglée à jamais ; ce gouvernement aurait dû, toute affaire cessante, effacer à jamais une telle honte!
Ce fut l’exact contraire qui se produisit. Pire, le gouvernement de René Coty, puis tous ceux qui lui succédèrent, utilisèrent l’abbé Pierre et le formidable élan de solidarité qu’il avait déclenché. Ils l’institutionnalisèrent : d’abord « petite entreprise », puis PME, aujourd’hui véritable multinationale(1) pour ne parler que de ce qui émane directement des œuvres de l’abbé.
Ce à quoi il faut ajouter toutes les autres structures du charity business à la française(2) et les multiples associations de recherches médicales, de l’ARC au Téléthon, en passant par les Restos du cœur et celles à l’enfance, l’environnement, etc. Les récents et très médiatiques enfants de Don Quichotte n’en sont que le dernier avatar : il s’en crée de toute façon chaque jour de nouvelles pour pallier aux carences de plus en plus flagrantes des stuctures nationales.
L’abbé Pierre aurait dû être la mauvaise conscience des politiciens. Ce ne fut pas le cas, loin de là. Il va leur manquer. Il fut Pierre et sur son église de misère, ils bâtirent leur longévité électorale.
(1) Communautés d’Emmaüs, Société anonyme de HLM, Fondation Abbé Pierre, association Emmaüs, Confédération générale du logement, entreprises d’insertion.
(2) Au moins, contrairement à beaucoup d’autres « Les communautés (d’Emmaüs sont) fondées sur le principe de l’économie solidaire et du refus de l’assistanat. Les ressources proviennent exclusivement du travail de récupération de meubles et de vêtements, qui sont ensuite revendus. L’argent sert à faire vivre la communauté, les compagnons percevant environ 45 euros par semaine. Il existe 120 communautés et 4 000 compagnons. La galaxie abbé Pierre, c’est aussi une société anonyme de HLM (Emmaüs-Habitat) qui compte 12 373 logements, concentrés pour l’essentiel dans les huit départements franciliens. L’actionnariat est très dispersé, mais le pouvoir est entre les mains de personnes morales, comme la Fondation Abbé Pierre, Emmaüs France et Emmaüs international. La Fondation Abbé Pierre finance des actions en faveur des personnes défavorisées dans les domaines du logement, de l’insertion ou de la culture. 90 % de ses recettes proviennent de legs et de dons. » (www.liberation.fr, mardi 23 janvier 2007) |
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