Le long week-end dernier a permis aux médias françaises de se vautrer largement dans le sang de deux enfants. Celui de Mathias, 4 ans, retrouvé violé et tué dimanche à Moulins-Engilbert (Nièvre), à proximité de la salle polyvalente du village, où se tenait la veille au soir une fête… et celui de Madison, 5 ans, déclarée disparue le samedi et retrouvée lundi morte dans une maison de son village à Eyguières (Bouches-du-Rhône)…
Les commémorations de la victoire alliée de 1945 en ont été éclipsées. De même, la tension entre les USA et l’Iran sur fond de nucléaire. Itou des probabilités d’arrivée de Nicolas Sarkozy à Matignon.
Douteux traitement médiatique
La France a vécu soixante-douze heures au rythme des enquêtes de la gendarmerie…
Ces deux drames ne peuvent certes laisser personne indifférent, que l’on soit parent ou non, mais au nom du droit à l’information, les medias ont exploités sans vergogne deux faits-divers avec les plus grosses ficelles de la télé-réalité. Ils ne semblent plus savoir faire que cela, semble-t-il.
Que tout ait été entrepris dans la région d’Eyguières pour retrouver la petite Madison disparue est bien normal, de même à Moulins-Engilbert pour appréhender le criminel de Matthias, mais quel intérêt pour le reste de la France et du Monde de filmer en long, en large et en travers les habitations de ces deux localités… et d’y interroger deux, trois, quatre, dix habitants en leur posant les mêmes questions débiles du genre : « Est-ce que maintenant vous avez peur pour vos enfants ? Allez-vous les surveiller davantage ? »
Les journalistes s’attendaient-ils à trouver, au détour d’une rue, quelque inconscient leur répondre : « Non, pourquoi ? » ou encore : « Non, je m’en fous, les enfants m’emmerdent ! »
D’ailleurs, s’ils avaient rencontré un tel atrabilaire, ils ne l’auraient pas passé à l’antenne, décence oblige. Quoique, si un sponsor publicitaire avait jugé l’impact de l’audience intéressant et avait voulu payer pour cela, on ne sait jamais, après tout…
Rappelons ce que Patrick Le Lay, président-directeur général de TF1, a déclaré à ce propos : « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (…) Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible ».
Trois jours durant, nous avons donc vécu dans la tension de ces deux tragiques événements criminels. Pourquoi ? Ce ne sont ni les premiers meurtres d’enfants, ni, hélas, les derniers. Et que pouvons-nous y faire ? Ne plus se rendre dans les fêtes publiques ou alors avec l’obsession d’y perdre sa descendance ? Autant rester chez soi… mais là encore, rien n’est sûr, puisque c’est dans son lit, en pleine nuit, que Madison a été enlevée.
A-t-on essayé, ce long week-end, de nous faire prendre conscience que les parents devaient désormais assurer des tours de garde, chaque nuit, pour surveiller leurs petits ? Et pour les couples divorcés, comment faire ?
Le divorce est d’ailleurs au centre du drame de la petite Madison, puisque le suspect présumé ne serait autre qu’un « ex » de la mère. Dixit les médias, en tout cas. Ses mobiles, vengeance ou folie, ne sont pas encore connus. Toutes les suppositions sont possibles et nul doute que si nous vivions avec les us et coutumes de nos voisins d’outre-Manche, les paris seraient ouverts et les bookmakers déjà au travail.
Gageons toutefois que, dès demain, Madison et Mathias seront quasiment oubliés. Coca-Cola and Co exigeront un nouveau temps de cerveau humain disponible…
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